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Dossier : PrĂ©occupations actuelles des dentistes en devenir

Il est dĂ©sormais acquis que les enjeux modernes de l’entrĂ©e professionnelle dans le secteur dentaire privĂ© dĂ©passent très largement l’aptitude mĂ©dicale, prĂ©requis fondamental, pour s’étendre Ă  des considĂ©rations pratiques qui ont pu faire dĂ©faut au cours de la formation acadĂ©mique. Gestion d’entreprise, marketing, communication, logistique sont autant d’élĂ©ments qui ne peuvent plus ĂŞtre ignorĂ©s ou improvisĂ©s comme accessoires Ă  la rĂ©ussite d’un cabinet. Cette prise de conscience transparaĂ®t ainsi notamment dans les prĂ©occupations des chirurgiens-dentistes en devenir, dont les thèses de fin de cursus depuis une quinzaine d’annĂ©es s’éloignent de plus en plus souvent des thèmes purement mĂ©dicaux pour se dĂ©placer vers ces questions pratiques et concrètes quant Ă  ce qui les attend Ă  la sortie de leur formation. C’est un survol de ce phĂ©nomène et de certaines de ces thèses, illustrant les enjeux et prĂ©occupations actuels des futurs praticiens, que ce dossier propose de prĂ©senter, en les regroupant en trois grands thèmes : l’ergonomie et l’optimisation du cabinet, sa gestion et son management, et enfin les principes modernes de communication et de rapport au patient.

I. ERGONOMIE ET ORGANISATION DU CABINET DENTAIRE

1. Optimisation des locaux 
2. Optimisation des dispositifs instrumentaux 
3. La rĂ©duction du nombre de sĂ©ances de traitement par le rallongement des durĂ©es 
4. Les gestions des rendez-vous non programmĂ©s 

II. MANAGEMENT ET GESTION DU CABINET DENTAIRE

1. Finances, fiscalitĂ© et ressources humaines 
2. Le management de groupe et la dĂ©marche qualitĂ© 
3. Environnement et dĂ©veloppement durable  (en deux articles) 

III. LA RELATION PATIENT 

1. L’abord du patient : psychologie et communication 1/2
2. L’optimisation des premiers rendez-vous

  1. L’optimisation du premier rendez-vous : le premier examen

Les compĂ©tences techniques et l’expĂ©rience du praticien ne sont pas, ou ne sont plus, les seuls facteurs intervenant dans la rĂ©ussite d’un cabinet. Il est en effet indĂ©niable que la communication est un Ă©lĂ©ment essentiel pour construire et dĂ©velopper son cabinet aujourd’hui. L’accueil, la gentillesse, la disponibilitĂ© de toute l’Ă©quipe, la qualitĂ©, le confort et l’hygiène du cabinet, la capacitĂ© de crĂ©er des liens et de sĂ©duire ont Ă©galement une grande importance dans la constitution d’un vĂ©ritable attachement du patient. C’est dès le premier rendez-vous que ces impressions doivent ĂŞtre Ă©tablies, que doit ĂŞtre claire dans l’esprit du patient la qualitĂ© du service que nous allons lui dispenser. C’est pourquoi l’accueil au cabinet est primordial, et ce qui Ă©tait valable concernant les premières impressions quant aux locaux et Ă  l’accueil par le personnel (notre prĂ©cĂ©dent article) est d’autant plus important concernant le praticien.

Typologie du patient

Lorsque le patient sort de la salle d’attente, nous devons ĂŞtre capable de dĂ©finir le type de personnage qui se prĂ©sente Ă  notre cabinet. Comme on l’a Ă©voquĂ©, la poignĂ©e de main permet de donner dĂ©jĂ  une première impression. Pour bien identifier la typologie de son patient et adapter notre communication et notre attitude en fonction de celle-ci, nous pouvons nous baser sur diffĂ©rents critères :

