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Article basĂ© sur l’ouvrage Partnerships in dental practice : why some succeed and why some fail, par le Dr. Marc Coper

Pour quelles raisons le cabinet individuel demeure-t-il le schĂ©ma de pratique le plus rĂ©pandu dans la branche dentaire ? Pourquoi les partenariats ou associations dans ce secteur semblent souvent vouĂ©s Ă  l’échec ? Quels sont les Ă©cueils Ă  Ă©viter et les considĂ©rations Ă  prendre en compte en amont afin d’éviter cet Ă©chec ? Autant de questions auxquelles le Dr. Marc Cooper, spĂ©cialiste en parodontie avant de fonder The Mastery Company, agence de consulting ayant aidĂ© plus de 2000 dentistes et praticiens du secteur mĂ©dical Ă  rĂ©organiser leur cabinet ou structure, tente de rĂ©pondre dans cet ouvrage de rĂ©fĂ©rence, qui s’articule autour de questions rĂ©elles posĂ©es par des dentistes Ă  diffĂ©rents stades de gestion d’un partenariat ou d’une association, simplement envisagĂ©s comme dĂ©jĂ  en place voire en cours de dissolution.

Les bĂ©nĂ©fices d’un partenariat du point de vue des possibilitĂ©s de dĂ©veloppement d’un cabinet et du partage des coĂ»ts et investissements semblent Ă©vidents. Pourtant, cette solution n’est pas toujours la bonne, principalement concernant des cabinets en activitĂ© depuis dĂ©jĂ  un certain temps, et surtout elle est rarement mise en place avec suffisamment de prĂ©paration et de rĂ©flexion an amont. Un partenariat professionnel qui fonctionne et qui dure est un dĂ©fi, et exige de nombreux ajustements et efforts, qui doivent ĂŞtre identifiĂ©s et anticipĂ©s. Le Dr. Cooper propose ainsi dans un premier temps un questionnaire visant Ă  identifier vos motivations et votre perception de ce qu’est un partenariat :

« Je suis sĂ»r et certain d’avoir besoin d’un associĂ© Â» : oui – non

« Avoir un associĂ© me facilitera la tâche Â» : oui – non

« Je n’aurais pas de difficultĂ©s Ă  trouver l’associĂ© qu’il me faut Â» : oui – non

« Si l’aspect lĂ©gal est parfaitement gĂ©rĂ©, je n’aurai jamais de problème Â» : oui – non

« J’éviterai les confrontations directes et les conflits avec mon associĂ© Â» : oui – non

« C’est ma façon de faire et de voir les choses qui l’emporte toujours Â» : oui – non

« Je sais dĂ©jĂ  que je ne pourrai pas ĂŞtre 100% franc avec mon associĂ© Â» : oui – non

« L’important est de trouver un partenariat mĂŞme imparfait, j’ajusterai ensuite Â» : oui – non

« Je ne saurai pas dire exactement ce que j’attends de lui Ă  mon associĂ© Â» : oui – non

« Ma rĂ©ussite et celle de mon cabinet passent avant celle de mon associĂ© Â» : oui – non

« Je n’ai pas besoin d’envisager d’autres solutions plutĂ´t qu’un partenariat (collaborateurs ponctuels, location d’espace sans association…) Â» : oui – non

« Je suis convaincu que s’associer signifie plus d’argent et moins de problèmes Â» : oui – non

RĂ©pondre « oui Â» Ă  seulement deux de ces questions indique dĂ©jĂ  une vision idĂ©alisĂ©e – et faussĂ©e – de ce qu’est concrètement l’introduction d’un associĂ© dans un cabinet, et un dĂ©ni que l’ampleur du changement que cela reprĂ©sente et des problèmes inĂ©vitables Ă  anticiper.

