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« MĂ©decine en danger, qui pour nous soigner demain ? Â»

du Dr Jean-Christophe Seznec et de Stéphanie Rohant, First éditions, 2013

Chapitre 1 : Je n’arrive plus Ă  me soigner !

En France, il est de plus en plus difficile de se faire soigner : diminution du nombre de gĂ©nĂ©ralistes et de spĂ©cialistes, urgences surchargĂ©es, difficultĂ©s de communication avec les mĂ©decins Ă©trangers… L’Etat multiplie les rĂ©formes aussi inefficaces qu’autoritaires, comme par exemple le catastrophique Contrat d’accès aux soins de janvier 2016.

MĂ©decins et patients se retrouvent opposĂ©s, contre leur grĂ©. Les mĂ©decins sont usĂ©s par le ton souvent accusateur employĂ© par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui leur reproche des paiements indus ou exige des remboursements Ă  leur Ă©gard ; l’administratif prend de plus en plus de temps ; l’espace « pro Â» d’Ameli (le site de l’assurance maladie) dysfonctionne rĂ©gulièrement ; il faut passer derrière les patients qui ne remplissent pas correctement leurs documents ; des rejets de tĂ©lĂ©transmission obligent Ă  refaire des feuilles de soins ; des dĂ©lĂ©guĂ©s de l’Assurance maladie viennent rĂ©gulièrement en « inspection Â» ; les patients entre deux couvertures maladie sont angoissĂ©s, se plaignent et c’est au mĂ©decin de gĂ©rer leurs Ă©motions…

Soigner va au-delà de la technique. La médecine s’appuie sur la relation à l’autre. Elle demande du temps. Or, du temps, les médecins n’en ont plus. Habituellement discrets, ils expriment à présent leur colère. Beaucoup souffrent, font des burn out, se sentent maltraités et harcelés. Beaucoup abandonnent leur activité (-8,4% entre 2007 et 2016 selon le Conseil de l’Ordre et -10,3% entre 2007 et 2015). Certains se suicident.

Leurs plaintes se heurtent Ă  beaucoup d’incomprĂ©hension : ils sont des privilĂ©giĂ©s, des nantis qui profitent du système ; ils refusent certains patients, sont de mèche avec les labos, profitent du système en demandant des dĂ©passements d’honoraires, sont responsables du trou de la SĂ©cu, refusent de s’adapter alors que c’est la crise…

On veut faire croire que la santé peut être gratuite, ce qui n’est pas le cas.

Les mĂ©decins sont malades de l’évolution de la sociĂ©tĂ© : dĂ©cisions technocratiques inadaptĂ©es, sociĂ©tĂ© du spectacle. Ils ne sont plus vĂ©nĂ©rĂ©s. Dans la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, on voit maintenant le mal partout. Tout devient jetable, mĂŞme le soin. « J’y ai droit Â» devient le seul leitmotiv. L’absentĂ©isme des patients (rendez-vous pris et non honorĂ©s sans annulation prĂ©alable) est devenu un Ă©norme problème : 28 millions de consultations mĂ©dicales sont ainsi perdues chaque annĂ©e, soit le travail de 8433 mĂ©decins.

Alors qu’il devrait ĂŞtre un citoyen comme les autres, le mĂ©decin a moins de droits que la plupart des autres travailleurs. Son espĂ©rance de vie est la mĂŞme que celle d’un ouvrier. Il est souvent harcelĂ© (notamment par l’URSSAF). Souvent, il abandonne : en 2014, il n’y a eu Ă  Paris aucune installation de mĂ©decin. A Marseille, 80% des mĂ©decins ne trouvent pas de repreneur.

PĂŞle-mĂŞle, voici une liste des tracas administratifs que les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes subissent : obligation d’écrire Ă  la main sur l’ordonnance la mention « non substituable Â» devant chaque mĂ©dicament dont on ne veut pas du gĂ©nĂ©rique ; obligation de remplir une entente prĂ©alable pour la prescription de certaines statines ayant une Autorisation de mise sur le marchĂ© (AMM) ; interdiction pour les gĂ©nĂ©ralistes de prescrire certains mĂ©dicaments (le Rivotril par exemple) ; problèmes avec la CPAM qui ne rembourse qu’une partie de la consultation des patients bĂ©nĂ©ficiaires de la Couverture maladie universelle (CMU) n’ayant pas dĂ©clarĂ© de mĂ©decin traitant, et ceci alors que le mĂ©decin n’a pas le droit de refuser ces patients ; feuilles de soins Ă©mises lors des gardes de nuit renvoyĂ©es impayĂ©es ; refus par la CPAM de rĂ©gler les tiers payants Ă  la moindre rature ; honoraires indĂ»ment appelĂ©s « remboursements Â» par la CPAM (sentiment de mesquinerie…)…

Alors que le prix de la consultation n’a pas été revalorisé depuis 30 ans et que les généralistes travaillent environ 60h/semaine, les médecins sont usés.