L’âge

  • L’enfant

La première fois que les enfants se rendent chez le dentiste, ils ne sont pas vraiment rassurĂ©s. Ils sont gĂ©nĂ©ralement accompagnĂ©s par un parent. La relation est donc triangulaire. On ne doit en aucun cas privilĂ©gier le parent au dĂ©triment de l’enfant, car c’est lui le patient, il a besoin qu’on s’adresse Ă  lui en tant que personne. Si la mère est angoissĂ©e, il est bon de la rĂ©conforter en la gardant prĂ©sente, mais Ă  la bonne distance, pour qu’elle n’interfère pas dans le dialogue qui s’instaure avec l’enfant. Ce dernier nous aura bien scrutĂ© et « jugĂ© » : notre physique, notre prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale, mais aussi notre voix, nos mimiques, nos moindres gestes qui lui rĂ©vèlent notre potentiel de bienveillance, de comprĂ©hension ou d’agressivitĂ©. Non Ă©liminĂ©s dès le dĂ©but, les parents se retireront d’autant plus facilement aux sĂ©ances suivantes, ce qui enchante la plupart des enfants, heureux de l’autonomie relationnelle acquise avec celle qui lui inspire un « transfert » parfois très positif. Soigner un enfant requiert une rĂ©elle disponibilitĂ©, une authenticitĂ© : l’enfant n’est jamais dupe. Une prĂ©sentation simple, un commentaire sur ce qui va ĂŞtre fait, avec des mots imagĂ©s (la dent qui va s’endormir et qui se rĂ©veillera après, le petit ruisseau qui va rincer la bouche…) On peut Ă©galement donner Ă  voir, dans une glace, le petit miroir de bouche qui montre bien les dents sur toutes les faces, ou « la petite cuillère », (l’excavateur) qui nettoie les dents, etc. Encore plus qu’avec tout patient adulte, l’enfant doit disposer d’un code signal lorsque la contrainte imposĂ©e dĂ©passe son seuil de tolĂ©rance, code qui doit ĂŞtre rigoureusement respectĂ©. La relation n’est pas toujours idyllique. On se doit d’exprimer les difficultĂ©s et parfois on peut se trouver amenĂ© Ă  diffĂ©rer des soins non impĂ©ratifs. La difficultĂ© principale rĂ©side dans le maintien d’une attitude empathique et ferme Ă  la fois pour rĂ©aliser les soins dans les meilleures conditions.

  • L’adolescent

L’adolescence est une phase de construction de la personnalitĂ© oĂą l’on doute de soi et de son corps. Les adolescents se focalisent sur une partie de leur corps (taille-nez-ventre) pour manifester leur mal-ĂŞtre. Un jeune patient qui a une mauvaise haleine ou une santĂ© bucco-dentaire dĂ©gradĂ©e exprime souvent des difficultĂ©s d’ordre psychologique. C’est une pĂ©riode de la vie oĂą l’on s’exprime de manière dĂ©tournĂ©e, oĂą l’on Ă©voque un point de dĂ©tail au lieu de verbaliser le vĂ©ritable motif de sa consultation. Comme tous les professionnels de santĂ©, nous devons prendre en compte ce mode d’expression particulier, sans pour autant sortir de notre rĂ´le de soignant. Nous devons jouer notre personnage de rĂ©fĂ©rent adulte en posant des limites, en ne donnant pas suite Ă  des revendications fantaisistes. On doit Ă©tablir et conserver une certaine distance avec les adolescents. Ce point revĂŞt une importance essentielle. Quoiqu’ils en disent, ils sont toujours entre deux pĂ´les, le rejet du monde adulte et le besoin d’Ă©changes, de contacts, de repères clairs avec la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente. Cette ambivalence est le signe mĂŞme de l’adolescence.

  • La personne âgĂ©e

La personne âgĂ©e est celle dont les facultĂ©s diminuent irrĂ©versiblement et qui nĂ©cessite un accompagnement de plus en plus soutenu durant les soins. L’accompagnement verbal doit ĂŞtre Ă  la mesure du souci constant du confort physique de ce patient, pour qu’il puisse supporter avec le moins d’effort possible ce qui est Ă  la fois une Ă©preuve et souvent un bonheur, parce que l’on s’occupe de lui. Du fait d’une mĂ©moire dĂ©faillante, d’une surditĂ© frĂ©quente, d’une comprĂ©hension
moins rapide, des explications articulĂ©es seront tranquillement rĂ©pĂ©tĂ©es. La relation est dĂ©licate par la sensibilitĂ© et la finesse intuitive qui caractĂ©risent la plupart des personnes âgĂ©es. Elle demande de la part du praticien beaucoup de disponibilitĂ©, mais aussi une maĂ®trise Ă©motionnelle. L’angoisse de perdre des dents est prĂ©sente chez les patients âgĂ©s. En effet, leur vĂ©cu de chaque jour est fait de pertes et de renoncements.

Les personnalités difficiles et pathologiques

On considère qu’une personnalitĂ© est « normale Â» lorsqu’elle est adaptĂ©e Ă  son milieu. Les personnalitĂ©s pathologiques se dĂ©finissent par un Ă©tat de marginalisation permanent. Leurs comportements, leurs attitudes et leurs conduites mettent en pĂ©ril le soignant qui ne sait pas toujours les identifier et encore moins conserver la distance thĂ©rapeutique plus que jamais nĂ©cessaire.

