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 ComplĂ©mentaires santĂ©, le scandale !

 FrĂ©dĂ©ric Bizard, Ă©ditions Dunod, 2016


Les organismes complĂ©mentaires d’assurance maladie (Ocam) couvrent plus de 95% de la population aujourd’hui (contre 70% dans les annĂ©es 80). Tous les ans, les Français leur confient plus de 25 milliards d’euros de primes. Mais depuis 2012, on assiste Ă  une accĂ©lĂ©ration de l’évolution « Ă  l’amĂ©ricaine Â» du système de santĂ© français : alerte !

  1. Qui sont les Ocam ?

Historiquement, en France, on est passĂ© du principe d’assistance (avant le XIXème siècle) au principe d’assurance sociale (« solidarisme Â»). Les SociĂ©tĂ©s de secours mutuel, formes historiques des mutuelles contemporaines, ont constituĂ© les premières formes de protection sociale jusqu’à l’instauration des lois sociales de 1910 et 1930. Elles ont jouĂ© un rĂ´le important dans la mĂ©dicalisation des territoires en Ă©largissant l’offre de soins. Leurs valeurs fondatrices sont la libertĂ©, la solidaritĂ©, la dĂ©mocratie et la responsabilitĂ©, inscrites dans la charte de 1898 qui va libĂ©rer les Mutuelles de la tutelle des pouvoirs publics.

Les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 instaurent une assurance couvrant les risques maladie, maternitĂ©, vieillesse et dĂ©cès pour les salariĂ©s et les agriculteurs. Le rĂ©gime de Vichy Ă©tend ces garanties Ă  tous les ouvriers et aux chĂ´meurs. En 1945, environ 16 millions de personnes (soit 40% de la population) sont concernĂ©es par ces assurances sociales. Cette annĂ©e 1945 marque une rupture : la SĂ©curitĂ© sociale est crĂ©Ă©e. Sont recherchĂ©s l’universalisation, les objectifs natalistes et sanitaires. Après avoir Ă©tĂ© marginalisĂ©es par les syndicats, les mutuelles s’installent dans le rĂ´le de complĂ©mentaires. Depuis les annĂ©es 80, sociĂ©tĂ©s d’assurance et organismes de prĂ©voyance commercialisent eux aussi des garanties.

Aujourd’hui, les complémentaires santé constituent un secteur très hétérogène. Les assureurs privés prennent peu à peu le pas sur les mutuelles (-50% entre 2003 et 2013). Le secteur des Ocam est peu concentré et atomisé.

On distingue trois groupes d’acteurs : les leaders et acteurs historiques du marchĂ© (mutuelles professionnelles et interprofessionnelles), les challengers (assureurs privĂ©s), les nouveaux concurrents (mutuelles sans intermĂ©diaires et bancassurances) et les substituts aux complĂ©mentaires santĂ© (Couverture maladie universelle, CMU).

Les mutuelles, 80% des Ocam, pèsent 54% du chiffre d’affaires de l’assurance complémentaire santé (17,8 milliards d’euros en 2013). Le nombre d’organismes complémentaires est passé de 1230 en 2003 à 605 en 2013, soit une baisse de 50%. Un tiers de ces organismes sont de petite taille, et c’est le cas de 43% des mutuelles. Leur part de marché, passée de 59% en 2008 à 54% en 2013, ne cesse de s’effriter au profit des assureurs privés dont la part de marché est passée de 22% à 28% sur la même période, alors que celle des instituts de prévoyance passait de 19% à 18%. Les mutuelles sont régies par le code de la mutualité, et respectent certaines valeurs fondamentales.

Les sociétés d’assurances privées (Axa, Groupama, Swisslife…) ont pesé 28% des parts de marché (soit 9,2 milliards d’euros) en 2013. L’activité santé de ces organismes ne représente que 6% de leur activité totale. Ces sociétés sont régies par le code des assurances et sont à but lucratif. Par rapport à elles, les mutuelles ont du mal à rester compétitives.