L’importance du contexte

La première idĂ©e Ă  intĂ©grer et Ă  accepter est que l’échec majoritaire des partenariats est un Ă©lĂ©ment du contexte gĂ©nĂ©ral de la profession, un produit de la formation actuelle des dentistes (ou plutĂ´t des lacunes de celle-ci) et plus gĂ©nĂ©ralement du fonctionnement de la sociĂ©tĂ© moderne. L’homme passe d’un stade de dĂ©pendance (enfance, adolescence, formation) oĂą il a besoin de l’autre (parents, professeurs) afin d’assurer son dĂ©veloppement, Ă  un stade d’indĂ©pendance, oĂą son individualitĂ© devient le centre de sa rĂ©flexion, de sa pratique, de sa conception du monde. Il passe ainsi du « eux Â» au « moi Â», sans aucun apprentissage d’un stade intermĂ©diaire voire supĂ©rieur qui serait celui de l’interdĂ©pendance, du « nous Â», qui est pourtant la seule attitude viable dans le cadre d’un partenariat qui fonctionne et qui dure. La co-responsabilitĂ© du succès comme de l’échec est rarement comprise. C’est toujours grâce Ă  l’un ou Ă  l’autre, ou Ă  cause de l’un ou de l’autre, que l’on mesure la rĂ©ussite d’une association, et jamais dans le prisme du contexte gĂ©nĂ©ral. Cette première remise en question est donc essentielle lorsqu’on envisage sĂ©rieusement une association : suis-je capable de sortir de mes processus de rĂ©flexion et de perception et d’intĂ©grer un rĂ©el « nous Â», et non un « moi puis lui Â» ? Suis-je capable de « partager Â» ce cabinet que j’ai crĂ©Ă© et dĂ©veloppĂ© moi-mĂŞme, seul, sans considĂ©rer mon futur associĂ© comme un investisseur ou un support Ă  ma rĂ©ussite mais bien comme mon Ă©gal et le futur co-dirigeant de ce qui ne sera plus « mon Â» cabinet mais « notre Â» cabinet ? De mĂŞme pour celui qui envisage qui d’intĂ©grer un cabinet en tant qu’associĂ© : suis-je prĂŞt Ă  faire valoir et Ă  assumer par la suite ma position et Ă  ne pas me placer puis stagner en position de « dentiste junior Â», de cadet, de « nouveau Â» ? Ai-je ce qu’il faut pour ĂŞtre un co-dirigeant et non pas un collaborateur ?

L’écueil des divergences

Le point prĂ©cĂ©dent ne signifie pas la dilution de la responsabilitĂ©, mais son partage Ă©quitable. Lorsque des divergences apparaissent, ou lorsque l’un des deux associĂ©s change de point de vue ou de comportement, le schĂ©ma habituel est l’accusation et le jugement de la part de celui qui s’estime trompĂ© ou déçu (gĂ©nĂ©ralement, le dentiste senior qui a intĂ©grĂ© l’associĂ©). Si effectivement l’associĂ© peut se rĂ©vĂ©ler dĂ©cevant en termes humains comme professionnels, il serait malhonnĂŞte de ne pas s’interroger sur ses propres manquements : ai-je clairement anticipĂ© et exprimĂ© ce que j’attendais de lui aux dĂ©buts de notre relation ? Ai-je abordĂ© tel ou tel aspect ou me suis-je dit que l’on verrait plus tard ? Ai-je laissĂ© s’installer sans rĂ©agir, sans confronter mon associĂ© dès les premiers indices, la situation que je ne supporte plus aujourd’hui ? Quelle est ma part de responsabilitĂ© dans cette situation ? C’est pourquoi il est important d’anticiper et d’explorer avant tout engagement l’ensemble des facteurs de succès ou d’échec d’une association :

les valeurs fondamentales, l’éthique et la vision des deux praticiens doivent être compatibles. C’est le point central et crucial de la survie d’un partenariat, celui qui doit être mis sur la table en premier, monitoré sans relâche au fil du temps et qui doit articuler l’ensemble des autres éléments de l’association. Ce point doit être écrit et au cœur de l’ensemble de la politique du cabinet, de ses procédures, de ses stratégies, de sa communication, et être la raison principale du choix d’un associé.