  • Les patients difficiles

Les patients difficiles sont ceux qui dĂ©passent la capacitĂ© de tolĂ©rance de celui auquel ils s’adressent. Le plus souvent figĂ©s dans des attitudes rigides oĂą dominent l’impulsivitĂ©, l’immaturitĂ© ou l’instabilitĂ©, ils peuvent devenir agressifs, parfois mĂŞme violents. Lorsque nous recevons ce type de patient, nous Ă©prouvons des sentiments de rejet et de rĂ©volte mĂŞlĂ©s de culpabilitĂ©. Ce sont souvent en rĂ©alitĂ© des patients d’une grande vulnĂ©rabilitĂ© qui craignent d’ĂŞtre incompris.

  • Les personnalitĂ©s pathologiques

Sans aller jusqu’Ă  un diagnostic prĂ©cis, certains traits permettent de distinguer les diffĂ©rents types de personnalitĂ©s, car reconnues, elles vont guider notre attitude et orienter notre projet thĂ©rapeutique :

• La personnalité hystérique : elle se caractérise par des attitudes théâtrales, une recherche de séduction, une érotisation de la relation, un égocentrisme et un besoin constant de nous manipuler. On se retrouve souvent en échec car la demande est inépuisable et la satisfaction est
rare.

• La personnalitĂ© obsessionnelle : ponctualitĂ©, ordre, propretĂ©, rigueur, avancĂ©s sous couvert du sens moral, tournent vite Ă  l’excès. De plus, il y aura toujours un dĂ©tail esthĂ©tique, fonctionnel ou financier qui ne donnera pas de satisfaction. Un signe clinique frappant chez ce
personnage est le brossage qui est dévastateur.

• La personnalitĂ© phobique : une hyperĂ©motivitĂ© constitutionnelle, une hypersensibilitĂ©, une anxiĂ©tĂ© incontrĂ´lable font de ce patient un ĂŞtre qui parfois n’a jamais pu se rendre Ă  un rendez-vous ou s’est sauvĂ© plusieurs fois de la salle d’attente. L’Ă©coute de l’histoire des expĂ©riences nĂ©gatives ou traumatologiques est capitale. Ces patients, très difficiles de premier abord, sont les plus fidèles et les plus attachants qui soient, Ă  condition de leur avoir consacrĂ© le temps, l’Ă©coute et l’empathie dont ils semblent n’avoir guère bĂ©nĂ©ficiĂ© jusque-lĂ .

• La personnalitĂ© paranoĂŻaque : personnalitĂ© la plus dangereuse par une forte tendance Ă  la quĂ©rulence (dĂ©sir d’obtenir justice et rĂ©paration), un autoritarisme, une surestimation de soi, une psychorigiditĂ©, une insociabilitĂ© gĂ©nĂ©ralement agressive, elle se repère vite. La plus grande
prudence s’impose.

• La personnalitĂ© hypochondriaque : frĂ©quemment associĂ© au malade imaginaire, il est tenace, il sait tout, mieux que nous. En l’absence de toute lĂ©sion anatomopathologique, la moindre sensation buccale est amplifiĂ©e et relatĂ©e avec une minutie descriptive qui met en Ă©chec tout traitement d’odontostomatologie. Il est clair que seule l’Ă©coute attentive peut nous mettre en garde.

  • La personne dĂ©primĂ©e

Lors de l’arrivĂ©e du patient, on remarque l’attitude gĂ©nĂ©rale, empreinte de lassitude, le dĂ©bit verbal ralenti, l’atonie. On observe un sourire rare et un dĂ©sintĂ©rĂŞt pour l’apparence, et enfin une attitude passive, fataliste ou un dĂ©sintĂ©rĂŞt soins dont tĂ©moigne l’irrĂ©gularitĂ© du suivi. Nous devons bien communiquer avec ces patients. Il faut Ă©normĂ©ment de tact et d’Ă -propos, ni ĂŞtre trop brusque ni trop temporiser. Ce patient craint d’ĂŞtre entrĂ© dans la rĂ©gression, en mĂŞme temps qu’il l’espère. Il convient d’ĂŞtre ferme sur le cadre des soins, preuve donnĂ© au patient qu’il a une certaine valeur. Au final, le message passe plus Ă  travers la qualitĂ© des soins proposĂ©s et maintenus, parfois contre l’opinion et les actes du patient.