Les institutions de prévoyance ou de retraite complémentaire (BTP prévoyance, Humanis prévoyance, Malakoff Médéric…) représentent 4% des Ocam et détiennent 18% des parts de marché (5,8 milliards d’euros en 2013).

Emergent aujourd’hui les mutuelles sans intermédiaires (MSI) et les bancassureurs.

La CMU de base, créée en 1999, élargit le droit à l’Assurance maladie à toutes les personnes résidant depuis au moins trois mois au France et leur garantit les mêmes prestations et obligations qu’aux autres assurés. Fin 2014, on dénombrait 2,4 millions de bénéficiaires de la CMU (chiffre en hausse de 60% depuis 2008), pour un montant de dépenses annuelles estimé à 6,5 milliards d’euros.

La CMU-C, « CMU complĂ©mentaire Â», est accessible Ă  toute personne disposant d’un niveau de revenu mensuel infĂ©rieur Ă  720€ par mois. La CMU-C permet un accès quasiment gratuit aux soins. En 2014, 5,2 millions de personnes en bĂ©nĂ©ficiaient (+ 18% par rapport Ă  2011) pour un niveau de dĂ©penses de 2,1 milliards d’euros. La CMU-C constitue un filet de sĂ©curitĂ© sanitaire important.

L’aide Ă  la complĂ©mentaire santĂ© (ACS), aide au paiement d’une complĂ©mentaire de santĂ©, est un Ă©chec ignorĂ© par les pouvoirs publics. En 2015, le plafond d’attribution Ă©tait de 977€ par mois (soit quasiment le seuil de pauvretĂ©). En 2014, le coĂ»t de l’ACS s’élevait Ă  275 millions d’euros. 925 000 personnes Ă©taient couvertes. Le taux de recours est faible (seulement 31%) alors que potentiellement, 3 millions de personnes pourraient ĂŞtre concernĂ©es.

Au total, entre CMU, CMU-C et ACS, près de dix millions de personnes ont accès aux aides sociales à l’assurance santé pour un coût global annuel de dépenses associées de l’ordre de 9 milliards d’euros.

En 2006 sont nĂ©s des contrats prĂ©tendument « solidaires et responsables Â», visant Ă  empĂŞcher que les baisses de remboursement hors parcours de soins ne soient compensĂ©es que par les organismes complĂ©mentaires. Ces contrats limitent la couverture des risques des assurĂ©s. La rĂ©forme de ces contrats (dĂ©cret de novembre 2014), de l’avis mĂŞme des assureurs, pĂ©nalise lourdement l’accès aux soins des classes moyennes, qui ne peuvent plus assumer certains frais, notamment en optique. Un système Ă  deux vitesses s’installe.

Lorsque les contrats respectent les conditions « solidaires et responsables Â», ils ont droit Ă  des avantages : rĂ©duction de la taxe sur les contrats d’assurance, exonĂ©ration de charges sociales sur les cotisations versĂ©es par les employeurs, exonĂ©rations fiscales.  Mais dans la pratique, aucun contrĂ´le du cahier des charges n’est effectuĂ©. Les dĂ©penses dĂ©risoires des Ocam en prĂ©vention (40 centimes d’euro par personne pour les mutuelles) illustrent l’échec patent de ces contrats censĂ©s encourager entre autres les actions de prĂ©vention. La MutualitĂ© n’octroie que 0,09% des cotisations Ă  des missions de prĂ©vention. Chez les assureurs, le constat est le mĂŞme. Les Ocam ne jouent qu’un rĂ´le dĂ©risoire dans l’éducation sanitaire, la promotion de la santĂ©, la santĂ© au travail et la prĂ©vention des grands risques alors que tout cela devrait ĂŞtre au cĹ“ur de leur mission. Un nouveau cahier des charges de ces contrats est Ă  dĂ©finir, car en l’état, ces dispositifs ont largement Ă©tĂ© dĂ©voyĂ©s de leur concept d’origine.