– un plan stratĂ©gique Ă  long terme doit ĂŞtre envisagĂ© et dĂ©fini (objectifs, patientèle cible et sa rĂ©partition, image de marque du cabinet, vision du dĂ©veloppement, conception de la communication, tarifs…). Ce plan servira en outre « d’arbitre Â» lors d’éventuelles tensions quant Ă  des conceptions de la pratique ou changements du fonctionnement du cabinet.

– forces et faiblesses de caractère doivent ĂŞtre honnĂŞtement discutĂ©es.

– la responsabilitĂ© doit ĂŞtre acceptĂ©e Ă  parts Ă©gales par chaque associĂ© (et non rejetĂ©e de l’un Ă  l’autre lorsque les choses ne se passent pas comme prĂ©vu ou lors des pĂ©riodes plus difficiles). De mĂŞme, chaque bord de l’association doit ĂŞtre investi dans le succès de l’autre. « RĂ©compenser Â» le nouvel associĂ© au fur et Ă  mesure et ne pas lui donner immĂ©diatement les moyens de rĂ©ussir et de s’épanouir est un excellent moyen de le dĂ©motiver avant mĂŞme que l’association ne soit officielle. Le succès est un travail d’équipe, et un associĂ© n’est pas un employĂ©.

– un règlement interne prĂ©cis et dĂ©taillĂ© doit ĂŞtre mis en place incluant chaque aspect du fonctionnement du cabinet (dĂ©penses, gestion du personnel, Ă©thique, horaires, investissements, communication, objectifs…). De mĂŞme une rĂ©glementation de la prise de dĂ©cision (quant aux investissements, aux changements, aux ressources humaines…) doit ĂŞtre prĂ©vue, afin de rationaliser la codirection effective du cabinet et Ă©viter les vĂ©tos ou dĂ©saccords de principe. C’est le règlement qui dirige, pas les individus. Et ce qui est Ă©crit ne peut ĂŞtre modifiĂ©, mal remĂ©morĂ© ou oubliĂ©, et permet souvent de dĂ©samorcer les conflits en ne les situant pas sur un plan personnel (il refuse telle ou telle proposition pour me punir / me contrarier/ parce qu’il se pense meilleur que moi) mais rĂ©glementaire (j’ai proposĂ© mais ce n’était pas conforme aux accords pris, il n’y a rien contre moi).

– enfin, une communication fluide, franche et rĂ©gulière est indispensable Ă  Ă©viter l’enlisement de certaines situations. Ruminer un dĂ©saccord sans jamais l’évoquer jusqu’à ce qu’il ne puisse plus ĂŞtre rattrapĂ© est l’une des principales erreurs conduisant Ă  l’échec d’une association, point sur lequel nous reviendrons.

Cinq questions auxquelles il sera rĂ©pondu en commun doivent ainsi servir d’abord d’évaluation Ă  la compatibilitĂ© des futurs associĂ©s puis de fondation au partenariat :

Quelles sont la vision et les valeurs qui devront guider chacune de nos dĂ©cisions relatives au cabinet ?

Quels bĂ©nĂ©fices (matĂ©riels mais Ă©galement sociaux, moraux, intellectuels, personnels) attendons-nous de ce partenariat ?

Comment dirigerons-nous ce cabinet au-delĂ  de l’aspect mĂ©dical ? (Ă©tablissement du processus dĂ©cisionnaire, rĂ´le et position de chaque membre de l’équipe dans chaque secteur)

Qui sera en charge du management quotidien du cabinet ? (comme Laura Hatch, le Docteur Cooper prĂ©conise la dĂ©lĂ©gation de la gestion quotidienne du personnel, des objectifs, des prĂ©occupations courantes Ă  un manager dĂ©diĂ©)

Quel degrĂ© d’autoritĂ© et d’autonomie dĂ©lĂ©guons-nous Ă  notre manager ? (que peut-il faire de sa propre initiative du point de vue disciplinaire, dĂ©cisionnaire, et que ne peut-il pas dĂ©cider sans notre accord ?)