Les apparences

Conservateur, vert, branchĂ© ou glamour, les diffĂ©rentes appartenances presque « tribales Â» Ă  ces catĂ©gories qui peuvent sembler un peu « clichĂ© Â» sont toutefois des facteurs Ă  prendre en compte dans la relation et surtout dans la façon d’aborder le traitement, notamment par le rapport qu’elles impliquent par exemple Ă  la modernitĂ©, au bien-ĂŞtre, aux modes, Ă  l’esthĂ©tique etc…

Les cas particuliers

  • La femme enceinte

Face Ă  une femme enceinte, le rĂ©flexe immĂ©diat est de prendre Ă  chaque Ă©tape du soin (radiographie, anesthĂ©sie, prescription), les prĂ©cautions nĂ©cessaires pour ne pas risquer de nuire au bon dĂ©roulement de la grossesse et de prĂ©server la santĂ© de la mère et du futur enfant. Pendant la grossesse, il est important d’Ă©valuer Ă  tout moment le rapport entre bĂ©nĂ©fice attendu d’un traitement et risque connu ou potentiel pour le futur enfant en fonction de son âge gestationnel au moment du soin (notamment concernant les prescriptions mĂ©dicamenteuses). Dans ce genre de cas, la communication avec le mĂ©decin traitant et le gynĂ©cologue doit ĂŞtre active car elle peut nous apporter une l’aide prĂ©cieuse pour Ă©viter les pièges.

  • Le patient fumeur

« Nous sommes aux premières loges pour constater les méfaits du tabac » rappelle le Professeur Philippe Pougatchev. En effet, les ravages du tabac apparaissent en premier lieu dans la cavité buccale, véritable chambre à combustion. Il est prouvé que la prise de cette substance augmente
considérablement les risques de cancers buccaux, de parodontopathies et de nombreux effets indésirables (halitose, coloration des dents) et peut compromettre ainsi la réalisation et la pérennité de nos traitements. Devant la gravité de la situation, nous ne pouvons banaliser ce risque. La prévention du tabagisme doit être une priorité de notre quotidien pour améliorer la prise en charge bucco-dentaire.

Les principes généraux de communication

La communication verbale

Plusieurs facteurs participent Ă  la qualitĂ© de cette communication :

  • La voix

Il s’agit de la manière de parler (tonalitĂ©, intensitĂ©, dĂ©bit) qui accentue et amplifie l’impact des mots. Cette voix doit ĂŞtre claire, agrĂ©able et en accord avec le contenu du message. La parole doit attĂ©nuer le bruit des instruments et ĂŞtre rassurante.

• le ton de la voix permet de détecter les sentiments,

• le volume de la voix doit Ă©galement ĂŞtre adaptĂ© Ă  la distance : ni trop fort car c’est un signe d’autoritĂ©, ni trop faible car elle signifie un manque de confiance en soi ou d’assurance.

• le timbre exprime la personnalité du praticien qui doit faire bonne impression sur son patient.

  • Le souffle et le verbe

Pour vaincre le trac, le praticien doit gĂ©rer sa respiration et permettre une pleine capacitĂ© pulmonaire en oubliant ses craintes rĂ©elles ou imaginaires. L’expression verbale comporte des ponctuations sonores comme des notations musicales. Le silence après une phrase marque la fin de cette phrase et la met en valeur. Un renforcement du ton de la voix marque une exclamation et une montĂ©e de la voix une interrogation. La ponctuation sonore est très utile et permet de traduire de la manière la plus juste possible l’idĂ©e Ă©noncĂ©e par le praticien. Lorsqu’on dĂ©veloppe un argumentaire, le rythme de la phrase est important, la ponctuation doit ĂŞtre marquĂ©e. L’interpellation est une forme très vivante de captation de l’attention et la rĂ©pĂ©tition de certains mots accroche l’Ă©coute. Les anecdotes, paraboles, le vĂ©cu, l’humour sont les meilleurs moyens de retenir l’attention mais la sincĂ©ritĂ© reste le garant le plus sĂ»r de l’attention du patient.

On doit s’efforcer :

• d’Ă©liminer les tics de langage qui se rĂ©pètent normalement (« heu, vous savez … »),
• de supprimer les banalités, les pertes de temps,
• d’amĂ©liorer la ponctuation sonore, la gestuelle,
• d’avoir un rythme et un volume d’Ă©mission vocale adaptĂ©s au patient,
• d’avoir une bonne haleine.

  • Le choix du langage

Chaque mot prononcĂ© a une puissance plus ou moins grande, certains rassurants, d’autres blessant. Le silence peut aussi faire souffrir. On distingue plusieurs types de discours ou registres : populaire, familier, littĂ©raire ou scientifique. La diversitĂ© du contenu des phrases s’Ă©largit encore pour chaque niveau de langage. Certains mots techniques font peur et doivent donc ĂŞtre Ă©liminĂ©s du vocabulaire. Le praticien doit s’adapter au langage de son patient. La formulation doit rester positive. Par exemple, la formule « bĂ©nĂ©ficier d’un traitement » doit ĂŞtre prĂ©fĂ©rĂ©e Ă  « subir un traitement ».