On peut souscrire Ă  une complĂ©mentaire santĂ© de deux façons : Ă  titre individuel (travailleurs indĂ©pendants, Ă©tudiants, retraitĂ©s, chĂ´meurs, certains fonctionnaires) ou Ă  titre collectif (salariĂ©s d’une mĂŞme entreprise). Les contrats collectifs couvrent 44% des assurĂ©s contre 56% pour les contrats individuels. Les garanties des complĂ©mentaires prises Ă  titre collectif sont meilleurs que celles prises Ă  titre individuel, exception faite en gĂ©nĂ©ral des contrats proposĂ©s par les PME (Petites et moyennes entreprises) et les TPE (Très petites entreprises).

Taxes et aides publiques constituent un vĂ©ritable imbroglio. Historiquement, mutuelles et institutions de prĂ©voyance sont fiscalement favorisĂ©es, ceci en raison de leur appartenance Ă  l’économie sociale. Mais la hausse de la taxe spĂ©ciale sur les conventions d’assurance (TSCA) de 2011 a mis le feu au monde des Ocam : 2 milliards d’euros sont maintenant supportĂ©s par les assurĂ©s. Cette mĂŞme loi de finances de 2011 a Ă©galement taxĂ© la CMU Ă  6,27% du chiffre d’affaires santĂ© hors taxe, Ă  ajouter au taux de taxe global sur les montants des cotisations : au total, les contrats responsables sont taxĂ©s Ă  13,27%, contre 20,27%  pour les autres contrats.

En 2012, 5% de la population restait par ailleurs sans aucune couverture complémentaire. Ce taux diminue cependant depuis la mise en place de la CMU-C.

La généralisation par le bas des contrats collectifs et le plafonnement des contrats responsables dégradent une situation déjà défavorable dans la qualité de la couverture assurée par les complémentaires.

  1. Que font les Ocam de votre argent ?

Les Ocam ont financé 13,5% de la consommation de soins et de biens médicaux en France en 2014, une part en hausse de 1,1 point depuis 2000. L’assurance maladie obligatoire couvre quant à elle 76,6% et le reste à charge net des ménages représente 8,5% des dépenses, soit la part la plus faible des pays développés (à l’exception des Pays-Bas). Les sociétés d’assurance à but lucratif sont les principales bénéficiaires de la croissance du marché des Ocam. Le secteur mutualiste subit la croissance du marché des complémentaires.

Les remboursements des Ocam sont dissĂ©minĂ©s sur l’ensemble des soins et biens mĂ©dicaux des usagers, Ă  l’exception de ceux administrĂ©s pour une affection de longue durĂ©e (100% remboursĂ©s par l’Assurance maladie). Les postes Ă  plus fortes dĂ©penses sont les autres biens mĂ©dicaux (21% des remboursements), les mĂ©dicaments (18%) et les honoraires de dentistes (16%) et de mĂ©decins (16%). La couverture du risque des dĂ©penses non couvertes par la SĂ©cu s’est dĂ©gradĂ©e ces dernières annĂ©es. C’est en partie Ă  cause de la rĂ©partition du coĂ»t du risque par les Ocam, dont 53% des remboursements (soit près de 15 milliards d’euros) sont destinĂ©s uniquement aux tickets modĂ©rateurs de ville qui ne reprĂ©sentent aucun risque pour l’assurĂ©. Le non-remboursement des tickets modĂ©rateurs de ville est Ă  intĂ©grer dans le cahier des charges des contrats « responsables et solidaires Â» ainsi que l’obligation de proposer tous les contrats sur Internet et de respecter une charte sur la lisibilitĂ© des offres pour l’assurĂ©.

La faible couverture par les Ocam de la partie libre des honoraires (PLH) est contraire Ă  leur mission de « complĂ©mentaire santĂ© Â» et de mutualisation des restes Ă  charge (lesquels constituent de vrais risques pour l’assurĂ©). Le discours consistant Ă  faire porter la responsabilitĂ© des renoncements aux soins sur un excès de la PLH nĂ©glige le fait que le tarif de remboursement de l’assurance maladie de la consultation mĂ©dicale est respectivement 2,5 et 3,5 plus faible que le prix moyen constatĂ© d’une consultation dans l’OCDE (Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomique, 35 pays –essentiellement dĂ©veloppĂ©s- membres en 2010) pour les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes et spĂ©cialistes. Il s’en suit d’ailleurs des rĂ©munĂ©rations annuelles brutes plus faibles pour ces mĂ©decins que dans les autres pays comparables. Ces professions sont moins lucratives que celles des cadres de l’assurance.