L’importance de la transition

On l’a dit et redit, la formation des dentistes est insuffisante à les préparer à ce que signifie diriger un cabinet dentaire en-dehors de leur salle de soin. Pour excellent que puisse être un dentiste techniquement, il n’est pas préparé à devenir ce qu’il devra pourtant être au quotidien, c’est-à-dire un chef d’entreprise, un patron, un chargé de communication ni, a fortiori, un associé. La formation et le recours à des professionnels sont les seules solutions rationnelles à la mise en place d’un projet d’association qu’il s’agisse d’intégrer un partenaire à votre cabinet existant ou de rejoindre un cabinet en qualité d’associé.

Vous ne vous ĂŞtes pas improvisĂ© agent immobilier pour dĂ©nicher votre local ? Ni banquier pour son financement ? Ni juriste ou notaire pour la rĂ©daction des actes officiels, des contrats ? Eh bien il en va de mĂŞme pour l’introduction d’un associĂ© dans votre cabinet. Au-delĂ  de l’aspect purement administratif et juridique, se prĂ©parer Ă  un partenariat et en poser des bases saines, des fondations solides, ne s’improvise pas. Il existe des consultants ou managers en transition qui peuvent vous prĂ©parer et vous accompagner dans ce processus, depuis la recherche de votre futur associĂ© jusqu’à son introduction concrète, et assister votre cabinet dans cette transition et les changements importants qu’elle suppose.

Il convient de choisir avec un grand soin ce professionnel et de ne pas le confondre avec un chasseur de tĂŞte ou un agent immobilier. Il devra dĂ©jĂ  avoir Ă  son actif ce type d’intervention spĂ©cifiquement au sein de plusieurs cabinets dentaires ou mĂ©dicaux, et comprendre la spĂ©cificitĂ© de l’« entreprise Â» mĂ©dicale par rapport aux sociĂ©tĂ©s plus traditionnellement commerciales du secteur entrepreneurial. Il devra ĂŞtre Ă  mĂŞme de maĂ®triser chaque aspect de la transition, qu’il soit financier, administratif, prĂ©visionnel, immobilier, juridique, sans nĂ©gliger le facteur humain. Se donner la peine de trouver le manager de transition idĂ©al, c’est dĂ©jĂ  mettre toutes les chances de son cĂ´tĂ© de trouver un associĂ© compatible et de bâtir un partenariat ayant une vraie chance de succès dans un contexte oĂą la rĂ©ussite d’une telle alliance est une exception plutĂ´t que la règle. Soyez l’exception. Anticipez.

La crise

Il serait illusoire d’imaginer un long fleuve tranquille sur une ou plusieurs dĂ©cennies mĂŞme si l’ensemble des critères a Ă©tĂ© pensĂ© et Ă©tabli en amont et monitorĂ© rĂ©gulièrement au fil des annĂ©es. Des crises se produiront nĂ©cessairement. Des dĂ©saccords interviendront – et c’est naturel et sain ! Un partenariat sans crise est invariablement symptomatique d’un dĂ©faut de franchise : s’il n’y a pas de crise, ce n’est jamais parce qu’il n’y a pas de problèmes, mais parce que ces derniers ne sont pas abordĂ©s. Pour qu’un dĂ©saccord ou une crise ne tournent pas au dĂ©sastre mais demeurent l’opportunitĂ© d’ajustement et de remise en question qu’ils sont Ă  la base, il existe toutefois quelques règles d’or Ă  respecter dans leur gestion :

– ne perdez jamais votre calme : ne faites jamais une affaire personnelle d’un dĂ©saccord professionnel et ne vous emportez pas, au risque d’une part de regretter des mots irrattrapables, et d’autre part de perdre en crĂ©dibilitĂ© mĂŞme si vos arguments Ă©taient justifiĂ©s Ă  l’origine.