  • L’importance du « nous »

Le mot « nous » encourage une approche commune et nous rapproche de notre patient. Il lui permet de jouer un rĂ´le dans l’Ă©dification de son plan de traitement. De nombreux chirurgiens-dentistes consacrent beaucoup de temps Ă  Ă©tablir un plan de traitement pour, finalement, essuyer un refus. Il est important de parler en utilisant le mot « nous ». Par exemple, pour le diagnostic, « nous avons dĂ©couvert » implique l’Ă©quipe du cabinet, « nous pouvons examiner cette zone pour cerner la gravitĂ© du problème… » implique aussi le patient dans l’examen. Pour le traitement, le « nous » est indispensable : « nous avons une bonne opportunitĂ© d’amĂ©liorer l’Ă©tat de votre bouche » installe une meilleure relation praticien-patient, comme « nous pouvons sauver ces dents si… » responsabilise le patient. Lors de la finalisation, le « nous » est impĂ©ratif « notre projet comportera donc… » « nous commencerons dès le prochain rendez-vous par… ». Ainsi, le patient se sent investi, parce que le mot « nous » a un double effet : il renforce la notion d’Ă©quipe dentaire et il nous place collectivement du cĂ´tĂ© du patient.

  • Les questions

Pour Ă©tablir une bonne communication, le praticien doit encourager le patient Ă  s’exprimer. Le type ou la forme de la question posĂ©e influe sur la qualitĂ© des rĂ©ponses du patient.

• Les questions ouvertes n’influencent pas le patient et l’invitent Ă  s’exprimer. Elles provoquent chez lui un plaisir Ă  ĂŞtre Ă©coutĂ©. Ces questions visent Ă  dĂ©couvrir le fond du problème (« Que souhaitez-vous ? », « Que s’est-il passĂ© ? »).

• Les questions fermées (réponses en oui ou non) sont plus directives, elles introduisent dans la
relation les idées du praticien et visent à aller à l’essentiel (« Souffrez-vous ? », « La pression est-elle douloureuse ? »).

• Les questions informatives sont destinées à préciser certains points particuliers et appellent une réponse brève (« Quand la douleur est-elle survenue ? »).

• Les questions alternatives suggèrent que le patient est dĂ©jĂ  dĂ©cidĂ©, ce qui peut s’avĂ©rer utile chez un patient hĂ©sitant. Ces questions sont efficaces mais leur rĂ©pĂ©tition Ă©voque la manipulation et peut entraĂ®ner une mĂ©fiance chez le patient (« PrĂ©fĂ©rez-vous que nous traitions la molaire en premier ou que nous commencions par l’incisive ? »)

  • Les reformulations

Les reformulations des rĂ©ponses du patient sont un complĂ©ment indispensable du dialogue. Elles ont un effet simulateur de l’expression du patient, de sa rĂ©flexion et assurent le patient de l’Ă©coute comprĂ©hensive du praticien.

  • Les silences

Ils permettent d’effectuer une introspection ou une rĂ©flexion sur ce qui vient d’ĂŞtre dit, mais aussi d’attirer l’attention sur les arguments qui vont suivre. Ils incitent Ă©galement notre patient Ă  parler s’ils font suite Ă  une reformulation, Ă  une question ouverte. Le silence diffère selon sa durĂ©e :

• bref, il signifie l’approbation. En gĂ©nĂ©ral, l’interlocuteur reprend la parole et complète l’idĂ©e prĂ©cĂ©dente pour Ă©viter un lĂ©ger malaise,

• prolongĂ©, il provoque l’incertitude, voire la dĂ©nĂ©gation et peut conduire Ă  un malaise.

Le silence est une technique de communication certainement parmi les plus efficaces. Le praticien qui peut vaincre son envie de parler gagnera beaucoup de temps et d’efficacitĂ©.

La communication non verbale

Les messages non verbaux ont surtout une portĂ©e affective. Ils trahissent nos Ă©tats d’âme, nos Ă©motions et nos sentiments. Notre façon de considĂ©rer le patient favorise ou non la communication et l’attitude, que nous avons Ă  son Ă©gard, conditionne l’Ă©change. PoignĂ©e de main, regard, tenue, sourire, posture sont autant de dĂ©tails qui influeront sur la première impression que l’on veut provoquer, comme sur l’identification du type de patient auquel nous avons Ă  faire.