Chapitre 2 : Une dĂ©mographie mĂ©dicale en berne

La France compte 280 000 mĂ©decins, dont 100 000 gĂ©nĂ©ralistes. En 2004, la mĂ©decine gĂ©nĂ©rale est devenue une spĂ©cialitĂ© comme les autres.

55% des généralistes sont des hommes, mais 60% des moins de 40 ans sont des femmes. L’âge moyen des généralistes est de 52 ans. 27% ont plus de 60 ans, 15% moins de 40 ans.

Les normes statistiques ont tuĂ© les valeurs humanistes. On observe pourtant beaucoup de placiditĂ© : certains mĂ©decins s’épanouissent sur le malheur des patients et se fichent des problèmes de la profession ; d’autres sont comme des hamsters dans leur roue : ils ne s’arrĂŞteront que lorsqu’ils seront morts. C’est sur eux que les pouvoirs publics comptent pour que rien ne change. Heureusement, d’autres sont lucides : ils dĂ©missionnent ou continuent en toute luciditĂ©, en forçats.

Derrière les objectifs honorables affichés des pouvoirs publics, il y a la destruction du métier.

Si de plus en plus de médecins sont formés, de plus en plus également choisissent de ne finalement pas devenir médecins au terme de leurs études. Les effectifs des généralistes sont en chute libre partout. Et ceux qui s’installent ne veulent plus tout sacrifier à leur carrière.

Les dĂ©serts mĂ©dicaux s’étendent dĂ©sormais aux villes moyennes et aux communes rurales. En voulant rationnaliser les soins, l’Etat tue les hĂ´pitaux de proximitĂ©. Le principal dĂ©sert mĂ©dical est l’Ile-de-France : les loyers Ă©tant Ă©levĂ©s, il est devenu impossible pour un jeune mĂ©decin de s’y installer. En banlieue, les problèmes de sĂ©curitĂ© en dĂ©couragent beaucoup. Beaucoup choisissent une seconde activitĂ©, voire se reconvertissent complètement.

L’augmentation du nombre des mĂ©decins Ă©trangers pose de nombreux problèmes : langue, comprĂ©hension, culture… Sans compter le problème de la formation, car aucune vĂ©rification du niveau de compĂ©tence n’est organisĂ©e par l’Etat. Certains mĂ©decins ont un niveau insuffisant pour assurer la sĂ©curitĂ© des patients.

La population des mĂ©decins est vieillissante : 25% ont plus de 60 ans et 14 665 cumulent emploi et retraite. Ceux qui continuent le font par vocation, mais les jeunes gĂ©nĂ©rations ne sont pas prĂŞtes aux mĂŞmes sacrifices. 58% des mĂ©decins sont des femmes, sur qui pèsent en plus les responsabilitĂ©s familiales : elles non plus ne feront pas 70h/semaine.

Chapitre 3 : Qu’est-ce que la mĂ©decine ?

Le soin ne relève pas du travail à la chaîne. 50% de l’efficacité d’une psychothérapie, par exemple, repose sur la qualité relationnelle. La consultation médicale est une relation intime et personnelle. Même pour les cancers (maladies indiscutablement organiques), la relation patient/prescripteur est essentielle.

Le « colloque singulier Â» est le cadre qui permet de bien entendre le besoin ou la demande d’un patient : il exige attention (intuition, disponibilité…), temps, espace adĂ©quat, expertise et confidentialitĂ©. Mais quand la salle d’attente est encore remplie Ă  20h et que le quota de patients par jour autorisĂ© par la CPAM est dĂ©jĂ  dĂ©passĂ©, que fait-on ? Que faire quand l’Administration se moque de la rĂ©alitĂ© de terrain ? Les mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, sortes de contrefaçons lĂ©galisĂ©es, posent d’énormes problèmes.

Le mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste français est le moins bien payĂ© d’Europe. Une fois toutes ses charges dĂ©duites, il gagne 24€/heure (pour 4 consultations Ă  23€ en une heure). La seule solution pour avoir des revenus Ă©levĂ©s, c’est de travailler beaucoup. TĂ©lĂ©phone et demandes excessives des patients les dĂ©rangent sans arrĂŞt. La confidentialitĂ© est menacĂ©e : organismes d’assurances et banques demandent sans arrĂŞt des renseignements sur les patients.

L’examen du patient est un art relationnel. Il passe par l’écoute (mais comment bien Ă©couter quand on doit en mĂŞme temps rentrer des informations dans l’ordinateur ?), l’expertise (mais les mĂ©decins, de plus en plus isolĂ©s, se rencontrent et se forment de moins en moins) et le ressenti (mais le temps passĂ© Ă  faire se dĂ©tendre le patient doit se payer).