– ne mĂŞlez pas le personnel Ă  vos diffĂ©rends : ne mettez jamais vos collaborateurs en porte-Ă -faux en les forçant consciemment ou pas Ă  « choisir un camp Â», en leur confiant par exemple vos prĂ©occupations sur l’autre ou en changeant brutalement d’attitude pour leur ĂŞtre plus sympathique que l’autre, au risque de provoquer un mouvement de panique qui impactera durablement tant les relations internes que la motivation et l’investissement de vos employĂ©s mĂŞme si le diffĂ©rend finit par se rĂ©gler.

– n’idĂ©alisez pas votre association, laissez toujours la relation Ă  sa place, c’est-Ă -dire une relation professionnelle, pas personnelle : ce n’est pas un mariage, c’est un partenariat de travail, et en tant que tel il doit ĂŞtre fondĂ© sur des bases concrètes et des rĂ©sultats, pas des impressions, et communication et respect n’impliquent pas nĂ©cessairement sympathie ou affection. D’ailleurs, mĂŞme hors pĂ©riode de crise, ce conseil est valable, il est pĂ©rilleux d’entretenir des relations amicales avec son associĂ© en-dehors du cabinet, du fait de la personnalisation de la relation et de la dimension affective que peut prendre le moindre dĂ©saccord le cas Ă©chĂ©ant.

– restez concentrĂ© sur vos objectifs et visions communs : si ceux-ci n’ont pas variĂ©, la crise n’est pas fondamentale.

– prenez de la distance et restez rationnel : ne tombez pas dans piège de l’aversion Ă©pidermique, qui entraĂ®nera nĂ©cessairement mauvaise foi et obsession plutĂ´t que rĂ©flexion, sachez distinguer le comportement problĂ©matique de la personne qui manifeste ce comportement ; de mĂŞme ne prenez pas chaque contre-argument pour une attaque personnelle et n’interprĂ©tez pas les propos de l’autre.

– remettez-vous en question : analysez votre part de responsabilitĂ© dans la crise, ne cĂ©dez pas Ă  la facilitĂ© de rejeter la faute entière sur l’autre, et rappelez-vous que si la situation a pu dĂ©gĂ©nĂ©rer c’est qu’au minimum vous l’avez permis ne serait-ce qu’en ne disant rien jusqu’à prĂ©sent.

– gardez la crise en perspective : ce point de dĂ©saccord vaut-il les frais, soucis, remaniements, dĂ©ceptions et impacts tant sur les patients que le personnel qu’entraĂ®nerait une dissolution ? S’agit-il d’un dĂ©saccord insoluble ou d’une question de principe pour laquelle vous souhaitez juste « avoir raison Â» ?

La communication est essentielle, d’autant que toute crise n’impacte pas seulement votre associé et vous-même mais également l’ensemble de l’équipe. Un approfondissement des notions de leadership positif et des fondamentaux de la communication en tant que discipline est toujours bénéfiques aux relations entre les membres du cabinet.

Le « triangle des Bermudes Â» : du cabinet individuel Ă  la collaboration puis au partenariat