Avec un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros en 2013, les Ocam ont réalisé un résultat technique de 229 millions d’euros, soit 0,7% des primes. La meilleure rentabilité a été réalisée par les assureurs (185 millios d’euros), puis par les mutuelles (107 millions d’euros). Les instituts de prévoyance, qui gèrent surtout des contrats collectifs, ont subi une perte de 63 millions d’euros en santé en 2013. Le résultat net comptable (résultats techniques et non techniques) a été de 2,9% des primes, soit près d’un milliard d’euros.

Les frais de gestion (ressources humaines, frais généraux et administratifs, gestion des prestations) et d’acquisition (fidélisation et conquête des clients) sont en constante augmentation et atteignent la somme de 7 milliards d’euros (20% des cotisations) en 2013, dont 4,4 milliards (13% des cotisations) uniquement pour les frais de gestion. En comparaison, l’assurance-maladie dépense moins de 4% des cotisations en frais de gestion, soit trois fois et demie moins que les Ocam. Frais de gestion opaques, sur-administration, érosion des valeurs mutualistes, refus de la transparence comme nouveau dogme, budgets communication en forte hausse (+8% en 2013)… il y a clairement dérive.

Les Ocam exerçant une mission de délégation de service public pour rendre accessible les soins à l’ensemble des Français, il convient de s’interroger sur la nécessité de plafonner ces frais pour améliorer l’efficacité de ce système de couverture du risque. Le gouvernement a jugé plus utile en 2014 de plafonner le remboursement des contrats responsables, pénalisant la couverture du risque des usagers plutôt que de rendre la gestion des Ocam plus vertueuse. Il faudrait au contraire supprimer ce plafonnement des remboursements.

Les mutuelles, dont 84% de l’activité est dans la santé avec des remboursements à court terme, ont accumulé un véritable trésor de guerre dont les plues-values latentes des placements s’élèveraient à 5,2 milliards d’euros en 2012. Taxer les réserves au-delà d’un certain seuil permettrait de réorienter cette richesse accumulée vers des investissements plus productifs pour les assurés et pour la collectivité.

Les mutuelles détiennent le record des frais de gestion hors frais d’acquisition, avec 14% des cotisations consacrées à ce poste, soit 2,6 milliards d’euros, contre 11% pour les compagnies d’assurance et 12% pour les instituts de prévoyance. Outre ce niveau élevé, l’absence de transparence sur l’usage des fonds est, du point de vue de l’assuré, contestable. Comme c’est le cas dans le secteur lucratif pour les grandes entreprises cotées, la rémunération des administrateurs des grosses mutuelles est à rendre publique auprès des adhérents.

En tant que secteur privĂ© dĂ©lĂ©gataire d’un service public, le financement complĂ©mentaire des dĂ©penses de santĂ© pour garantir un accès aux soins Ă  tous les Français, le secteur des Ocam devrait ĂŞtre rĂ©gulĂ© par une autoritĂ© de contrĂ´le indĂ©pendante et spĂ©cialisĂ©e, l’Arcas (AutoritĂ© de rĂ©gulation et de contrĂ´le de l’assurance santĂ© –qui n’existe pas encore !). L’avènement du big data et de l’open data rend cette rĂ©alisation encore plus pressante.

  1. Les complĂ©mentaires santĂ© sont-elles efficaces ?

Il est effarant de constater que malgré un taux de couverture des complémentaires santé passé de 70% à 95% de la population en trente ans, le renoncement aux soins augmente (surtout en dentaire et en optique), que les primes (ou cotisations) des contrats des complémentaires santé en augmentation constante –de près de 5% par an depuis 2000- à des taux supérieurs à la hausse des dépenses de santé et du pouvori d’achat des ménages. Ces hausses de primes ont accru le taux d’effort (part de revenus) des assurés les plus modestes, à plus de 5% de leurs revenus. Couplée à l’inefficacité des contrats dans la couverture des soins courants comme le dentaire ou l’optique, cette inflation des primes est largement responsable du renoncement aux soins pour raisons financières.