Une relation thĂ©rapeutique est un ensemble d’échanges intervenant entre deux personnes dans le cadre d’un soin apportĂ© Ă  l’une d’elles soit en complĂ©ment Ă  d’autres actions, soit comme modalitĂ© principale et privilĂ©giĂ©e. Elle permet le soin mais est aussi soin en elle-mĂŞme. Elle nĂ©cessite confiance, engagement, coopĂ©ration ou alliance, bienveillance, compassion, intimitĂ© et confidentialitĂ©. Son cadre dĂ©ontologique prĂ©cis se trouve dans le serment d’Hippocrate, que voici :

« Au moment d’être admis.e Ă  exercer la mĂ©decine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probitĂ©.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité.

J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.
Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admis.e dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu.e à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs.


Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.

Je prĂ©serverai l’indĂ©pendance nĂ©cessaire Ă  l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dĂ©passe mes compĂ©tences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services  qui me seront demandĂ©s.

J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.

Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle Ă  mes promesses ; que je sois dĂ©shonorĂ© .e et mĂ©prisĂ©.e si j’y manque. Â»

Le garant de ce cadre est le médecin. Le lien avec le patient passe par la parole, des gestes, le toucher, les examens, prescriptions et administrations de médicaments.

L’effet placebo (homĂ©opathie, acupuncture, hypnose…) est l’amĂ©lioration de la santĂ© en l’absence de traitement. L’humain Ă©tant Ă©motionnel et suggestible, il ne faut pas se priver de cet effet. Des effets indĂ©sirables sont cependant possibles. Dans de nombreux cas, le simple fait d’être hospitalisĂ© amĂ©liore la santĂ©, car certains patients ont besoin de « rĂ©gresser Â» dans un lit.

Les mĂ©decins sont souvent victimes de procès en sorcellerie : on les accuse d’être Ă  la solde des laboratoires. Or entre eux et les laboratoires, il y a au contraire souvent un mur, ce qui porte prĂ©judice Ă  leurs connaissances sur les mĂ©dicaments. L’industrie des mĂ©dicaments est en pleine dĂ©croissance. Le mĂ©tier de dĂ©lĂ©guĂ© mĂ©dical a quasiment disparu, la recherche universitaire est en crise, le nombre de molĂ©cules en cours de dĂ©veloppement pour Ă©laborer les mĂ©dicaments de demain est en chute libre et des règles très strictes ont Ă©tĂ© Ă©rigĂ©es entre les mĂ©decins et l’industrie pharmaceutique. C’est toute la filière de la santĂ© qui souffre.

Les patients, adeptes du « tout, tout de suite Â», ont leur part de responsabilitĂ©. La sociĂ©tĂ© consumĂ©riste fait que les patients consomment des mĂ©dicaments sans ordonnance, dont la balance bĂ©nĂ©fice/risque a Ă©tĂ© mal Ă©valuĂ©e. Le mĂ©decin n’apaise plus, ne rassure plus. Il y a flottement dans la prise en charge. Culture du risque zĂ©ro (dĂ©livrance de certificats de « non-contre-indication Â») et victimisation entrent en contradiction avec la rĂ©alitĂ© du soin.

Les problèmes informatiques récurrents participent eux aussi à l’épuisement des médecins. Tous les matins, c’est l’angoisse de la panne informatique. Or, la CPAM exige l’informatisation des cabinets. Gérer les problèmes informatiques se fait au détriment de l’écoute, de l’intuition et finalement du diagnostic. Le médecin doit choisir entre respecter la réglementation et porter une réelle attention à ses patients.

Isolement et menaces de sanctions alourdissent la charge mentale du médecin. Les maisons de santé sont une solution, mais elles sont souvent onéreuses, et posent elles aussi des problèmes.

D’après le psychiatre amĂ©ricain Irvin Yalom dans l’Art de la thĂ©rapie, c’est avant tout la qualitĂ© relationnelle entre mĂ©decin et patient qui maintient les patients en bonne santĂ©. Les patients heureux vivent plus longtemps que les autres. Le mĂ©decin qui apaise son patient crĂ©e un « effet parachute Â» : somatisation et angoisses sont Ă©vitĂ©es. Le simple fait de savoir qu’il existe un parachute rassure. Le « et si Â» est pris en compte. C’est le « prendre soin Â» (« take care Â» en anglais).

Irvin Yalom dĂ©nonce la formation insuffisante de beaucoup de psychothĂ©rapeutes, et la superficialitĂ© de beaucoup de ces « thĂ©rapies Â».

Le risque de l’industrialisation de la santé est le déconventionnement massif des médecins et le démantèlement de la CPAM en des organismes privés. C’est un modèle (libéral) que les USA essaient de fuir, mais dont la France se rapproche.