L’un des principaux schĂ©mas de recherche d’associĂ© est souvent celui d’un dĂ©veloppement rĂ©ussi d’un cabinet individuel, d’un plan marketing efficace gĂ©nĂ©rant une augmentation de la patientèle que l’on souhaite compenser par l’intĂ©gration d’un collaborateur avec option d’association, qui bĂ©nĂ©ficiera dans un premier temps du surplus. Les premiers mois sont gĂ©nĂ©ralement parfaits, productifs, satisfaisant, l’augmentation de la production impactant positivement la rĂ©ussite du cabinet sans impacter votre temps de travail voire en vous soulageant. Toutefois, que se passe-t-il après ces premiers mois ? Le surplus a Ă©tĂ© exploitĂ©, la routine s’installe, et les objectifs stagnent, voire baissent. Et soudain malgrĂ© vos engagements, vous ne souhaitez plus vraiment associer votre collaborateur indĂ©pendant Ă  votre cabinet de façon plus dĂ©finitive. Le triangle des Bermudes oĂą s’abĂ®ment beaucoup de partenariats avant mĂŞme d’avoir Ă©tĂ© actĂ©s, c’est l’erreur commune qui consiste Ă  nĂ©gliger au profit des aptitudes techniques les compĂ©tences commerciales du candidat dès le dĂ©part, puisqu’il vient « en renfort Â» du surplus de patientèle nĂ© de vos efforts marketing. Il est donc important d’anticiper Ă©galement cet aspect de la relation, d’être certain des objectifs Ă  long terme de votre collaborateur, de l’harmonie de vos visions commerciales, et de sa capacitĂ© Ă  gĂ©nĂ©rer sa propre patientèle une fois le surplus de la vĂ´tre absorbĂ© et Ă  contribuer activement au dĂ©veloppement du cabinet – ou d’être prĂŞt Ă  tout le moins Ă  le former dès le dĂ©part sur ces points, et Ă  l’intĂ©grer, au-delĂ  de sa pratique, au fonctionnement global du cabinet en tant que co-dirigeant sur un pied d’égalitĂ© et non « soutien du dentiste Â». Acceptez de ne plus ĂŞtre « le dentiste et son associĂ© Â» mais « les deux dentistes, directeurs du cabinet dentaire Â».

De même, si vous êtes dans la position de celui qui intègre un cabinet en vue de devenir associé, sachez trouver et définir dès le début votre place, soyez honnête sur vos objectifs et vos capacités à long terme à vous forger une patientèle propre et à vous comporter en co-dirigeant et non en employé, et prêt à vous former le cas échéant. Vous n’achetez pas un poste de dentiste prémâché en laissant les investissements, les risques et les tracas de gestion au dentiste senior, vous devenez chef d’entreprise avec lui, avec la chance de le faire de manière progressive et accompagnée.

La différence d’âge

Un autre schĂ©ma classique d’association est l’introduction d’un associĂ© en vue de la vente du cabinet avant la retraite du dentiste senior. Une longue transition est souvent envisagĂ©e afin de transmettre en douceur la patientèle existante et de « lever le pied Â» progressivement pour le dentiste senior, qui entend pourtant continuer Ă  exercer parfois pour une dizaine d’annĂ©es. Ce type de situation peut ĂŞtre dĂ©licat pour les deux protagonistes, le dentiste senior pouvant se sentir « poussĂ© Â» vers la retraire par son jeune associĂ© ou frustrĂ© et mĂ©content de la modernisation de certains aspects qui selon lui fonctionnaient très bien, qu’il s’agisse de dentisterie ou de communication, tandis que l’associĂ© plus jeune ne se sentira pas traitĂ© en Ă©gal et en co-dirigeant malgrĂ© sa prise de parts Ă©gales dans le cabinet. Il est important dans ce cas de figure de dĂ©finir clairement les règles et attentes dès le dĂ©part des deux cĂ´tĂ©s, mais Ă©galement pour le dentiste senior d’accepter sa place d’aĂ®nĂ© et les changements progressifs apportĂ©s au cabinet : l’associĂ© est le futur « patron Â», et en tant que tel ne doit pas ĂŞtre minĂ© auprès des patients ou du personnel par une attitude paternaliste ou condescendante de son associĂ©, qui prĂ©pare sa retraite quand lui joue sa future carrière. C’est encore un Ă©cueil que pourront Ă©viter une rĂ©glementation prĂ©cise et un prĂ©visionnel large et dĂ©taillĂ© en amont.