La Programmation Neuro-Linguistique (PNL)

Que signifie Programmation Neuro-Linguistique ? Neuro, car c’est « dans le cerveau que ça se passe ». Linguistique, car c’est par le langage qu’on exprime ce que l’on pense. Programmation, car nous sommes principalement influencĂ©s par nos expĂ©riences passĂ©es. C’est un modèle de comprĂ©hension Ă  la fois des comportements et des mĂ©canismes mentaux qui les sous-tendent. Il s’agit Ă©galement de techniques psychothĂ©rapeutiques classĂ©es dans les thĂ©rapies comportementales. Cet arsenal est complĂ©tĂ© par des techniques de communication ou, plus prĂ©cisĂ©ment, par des mĂ©thodes d’amĂ©lioration de la relation.

Les différents stades de PNL sont :

• La calibration : C’est observer avec une attention très fine les dĂ©tails de comportement, de posture, de visage, pour s’accorder, et se synchroniser.

• L’adaptation verbale et non-verbale : La synchronisation apparaĂ®t au niveau du vocabulaire employĂ©, du ton de la voix, du dĂ©bit, des termes utilisĂ©s qu’il est parfois important de reformuler exactement.

• L’adaptation aux prĂ©supposĂ©s : Les prĂ©supposĂ©s sont contenus dans une phrase sans ĂŞtre dits. Entre ce qui est dit et ce qui voulait ĂŞtre dit, il existe des vides. C’est lĂ  que se logent les prĂ©supposĂ©s. Ils sont directement liĂ©s aux systèmes de croyances et aux critères de chaque individu et donc sont Ă  manier avec grande prĂ©caution, sinon gare au rapport de confiance.

• ĂŠtre en conscience externe : Nous avons tous trois niveaux de conscience. Tout d’abord, le comportement externe se traduit par ce que nous faisons, nous disons, en bref, nos actions dans le moment. Ensuite, l’Ă©tat interne est constituĂ© des Ă©motions, des sensations primaires (faim, soif, froid, chaud) ou secondaires (colère, peur, joie…). Enfin, les processus internes sont ce Ă  quoi nous pensons, images mentales associĂ©es, confrontation d’expĂ©riences vĂ©cues, interrogation de nos mĂ©moires. Ă€ partir de ces trois niveaux de conscience, le but de la PNL est
d’accĂ©der au niveau inconscient pour choisir le comportement, les Ă©motions ou les pensĂ©es les mieux adaptĂ©es Ă  telle ou telle situation. En situation interpersonnelle avec un patient ou une assistante, rester en conscience externe favorise le rapport en maintenant la concentration sur l’interlocuteur, d’autant que les passages dans d’autres niveaux de conscience sont perceptibles par un comportement externe modifiĂ© (agitation des jambes, tripotage d’un objet, fuite du regard…).

Les attitudes facilitant la communication

Le praticien et son Ă©quipe doivent avoir un comportement qui induit un climat sĂ©curisĂ©. Ils doivent adopter des attitudes qui facilitent le bon dĂ©roulement de l’entretien et mettent le patient en confiance.

  • L’Ă©coute active

La qualitĂ© de la relation, c’est-Ă -dire de la communication entre les deux interlocuteurs va dĂ©pendre de la qualitĂ© d’Ă©coute. Elle ne doit pas ĂŞtre simulĂ©e, sĂ©lective ou rĂ©ductrice. En plus, cette Ă©coute va permettre de combattre les lacunes existantes lors de la transmission d’un message entre le rĂ©cepteur et un Ă©metteur. Lors de la première consultation, nous avons plus qu’Ă  tout autre moment le devoir de montrer au patient notre dĂ©sir d’apprendre, par sa bouche, tous les renseignements propres Ă  faciliter le diagnostic ainsi que notre curiositĂ© Ă  le connaĂ®tre et Ă  dĂ©couvrir ses besoins les plus profonds. Entendre sans confusion, sans perte des idĂ©es Ă©mises, sans distorsion de sens, est un acte volontaire. Comme notre attention a tendance Ă  diffuser vers des pensĂ©es parallèles, un effort est nĂ©cessaire pour maintenir le fil du dialogue :

• Commencer la consultation en précisant : « Je tiens à vous dire que cette séance sera consacrée à vous écouter, à vous connaître et à comprendre vos besoins. »

• Utiliser des encouragements verbaux et non verbaux (« je comprends », « je note »

• Éviter de faire quelque chose en mĂŞme temps (si ce n’est prendre des notes)

• Reconnaître les messages non verbaux qui illustrent les sentiments (la double lecture)

• Choisir les mots justes en harmonie avec le langage du patient

• Reformuler les réponses, ne pas porter de jugement

• Ne jamais être pressé par le temps, car le temps joue en faveur de notre efficacité.