Chapitre 4 : Pourquoi votre mĂ©decin renonce-t-il Ă  exercer le soin ?

Les Français ont globalement une bonne image des médecins. Le métier de médecin est même leur métier préféré. Pourtant, peu conseillent à leurs enfants de devenir médecins.

Selon l’Union régionale pour les professionnels de santé (UPS), 40 à 45% des médecins seraient en burn out.

Les patients sous-estiment le coĂ»t des soins, et ne veulent pas payer plus cher leur mĂ©decin. Ils veulent que le mĂ©decin soit corvĂ©able Ă  merci (par exemple en tĂ©lĂ©phonant Ă  6h pour rĂ©clamer un certificat pour leur enfant qui doit partir en colonie de vacances Ă  9h), mais cela n’est plus possible (le mĂ©decin n’est qu’un « chien de bonne volontĂ© Â», pas un saint ni un ecclĂ©siastique de la santĂ©) et ils lui en veulent pour cela.

Le mĂ©tier s’est fortement fĂ©minisĂ© : en 2014, 44% des mĂ©decins sont des femmes et 58% des nouveaux inscrits au Conseil de l’Ordre sont des femmes. ConsĂ©quences : moins de mĂ©decine libĂ©rale, plus de mĂ©decine salariĂ©e et donc moins de temps de soin disponible.

Devenir mĂ©decin est un parcours long (huit Ă  dix ans, parfois jusque dix-sept ans) et difficile. Quand on l’entame, on n’a aucune idĂ©e de ce que l’on sera Ă  la fin. Les multiples rĂ©formes des Ă©tudes de mĂ©decine ont construit une machine Ă  casser : mĂ©lange en première annĂ©e des Ă©tudiants voulant faire mĂ©decine, pharmacie ou Ă©tudes para-mĂ©dicales, cours retransmis sur Ă©crans gĂ©ants sans interaction humaine, examens Ă  passer sur des serveurs informatiques qui buggent… L’étudiant voulant devenir mĂ©decin par vocation et pourtant prĂŞt Ă  des sacrifices dans sa vie personnelle (mariage et procrĂ©ation plus tardifs) en sort souvent Ă©coeurĂ©.

Seul un étudiant sur dix passe le cap de la première année, car le concours clôturant celle-ci est particulièrement difficile.

La deuxième embûche est la préparation (en minimum deux ans) du concours en fin de sixième année, afin de devenir spécialiste. Pour un investissement en temps et en énergie (on travaille cinq à six matinées par semaine, avec des astreintes le week-end et des gardes de nuit aux urgences- à l’hôpital comme externe, on étudie l’après-midi et on prépare le concours le soir) très lourd, on gagne en quatrième année 104€ pour un mi-temps et 202€ en cinquième année. Si on veut devenir chef de clinique, il faut en plus préparer des certificats de master 1 de sciences. Et si on veut être autonome financièrement, il faut en plus faire des gardes d’aide-soignant ou d’infirmier le soir ou pendant les vacances.

La troisième embûche est la recherche d’un stage dans un laboratoire de recherche de master 2 (pour devenir docteur en sciences en plus d’être docteur en médecine, et chef de clinique).

La quatrième embûche est l’attente qu’une place de chef de clinique se libère et qu’un chef de service nous choisisse. Dans le meilleur des cas, on n’a qu’une petite chance.

A un jeune âge, il faut aussi se confronter à la maladie et à la mort. Assister à des autopsies, des amputations, faire des ponctions lombaires, des points de suture, faire des touchers rectaux et vaginaux, accepter les décès, gérer les urgences, les suicides… Les salles de garde, très importantes pour se ressourcer, disparaissent hélas de plus en plus.

Une fois installĂ©, d’autres difficultĂ©s s’ajoutent : plus question de demander un « avis Â», il faut dĂ©cider seul. A force de ne traiter que des maladies sans gravitĂ© (les plus frĂ©quentes en mĂ©decine libĂ©rale), on peut passer Ă  cĂ´tĂ© d’une maladie plus insidieuse. Dans l’idĂ©al, il faudrait doubler ses connaissances tous les cinq ans, mais comment faire ? La vie d’un mĂ©decin libĂ©ral n’a rien Ă  voir avec celle des Centres hospitaliers universitaires (CHU). MĂŞme si des liens affectifs subsistent souvent entre le mĂ©decin et son CHU d’origine, le mĂ©decin n’a souvent plus la possibilitĂ© de continuer Ă  s’y former (Ă  cause des rĂ©formes).