Alors que les principaux intervenants du système de santé (usagers, patients, professionnels de santé et industriels du médicament) ont largement été mis à contribution depuis la crise de 2008 pour réduire les déficits sociaux, la Mutualité française a bruyamment lutté contre la hausse de la taxe sur leurs contrats en 2011 et fait reporter l’intégralité du coût sur les assurés. Malgré des frais de gestion pléthoriques, des réserves financières colossales et une forte rentabilité, le secteur a répercuté systématiquement toute hausse des taxes et des remboursements sur les assurés, jusqu’au point de rupture actuel du renoncement aux soins et des difficultés de payer ces primes. La nouvelle revendication de la Mutualité, qui par ailleurs prône des valeurs de solidarité et de responsablité, est… la baisse de la fiscalité des contrats.

Les contrats des Ocam sont opaques : les garanties des contrats sont libellĂ©es en pourcentage de tarifs de la SĂ©curitĂ© sociale (lesquels sont mĂ©connus des assurĂ©s). Le fameux « 100% Â» relève clairement d’une pratique commerciale douteuse. En la matière, les droits des assurĂ©s sont bafouĂ©s par les Ocam. L’arrivĂ©e d’Internet n’a pas apportĂ© la transparence espĂ©rĂ©e. Au contraire, opacitĂ© et confusion règnent plus que jamais. Les comparateurs de contrats sont souvent des hameçons pour attraper des donnĂ©es client transmises directement aux Ocam partenaires ou courtiers dĂ©marcheurs. Il y a nĂ©cessitĂ© de rĂ©guler davantage le secteur des Ocam pour rendre les garanties des contrats plus lisibles et amĂ©liorer la transparence du marchĂ©. Si la situation actuelle perdure, la prĂ©carisation du secteur est inĂ©vitable.

La stratĂ©gie de gestion du risque par les Ocam conduit Ă  un faible remboursement du vrai reste Ă  charge des soins coĂ»teux. Les soins courants les plus coĂ»teux sont les plus mal remboursĂ©s. Les Ocam remboursent pour près de 15 milliards d’euros de tickets modĂ©rateurs (le TM) de ville. Ainsi les contrats prennent en charge des frais sans risque pour l’assurĂ© (le TM) aux dĂ©pens de ce qui reprĂ©sente un risque croissant : la part hors SĂ©cu des tarifs des soins courants et la part libre des honoraires (PLH). Les contrats classiques de complĂ©mentaires santĂ© sont donc peu intĂ©ressants pour la plupart des mĂ©nages.

Le secteur des Ocam comprend de profondes inĂ©galitĂ©s : les personnes les plus Ă  risque sur le plan sanitaire (les retraitĂ©s et les chĂ´meurs) souscrivent Ă  des contrats individuels deux fois plus chers et de moins bonne qualitĂ© que les salariĂ©s du privĂ©. Plus de la moitiĂ© (53%) des contrats individuels souscrits en individuel (contre 14% des contrats collectifs) sont des contrats bas de gamme qui ne remboursent quasiment que le ticket modĂ©rateur. Chirurgies et hospitalisations font prendre aux patients de gros risques financiers.

Une souscription Ă  une complĂ©mentaire santĂ© doit se faire sur des critères rationnels. Il faut tout d’abord comprendre le vrai rĂ´le des acteurs et se dire en cas de maladie grave, c’est la SĂ©cu et elle seule qui nous protègera. Il faut ensuite comparer, sur trois ans, ce que notre complĂ©mentaire nous a remboursĂ© par rapport Ă  ce qu’elle nous a coĂ»tĂ©, et si on paie plus qu’on est remboursĂ©, changer de contrat ou le rĂ©silier. Attention : avant de prendre une dĂ©cision, il faut faire un point sur les soins programmĂ©s et Ă©valuer les restes Ă  charge, car il ne s’agit pas non plus de lâcher la proie pour l’ombre. Il faut planifier les soins coĂ»teux et les prĂ©parer sur devis. Quand on avance en âge, une couverture ciblĂ©e sur le risque d’hospitalisation peut ĂŞtre pertinente. Il faut exiger la lisibilitĂ© des garanties, ne pas se livrer pieds et poings liĂ©s Ă  un opĂ©rateur (surveiller modalitĂ©s de rĂ©siliation, dĂ©lais de carence et refuser tout contrat associĂ© Ă  un rĂ©seau de soins conventionnĂ©). Il faut se mĂ©fier des comparateurs de contrats sur Internet, et plutĂ´t lancer son appel d’offres personnel, se basant sur la liste des soins et prestations dont on pense avoir besoin.