  • L’Ă©coute rĂ©ceptive

L’un des Ă©lĂ©ments clĂ©s de la rĂ©ussite des rapports praticien-patient est la confiance mutuelle, si le praticien parvient Ă  montrer au patient sa rĂ©ceptivitĂ©, il ouvre la voie vers une relation riche et profonde. Pour que le courant passe bien, le patient doit ĂŞtre Ă  l’aise et dĂ©tecter chez le praticien de nombreux points communs, d’oĂą l’importance de la synchronisation, verbale et non verbale. La synchronisation non verbale ne consiste pas Ă  copier les tics ou le vocabulaire du patient mais Ă  adopter une attitude et des mouvements proches qui crĂ©ent une parentĂ© rassurante. Cela passe par l’allure, la dĂ©marche, les expressions du visage ou encore la respiration, et souvent cette synchronisation est inconsciente. La synchronisation verbale quant Ă  elle passe par le mode d’expression, le vocabulaire, qui doivent ĂŞtre adaptĂ©s Ă  chaque patient. La synchronisation consiste Ă  dĂ©tecter les particularitĂ©s du patient et Ă  y converger par la tournure des phrases, le registre du langage (familier, soutenu…), le volume sonore et les pauses. La technique du miroir consiste Ă  gommer les diffĂ©rences de la gestuelle, de la posture, des rythmes pour favoriser l’Ă©coute rĂ©ceptive.

  • La comprĂ©hension empathique et le respect

Il s’agit de la capacitĂ© du praticien Ă  percevoir le message affectif inconscient exprimĂ© par le patient. S’il parvient Ă  comprendre le sens profond de son anxiĂ©tĂ©, de ses rĂ©ticences, il Ă©prouvera une satisfaction qui permettra une « libĂ©ration » du patient. Le praticien doit savoir rester calme devant les rĂ©actions du patient. Grâce aux signaux non verbaux, il peut dĂ©tecter ce que le patient ressent vraiment au fond de lui, ses Ă©motions, afin de les Ă©vacuer et de les canaliser. Cependant, il faut rester neutre et admettre les propos du patient, ne pas le contredire. Lorsqu’il adopte une attitude rĂ©ceptive et positive, le praticien avec chaleur rend le pouvoir Ă  son patient qui se considère comme le principal arbitre de ses comportements. Par cette attitude, le praticien reconnaĂ®t au patient le droit de mener sa vie en pleine responsabilitĂ©, il lui fait confiance. Le praticien montre qu’il respecte la façon dont le patient voit les choses ; il est lĂ  pour comprendre, non pour juger. Cela ne va pas toutefois jusqu’Ă  tout accepter, mais Ă  ne pas donner tort d’emblĂ©e. On doit laisser au patient le choix car ce dernier doit garder son libre arbitre. Ce choix peut porter sur les rendez-vous, le moyen de paiement ou autre chose. Il faut enfin confirmer par Ă©crit la solution trouvĂ©e, afin de ne pas laisser de place au doute une fois le problème rĂ©solu. Il ne sert Ă  rien de forcer la volontĂ© du patient ou de tenter de la manipuler, puisqu’il pourra accepter dans un premier temps, mais s’arrangera par la suite pour plier la situation Ă  sa volontĂ©, et cela parfois sans mĂŞme en ĂŞtre conscient.

  • La congruence

C’est la correspondance exacte entre ce que le praticien sent et pense intĂ©rieurement et ce qu’il transmet au patient. Le praticien ne joue pas un rĂ´le mais est vraiment lui-mĂŞme. Pour que la communication praticien-patient soit efficace, il est important de cesser de se prĂ©occuper de son image et de se montrer sous son vrai jour. On ne fait pas confiance Ă  une personne que l’on sent
artificielle. En donnant de lui une image plus humaine, dénuée de toute supériorité artificielle, la congruence du praticien provoque celle du patient par un effet de miroir.