En 2014, le salaire moyen des mĂ©decins est de 6800€ par mois. Entre 1984 et 2014, ce salaire a augmentĂ© de 4,5€ alors que le trou de la SĂ©cu lui a augmentĂ© de 1150% : il n’y a donc Ă©videmment aucune corrĂ©lation entre les deux. Il fallait en 1984 3,1h de SMIC pour payer une consultation ; il n’en faut plus que 2,4 actuellement. En 42 ans, le prix de la consultation mĂ©dicale a Ă©tĂ© multipliĂ© par 24, mais celui de la place de cinĂ©ma Ă  Paris par 59. Si le prix de la consultation avait eu droit aux mĂŞmes rĂ©ajustements que le SMIC, il serait actuellement de 48€. Les mĂ©decins français sont parmi les moins bien payĂ©s du monde. De plus en plus choisissent d’exercer en secteur 2 ou se dĂ©conventionnent (secteur 3). Des supermarchĂ©s de la santĂ© apparaissent, avec des consĂ©quences dramatiques (cf le scandale Dentexia).

Tout a un prix. Le coût génère la valeur, donc le respect. 60% de l’argent reçu par le médecin passe dans les charges. Le médecin lui se soigne souvent lui-même, ou va chez des confrères qui ne le font pas payer.

On est mieux payé en travaillant pour l’administration de la santé qu’en soignant. Le système de santé s’axe de plus en plus sur le contrôle, au détriment du soin.

La rétribution des médecins n’est pas que financière. Elle est aussi symbolique. Un médecin qui se sent valorisé soigne mieux.

Le moral des généralistes est tombé en dessous de la moyenne. Le pessimisme s’installe. 70% des médecins n’ont plus confiance en l’avenir économique. Le problème numéro un n’est pas l’insuffisance de la rémunération mais les contraintes administratives et bureaucratiques. Cette insécurité sociale n’est pas sans conséquences sur les patients.

Le médecin est un humain qui travaille, mais il n’est pas traité comme les autres citoyens. Pour être bien couvert (90 jours de carence en cas d’arrêt-maladie), il doit souscrire une assurance supplémentaire privée.

Les risques psycho-sociaux ont Ă©tĂ© classĂ©s par l’Agence nationale pour l’amĂ©lioration des conditions de travail en cinq familles : le stress au travail, le harcèlement moral, le harcèlement individuel, le harcèlement stratĂ©gique (qui vise la soumission du mĂ©decin) et le harcèlement institutionnel. Les dangers qui menacent les mĂ©decins sont les conduites addictives, la souffrance au travail, la violence au travail et le burn out.

43% des médecins français souffrent de burn out (53% en région parisienne). Sur 40 décès de médecins, 22 sont des suicides. Le temps de travail moyen des médecins est de 57,5h, gardes non comprises. Plus que la durée du travail, c’est le nombre de consultations qui pèse sur les médecins. Les conséquences du burn out s’observent sur le plan physique, sur le plan comportemental et sur le plan de la consommation de café, alcool, tabac et psychotropes. Les médecins n’ont plus confiance en l’avenir économique. Il y a épuisement émotionnel, physique et psychique, et déshumanisation de la relation à l’autre. Dévalorisation, démotivation et culpabilité amènent à un abandon du travail, un manque de rigueur et des erreurs.

La dĂ©gradation des conditions d’exercice de la mĂ©decine est rendue possible par la manipulation des foules, laquelle a Ă©tĂ© bien dĂ©crite par le linguiste Noam Chomsky. Pour l’Etat, certaines caisses et mutuelles et certains roitelets, il s’agit de distraire le public pour l’empĂŞcher de penser aux vrais problèmes, de crĂ©er des problèmes pour offrir des « solutions Â», de faire accepter des mesures inadmissibles en les appliquant progressivement (stratĂ©gie de la dĂ©gradation), d’appliquer la stratĂ©gie du diffĂ©rĂ© (« Cette mesure ne sera appliquĂ©e que dans cinq ans Â»), de s’adresser au public –maintenu dans la bĂŞtise et l’ignorance- comme Ă  des enfants en bas âge, de faire appel Ă  l’émotionnel plutĂ´t qu’à la rĂ©flexion, de remplacer la rĂ©volte par la culpabilitĂ© et de mieux connaĂ®tre les individus qu’ils ne se connaissent eux-mĂŞmes.

L’entourage des mĂ©decins est lui aussi en souffrance : les familles doivent composer avec le rythme de vie du mĂ©decin ; les secrĂ©taires paient le prix fort de l’agressivitĂ© de certains patients voulant « tout, tout de suite Â».

Le mĂ©decin a souvent droit Ă  des leçons de morale, alors que les dernières mesures politiques le contraignent Ă  bafouer le serment d’Hippocrate : secret mĂ©dical piĂ©tinĂ© par la tĂ©lĂ©transmission, parcours de soins qui diffĂ©rencie les patients, obligation de prescrire des gĂ©nĂ©riques…

L’évolution de l’organisation du système de santé a des conséquences pour la société et les patients. En devenant un organe de contrôle, la sécurité sociale met en jeu la qualité de la médecine française, pourtant reconnue dans le monde entier. En se voulant responsable de la santé et pas responsable de l’évaluation de la santé, l’Etat prend la place des médecins.