  1. RĂ©seaux de soins conventionnĂ©s : les raisons de les supprimer

Attention à ne pas confondre réseaux conventionnels de professionnels de santé (dont il est question ici) et réseaux de santé (regroupements pluridiscilinaires de professionnels, de santé ou non).

Les rĂ©seaux de soins conventionnĂ©s, basĂ©s sur le modèle du managed care amĂ©ricain, visent Ă  se substituer aux assurĂ©s pour amĂ©liorer la gestion du risque santĂ©. Qu’ils soient ouverts (le plus souvent) ou fermĂ©s, les rĂ©seaux aspirent Ă  devenir des « acheteurs de soins Â», nĂ©gociant des conditions tarifaires avantageuses pour les assurĂ©s. Les opĂ©rateurs de ces rĂ©seaux passent des accords avec les professionnels de santĂ© pour diminuer les coĂ»ts des prestations en contrepartie d’un apport de clientèle : c’est un accord prix-volume-qualitĂ©. La logique est celle d’une gestion du risque centrĂ©e sur le professionnel de santĂ©. C’est une logique d’assureur, de « fournisseur de soins Â».

Les huit principaux opérateurs des réseaux (Kalivia, Santéclair, Sévéane, Carrés bleus, Carte blanche, Itélis, Equasanté pour optique et audioprothèse et Actil) regroupent environ 38 millions d’assurés. Ils couvrent chacun en moyenne 13% des opticiens, 9% des chirurgiens dentistes et 41% des audioprothésistes. Les réseaux sont opérés par des plateformes commerciales téléphoniques et Internet, dont les Ocam sont à la fois les actionnaires et les clients. Le modèle est avant tout financier avec un financement par un forfait d’abonnement payé par l’Ocam pour chaque assuré ayant accès au réseau, indépendamment de toute qualité du service.

L’expĂ©rience amĂ©ricaine a montrĂ© que les rĂ©seaux conduisaient Ă  une course au gigantisme chez les assureurs, au creusement des inĂ©galitĂ©s en santĂ© et Ă  la hausse des dĂ©penses. Les rĂ©seaux (Health maintenance organizations et Preferred provider organizations) ont gĂ©nĂ©rĂ© aux Etats-Unis une diminution de la libertĂ© de choix des patients et la perte de l’indĂ©pendance professionnelle des soignants. Les surcoĂ»ts administratifs sont importants, et les rĂ©sultats sanitaires mĂ©diocres. L’accès aux soins est dĂ©gradĂ© : 37% de la population a dĂ©jĂ  renoncĂ© Ă  des soins pour raisons financières. L’Obamacare, votĂ©e en 2010, a Ă©largi le marchĂ© et provoquĂ© une nouvelle vague de mĂ©gafusions entre les cinq plus gros acteurs du marchĂ©. Au total, ces rĂ©seaux sont un Ă©chec social et sanitaire illustrant l’échec du modèle consumĂ©riste amĂ©ricain en santĂ©.

L’expérience française a également été un échec, tant du point de vue de l’accès aux soins (qui n’a cessé de se dégrader dans les secteurs concernés) que du point de vue de la maîtrise des coûts dans ces secteurs. Cela a généré une forte contestation des professionnels de santé, lesquels n’auraient pourtant eu qu’à sortir de ces réseaux pour les affaiblir.