Applications au cabinet

C’est donc fort de ces principes que le praticien va orchestrer cette première consultation Ă  chaque Ă©tape. L’accueil au bureau se fera ainsi Ă  l’heure (la ponctualitĂ© Ă©tant un premier signe de respect et son absence perçue comme mĂ©prisante, surtout lors d’un premier contact), le premier entretien au bureau en posture plutĂ´t cĂ´te-Ă -cĂ´te (Ă©galitĂ©, connivence) plutĂ´t que face Ă  face (opposition, compĂ©tition). Le premier examen, transition traumatique pour le patient dont la bouche passe d’organe de parole et d’échange Ă  organe source de maux et explorĂ© par un Ă©tranger, se fera en respectant les mĂŞme principes que l’accueil (Ă©coute, attention, bienveillance, soin aux dĂ©tails internes comme l’attitude ou le choix des mots, et externes comme l’environnement sonore, olfactif, et l’hygiène du praticien, des instruments et de la pièce). Il est bon de rappeler Ă  ce stade que le praticien n’est a priori pas seul responsable du bien-ĂŞtre du patient, et que le rĂ´le de l’assistant(e) est dĂ©terminant, dans une double perspective : Ă©videmment, il ou elle doit appliquer les mĂŞmes principes de communication et ceux plus spĂ©cifiques Ă  son rĂ´le que nous Ă©voquions dans notre prĂ©cĂ©dent article, mais l’attitude du praticien envers son assistant(e) est Ă©galement, pour le patient, rĂ©vĂ©latrice de sa personnalitĂ© et de la vĂ©racitĂ©, de la fiabilitĂ© du personnage qu’il dĂ©couvre. Un dentiste agrĂ©able avec son patient mais sec, autoritaire ou mĂ©prisant avec son personnel sera immĂ©diatement percĂ© Ă  jour et son attitude positive avec le patient discrĂ©ditĂ©e comme hypocrite.

Le praticien n’hésitera pas à user des outils complémentaires permettant à la fois de mieux éduquer le patient sur sa propre situation et de le valoriser en respectant sa capacité à comprendre ce qu’on lui montre (radiographies, schémas, photographies, vidéos…). L’intérêt que l’on porte à sa santé bucco-dentaire pourra s’exprimer, outre le plan de traitement envisagé, par un souci éducatif plus large sur l’hygiène, le brossage, l’alimentation (fiches éducatives, newsletter, conseils et recommandations personnalisés…).

En conclusion, lorsque ce premier examen est terminĂ©, il est utile de faire un rapide bilan des problèmes et affections qui ont Ă©tĂ© constatĂ©s, afin de donner des pistes de rĂ©flexion au patient. Il faut laisser le temps de peser et d’accepter la rĂ©alitĂ© de son Ă©tat buccodentaire dans l’attente de l’exposĂ© de la solution thĂ©rapeutique. En effet, de nombreux patients n’ont pas conscience de ce qui se passe dans leur bouche et cette première consultation est parfois pour eux une dĂ©couverte. Il est alors important de leur laisser le temps d’accepter la rĂ©alitĂ© des affections qui
Ă©voluent dans leur bouche. Il est primordial de ne pas donner d’estimation du montant du devis Ă  l’issue de cette première consultation mĂŞme si les patients insistent, et de ne poser qu’un diagnostic et pas un plan de traitement. MĂŞme si cela peut frustrer le patient sur le moment, ce temps de rĂ©flexion sera très vite perçu une double marque d’intĂ©rĂŞt : laisser le temps au patient d’intĂ©grer ses besoins et problèmes rĂ©els et dĂ©cider lui-mĂŞme de la nĂ©cessitĂ© d’un traitement, et lui montrer qu’on ne lui propose pas un plan type mais que l’on prĂ©pare un plan personnalisĂ© et unique qui ne peut Ă©videmment se dĂ©terminer Ă  la volĂ©e, en quelques minutes. En revanche, il est bon d’expliquer la politique financière du cabinet, de dĂ©finir un cadre prĂ©cis pour l’encaissement des honoraires et ainsi Ă©viter cette question dĂ©licate lorsque les soins ont dĂ©butĂ©. Par exemple, « en ce qui concerne le règlement des honoraires, la politique du cabinet est de faire rĂ©gler les soins conservateurs Ă  la fin de chaque sĂ©ance. Pour les soins prothĂ©tiques et ceux qui ne sont pas pris en charge par la sĂ©curitĂ© sociale, nous Ă©tablirons un devis que nous vous prĂ©senterons lors du prochain rendez-vous. Nous rĂ©flĂ©chirons Ă©galement si nĂ©cessaire Ă  une entente financière, ainsi nous parlerons d’argent lors de ce prochain rendez-vous, ce qui nous permettra de nous consacrer exclusivement aux soins par la suite ». L’argent est toujours un sujet d’abord dĂ©licat, mais il ne faut absolument jamais l’esquiver, ni afficher de gĂŞne au risque de rendre le patient mĂ©fiant quant Ă  la lĂ©gitimitĂ© des montants estimĂ©s ou mĂŞme Ă  l’honnĂŞtetĂ© du cabinet. Ce second rendez-vous, que nous traiterons dans le prochain article de notre dossier, s’avèrera ainsi, nous le verrons, tout aussi important que le premier.