Les mutuelles, qui n’ont pas obligation de publier leurs comptes, font de la santé un business.

La CPAM n’a plus qu’une vision comptable partielle du mĂ©tier de mĂ©decin. Elle exerce des pressions sur les mĂ©decins qui ne respectent pas les normes statistiques et oublie les consĂ©quences de ses dĂ©cisions sur les patients. Elle se place souvent autoritairement au-dessus des soignants : encouragement Ă  ne plus effectuer d’actes gratuits (dĂ©livrance d’un certificat ou d’une ordonnance entre deux patients par exemple) en secteur 2 (et facturation au tarif conventionnel), rejet des photocopies pourtant conformes des feuilles de soins papier, retour de feuilles de soins papier avec la mention « Votre mĂ©decin n’a pas signĂ© Â» alors qu’il y a bel et bien une signature, arrĂŞts de travail retournĂ©s, perdus, refusĂ©s ou impayĂ©s, refus de paiement d’acte d’un mĂ©decin Ă©tant son propre mĂ©decin traitant et s’étant fait lui-mĂŞme une Ă©chographie au motif que l’acte n’est pas inscrit dans le « parcours de soin Â», reproches de la SĂ©curitĂ© sociale qui regrette que le mĂ©decin n’utilise pas l’informatique, envoi de lettres Ă  un patient lui reprochant de ne pas prendre de gĂ©nĂ©riques alors que le mĂ©decin avait bien prĂ©cisĂ© sur l’ordonnance que ce patient ne devait pas le faire, patiente qui reçoit des injonctions Ă  effectuer un dĂ©pistage du cancer du col de l’utĂ©rus alors que la CPAM lui a dĂ©jĂ  remboursĂ© l’ablation dudit utĂ©rus…

Souvent isolé, usé, le médecin n’a pas la force de se battre.

Derrière toutes ces absurditĂ©s se cache peut-ĂŞtre l’Objectif national de dĂ©penses d’assurance maladie (ONDAM), crĂ©Ă© en 1996 par Alain JuppĂ© et fixĂ© chaque annĂ©e par la loi de financement de la SĂ©curitĂ© sociale ; l’ONDAM fixe l’objectif de dĂ©penses Ă  ne pas dĂ©passer en matière de soins de ville et d’hospitalisation dispensĂ©s dans les Ă©tablissements privĂ©s ou publics, mais aussi dans les centres mĂ©dicaux-sociaux. Les employĂ©s de l’Assurance maladie exerçant des pressions sur les mĂ©decins le font peut-ĂŞtre en toute bonne foi. Ils ne se rendent peut-ĂŞtre pas compte qu’ils sont des agents administratifs au service du système et qu’ils se dĂ©tournent des valeurs de crĂ©ativitĂ©, d’altruisme, de bienveillance…

La langue mĂŞme reflète le glissement sĂ©mantique : le « mĂ©decin de famille Â» est devenu « mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste Â», puis « mĂ©decin traitant Â», et enfin « mĂ©decin rĂ©fĂ©rant Â», simple maillon du « parcours de soins Â».

L’industrialisation de la mĂ©decine oblige les laboratoires Ă  se faire racheter par des groupes ne permettant pas l’exercice libĂ©ral des biologistes : augmentation des dĂ©lais de remise des rĂ©sultats, baisse de la fiabilitĂ© des rĂ©sultats, voire accidents sanitaires sont Ă  craindre.

Pour être acteur de sa santé, il faut tout d’abord s’informer. Le changement ne viendra pas d’en haut, mais d’actions citoyennes sur le terrain. Entre l’Etat, les citoyens et les médecins (et pas des syndicats de médecins achetés par l’Etat…), une nouvelle donne est nécessaire.

Chapitre 5 : autopsie d’un mĂ©tier

Avant, la libertĂ© mĂ©dicale permettait des arrangements de bon sens pour que les mĂ©decins puissent soigner tout le monde et que tout le monde s’y retrouve  : soins gratuits, adaptation de la rĂ©munĂ©ration, vacations Ă  l’hĂ´pital ou dans des structures sociales… Aujourd’hui, la rigiditĂ© du système rend cela impossible.