Les rĂ©seaux de soins avec remboursements diffĂ©renciĂ©s doivent ĂŞtre supprimĂ©s pour ces cinq raisons :

  • Ils instaurent une mĂ©decine Ă  deux vitesses, creuset des inĂ©galitĂ©s dans le soin. La classe moyenne a accès Ă  la mĂ©decine de rĂ©seau Ă  faible innovation alors que les plus aisĂ©s ont accès Ă  la mĂ©decine innovante. L’opĂ©rateur du rĂ©seau ne peut ni dĂ©finir ni contrĂ´ler la qualitĂ©. Tout cela est contraire aux logiques solidaire et Ă©galitaire de notre système de santĂ©.
  • La libertĂ© de choix (droit fondamental) du citoyen s’affaiblit.  Les rĂ©seaux de santĂ© instaurent un coĂ»t et des pĂ©nalitĂ©s financières Ă  l’exercice du droit Ă  choisir un professionnel de santĂ©.
  • Ce système est inadaptĂ© Ă  la gestion du risque en santĂ© du XXIème siècle. La « santĂ© Â» n’est pas le « soin mĂ©dical Â». Or, ce système focalise sur le soin au lieu de viser le maintien en bonne santĂ© de la population. La gestion du risque au XXIème siècle devrait consister en une gestion en amont de ce risque, tout au long du cycle de vie de l’assurĂ©. Elle devrait aussi donner aussi un rĂ´le actif Ă  ce dernier. Mais ce serait une logique incompatible avec les rĂ©seaux qui se concentrent sur les soins après dĂ©clenchement de la maladie. On prĂ©fère maintenir l’usager dans la passivitĂ©.
  • L’indĂ©pendance professionnelle et la libertĂ© d’entreprendre sont remises en cause. Le rĂ©seau pèse progressivement sur le choix des protocoles de soin, avec pour seule logique la faiblesse des coĂ»ts. La constitution par le rĂ©seau de clientèle captive affaiblit la libertĂ© d’entreprendre.
  • C’est un système purement assurantiel qui Ă  terme condamne le secteur mutualiste. Les rĂ©seaux sont contraires aux principes d’égalitĂ© et de solidaritĂ© des adhĂ©rents sur lesquels repose le mutualisme depuis son origine. Ils induisent une course absurde au gigantisme des opĂ©rateurs.

Conclusion

Il y a clairement « mutualitĂ© Â» et « mutualitĂ© Â». Les mutuelles ne doivent pas devenir des compagnies de parasites. Les pouvoirs publics portent une lourde responsabilitĂ© dans l’évolution pour le pire du secteur mutualiste et le dĂ©placement du centre de gravitĂ© du système de santĂ© du collectif vers l’individuel. Depuis 20 ans, nos dĂ©cisionnaires se fourvoient. Si l’on continue dans cette voie, l’avenir est d’autant plus facile Ă  imaginer que nous en avons dĂ©jĂ  les prĂ©mices : transmission des donnĂ©es personnelles par les objets connectĂ©s (chez Malakoff MĂ©dĂ©ric), consultations en ligne et prescription de traitements sans examen clinique (chez Axa)… C’est bien l’amĂ©ricanisation du système qui nous guette. Sauf qu’en France, nous n’avons pas fait le choix dĂ©mocratique d’un système correspondant Ă  une culture du citoyen autosuffisant.

L’environnement a radicalement changĂ© et les pouvoirs publics n’ont pas refondĂ© le système de santĂ© : c’est un tort. Pour perdurer, chacun des acteurs du système de santĂ© doit se rĂ©inventer. En santĂ©, aujourd’hui, la meilleure Ă©conomie est gĂ©nĂ©rĂ©e par la non-consommation de soins rĂ©sultant d’un capital santĂ© que l’on a mieux gĂ©rĂ©. La gestion du risque santĂ© ne doit plus se limiter aux soins mais intervenir tout au long de la vie des individus, en amont de la maladie.

Peut-être faut-il que notre pays se retrouve dans des circonstances historiques particulières (comme en 1945) pour réagir. Peut-être aussi nous faut-il de meilleurs leaders politiques.