Les assassins de votre mĂ©decin sont plusieurs : l’Assurance maladie (et son approche comptable et industrielle de la santĂ©), l’Etat (qui favorise une mĂ©decine « de fonctionnaires Â»), les syndicats de mĂ©decins (trop dĂ©pendants de l’Assurance maladie), certains mĂ©decins (qui oublient le serment d’Hippocrate, se compromettent avec les politiques, acceptent avec fatalitĂ© leur condition ou dĂ©noncent des « scandales sanitaires Â» sur le mode complotiste), certains patients (trop exigeants et agressifs), certains professeurs d’universitĂ© (qui suivent les injonctions des Agences rĂ©gionales de santĂ©, Agence du mĂ©dicament…) et les politiques. Ces derniers semblent souffrir du syndrome de la tranche de jambon : au prĂ©texte que le gras est nĂ©faste, que tout le monde ne peut pas mâcher et qu’il faut bien s’hydrater, on enlève la couenne du jambon, puis le gras, on mouline ce qui reste avant de le diluer dans de l’eau. Au final, la tranche de jambon est devenue une bouillie infâme. L’enfer est pavĂ© de bonnes intentions…

Depuis le paiement Ă  l’acte instaurĂ© par Roselyne Bachelot, ce n’est plus le patient qui compte, mais le nombre d’actes effectuĂ© afin de rapporter de l’argent Ă  l’hĂ´pital. A l’hĂ´pital, dĂ©sormais, les mĂ©decins sont payĂ©s pour coter des actes plus que pour soigner. Par exemple, les patients insuffisants cardiaques ne sont plus reçus Ă  l’hĂ´pital, car leur Ă©tat ne nĂ©cessite pas d’ Â« acte Â». Or, exercer la mĂ©decine, c’est s’occuper de situations non catĂ©gorisables, voire de l’exceptionnel.

L’activité médicale se cloisonne, les médecins n’arrivent plus à se voir et à échanger (médecins libéraux chassés de leurs vacations, interdiction des manifestations informelles et amicales organisées par les laboratoires pharmaceutiques). Par peur d’être accusés de conflit d’intérêt, les médecins ne rencontrent plus les concepteurs des médicaments.

Selon l’entreprise oĂą l’on travaille, la mutuelle (que l’employeur a l’obligation de proposer Ă  ses salariĂ©s) est plus ou moins performante. La logique Ă©conomique prend le pas sur la qualitĂ© des soins et la libertĂ© de se faire soigner. Depuis 2017, les salariĂ©s sont imposĂ©s sur l’« avantage Â» en nature que constitue leur mutuelle d’entreprise : une absurditĂ© de plus.

Il est difficile pour les mĂ©decins, « bons chiens Â», « grognards Â» de la RĂ©publique (les derniers debout), qui ne demandent qu’affection, reconnaissance, considĂ©ration et libertĂ© d’exercer, de manifester leur mĂ©contentement. Ils n’ont pas l’habitude de se rebeller. Or, l’Etat et la CPAM leur dermandent de rĂ©ussir lĂ  oĂą eux-mĂŞmes ont failli.

Le Contrat d’accès aux soins est Ă  l’avantage des mutuelles, pas des cotisants. Des relations troubles existent entre les mutuelles et certains hommes politiques. Les mĂ©dicaments sont de moins en moins bien remboursĂ©s. Le nombre de maladies prises en charge Ă  100% a nettement diminuĂ© : tout ceci avantage les mutuelles.

Les centres de santĂ©, sans subventions de l’Etat, ne sont pas viables : les frais de fonctionnement sont trop Ă©levĂ©s, le codage des actes y est souvent inexact, ils doivent ouvrir au-delĂ  de 35h et ont besoin d’un complĂ©ment de financement Ă  hauteur de 14%. Les dĂ©penses de personnel ne doivent pas aller au-delĂ  de 65 Ă  80% des recettes d’activitĂ© et il faut pour cela remplir complètement le planning des consultations. Or, de nombreux patients n’honorent pas leurs rendez-vous. Par ailleurs, la gestion du tiers payant engloutit 6 Ă  11% des recettes d’activitĂ©.

Le tiers payant gĂ©nĂ©ralisĂ©, c’est un système Ă  l’amĂ©ricaine avec les tarifs français : aucune libertĂ© de choix et aucun contrĂ´le des coĂ»ts pour l’assurĂ©, des procĂ©dures mĂ©dicales dĂ©pendant du bon vouloir des assureurs, une charge administrative très importante nĂ©cessitant des secrĂ©taires dĂ©diĂ©es, des tarifs sans cesse revus Ă  la baisse par les assurances, une charge administrative dĂ©mesurĂ©e par rapport Ă  un « risque financier Â» faible, celui d’une simple consultation. MĂŞme les AmĂ©ricains ne veulent plus de ce système. Si les cotisations amĂ©ricaines s’appliquaient, ce serait Ă©ventuellement viable. Mais Ă  23€ la consultation, c’est du suicide Ă©conomique. Il faut effectuer un travail Ă©norme pour rĂ©cupĂ©rer le règlement de la consultation et il n’y a plus de libertĂ© de prescription. Pour l’instant, l’instauration du tiers payant a Ă©tĂ© repoussĂ©e. Mais pour combien de temps ?

Parallèlement Ă  cela, les gĂ©ants d’internet dĂ©veloppent des technologies de plus en plus performantes pour prendre la main sur la mĂ©decine : traitement des donnĂ©es des patients, organes mĂ©caniques, outils connectĂ©s, tĂ©lĂ©mĂ©decine et consultations de « deuxième avis Â» Ă  295€… Les mĂ©decins vont bientĂ´t devenir de simples techniciens du soin.

Le risque que les patients se tournent vers des gourous de la santé existe. Les gens désespérés se jettent souvent dans les bras du premier venu. A La Roche-Terrien, dans les Côtes d’Armor, zone en voie de désertification médicale, le maire a annoncé qu’il avait recruté, en lieu et place d’un médecin, un druide. C’était un canular, mais certains patients ont demandé à prendre rendez-vous avec ce druide.

L’hyperlibéralisme et l’hyperbureaucratie constituent des dérives sociétales contre lesquelles lutte le médecin. Dans notre société, ceux qui se suicident le plus sont ceux qui nourrissent (agriculteurs), qui éduquent (enseignants), qui protègent (policiers) et qui soignent (médecins). Quand il y a rémunération contrôlante, la motivation baisse, ainsi que l’autodétermination et la valorisation de soi.

C’est en restituant de l’autonomie, de la dignité et une identité aux médecins que ceux-ci trouveront la juste mesure entre les besoins de leurs patients et la réalité économique.

Notre système de soins ignore les dernières avancĂ©es des neurosciences, et notamment le fait que les Ă©motions comptent ; l’humanitĂ© et la responsabilitĂ© doivent primer sur l’urgence et la rentabilitĂ©.

Les « mini-Colbert Â» et les « diseux Â» (selon l’expression d’Alexandre Jardin dans son projet « Bleu blanc zèbre Â») ne supportent plus ceux qui galopent en libertĂ©, les libertaires. Ils veulent une vie verticale, juridique, sans risques.

Le mĂ©decin a conscience du coĂ»t des choses et de la santĂ©. Il fait de son mieux. Mais il ne peut pas se laisser asservir. Dans son cabinet, oĂą il est seul avec le patient, il n’y a que l’humain qui compte. Qu’on ne lui reproche pas de dĂ©livrer des arrĂŞts-maladie (par exemple) : la vraie coupable, c’est la sociĂ©tĂ© (capitaliste, industrielle et consumĂ©riste) qui ne prend pas soin de ses travailleurs, les Ă©puise et les oblige Ă  s’arrĂŞter. Le mĂ©decin ne peut pas « payer Â» pour cela.

Un arrêt de travail dure en moyenne 18,1 jours. En 2014, 32,6% des salariés ont été absents au moins une fois. Ce chiffre est en légère augmentation (il était de 32,4% en 2013). Les femmes sont plus touchées (35,6%) que les hommes (29,3%). Les 30-39 ans sont les plus touchés (36%), tout comme les salariés du secteur santé (37,2%). Le coût direct annuel des arrêts de travail est de 45 milliards d’euros.

La CPAM engage de plus en plus de procĂ©dures juridiques. Pour avoir simplement fait leur travail (et ne pas, par exemple, avoir comptĂ© leurs heures de travail), des mĂ©decins se retrouvent convoquĂ©s en « entretien confraternel Â» dans leurs services, puis devant le Conseil de l’Ordre, la police (garde Ă  vue) puis les tribunaux (procès). Pour avoir par exemple reçu « trop Â» de patients (notamment bĂ©nĂ©ficiaires de la CMU, alors que de fortes disparitĂ©s Ă©conomiques existent entre telle ou telle zone d’exercice), on se retrouve accusĂ© d’escroquerie. Des patients sont eux aussi convoquĂ©s par la police, des cabinets sont perquisitionnĂ©s. Les mĂ©decins subissent des interdictions de donner des soins, des saisies conservatoires de crĂ©ances (comptes bloquĂ©s). Leurs cabinets ferment. Leurs noms et leurs visages sont rĂ©vĂ©lĂ©s par la presse. Des familles sont brisĂ©es. C’est Kafka en action : pressions et intimidations aboutissent Ă  l’absurditĂ© des injonctions paradoxales. La seule solution consiste Ă  saisir le tribunal administratif, mais la procĂ©dure peut prendre des annĂ©es.

Dans la population mĂ©dicale , le suicide reprĂ©sente 14% des causes de mortalitĂ© entre 30 et 60 ans (contre 5,8% dans la population gĂ©nĂ©rale) : plus d’humain, plus de mĂ©decin.