Les attentes Ă  dĂ©finir et les Ă©tapes de l’association 

Après avoir dĂ©fini la compatibilitĂ© des visions, des conceptions et de la pratique, il s’agit d’établir clairement les attentes de chaque cĂ´tĂ© de la future association. Des objectifs prĂ©cis dans des dĂ©lais dĂ©finis doivent impĂ©rativement ĂŞtre fixĂ©s afin d’éviter tout futur ressentiment sous forme de « je pensais que Â». Lorsque les engagements sont Ă©crits, il n’y a pas de place pour les « je pensais Â» (qu’il dĂ©velopperait sa propre patientèle plus rapidement, me laisserait voix au chapitre sur le recrutement, Ă©tait formĂ© Ă  telle ou telle mĂ©thode professionnelle ou commerciale, partirait Ă  la retraite plus tĂ´t…).

IdĂ©alement, la transition s’effectue au minimum sur deux ans, par paliers progressifs quant aux responsabilitĂ©s avant tout engagement dĂ©finitif :

AnnĂ©e 1 :

Trimestre 1 : CompĂ©tence clinique. Adaptation aux procĂ©dures et systèmes en place, spĂ©cialisation conforme ou complĂ©mentaire de celles offertes par le cabinet.

Trimestres 2 et 3 : Relation et dĂ©veloppement patientèle. Gestion efficace des patients, Ă©tablissement de liens, fidĂ©lisation, autonomie.

Trimestre 3 : CompĂ©tence et initiative marketing. GĂ©nĂ©ration de nouveaux patients, force de proposition en stratĂ©gie commerciale et communication, dĂ©veloppement d’une patientèle propre.

AnnĂ©e 2 :

Trimestre 1 : CompĂ©tence financière et budgĂ©taire. CapacitĂ© Ă  comprendre et gĂ©rer le budget du cabinet. DĂ©penses et revenus conformes aux objectifs.

Trimestre 2 : CompĂ©tence leadership et relations avec le personnel. Prise de responsabilitĂ©, cogestion des ressources humaines, marquage de la position hiĂ©rarchique Ă  venir au sein du cabinet.

Trimestre 3 : Prise de part aux dĂ©cisions et Ă  la gestion. Force de proposition pour les Ă©ventuels changements, extensions, investissements ou coupes, et fixation conjointe des objectifs et ajustements.

Trimestre 4 : Codirection concrète du cabinet et officialisation de l’association.

Le piège de l’évitement

On l’a dit, malgrĂ© la plus minutieuse des prĂ©parations en amont, des tensions ou dĂ©saccords sont inĂ©vitables. Le tort le plus dommageable dans une association est l’évitement du conflit, la tendance Ă  laisser stagner une situation en espĂ©rant que l’autre comprenne ou devine seul d’abord qu’il y a un souci, et ensuite la nature de ce dernier. Vous n’êtes pas devin, votre associĂ© non plus : communiquez ! N’attendez jamais qu’une situation se dĂ©grade, ne ruminez jamais un grief en imaginant que l’autre sait parfaitement ce que vous avez sur le cĹ“ur alors que vous ne l’avez pas exprimĂ©. Ce type de comportement entraĂ®ne invariablement frustration et rancĹ“ur, de la part du mĂ©content qui fait souvent preuve sans le vouloir de mauvaise foi, le problème Ă©tant connu depuis trop longtemps pour lui alors que son interlocuteur le dĂ©couvre Ă  peine, comme pour le « fautif Â» qui ne comprend pas qu’on ne lui ait rien dit plus tĂ´t et qui plutĂ´t que de rectifier rapidement un comportement accidentel, doit parfois perdre une habitude Ă©tablie, ce qui est plus difficile. Le compromis n’est jamais une solution, mais plutĂ´t un argument Ă  charge supplĂ©mentaire potentiel lors de l’éclatement de la crise, sauf Ă  en avoir clairement discutĂ©, lorsque le bĂ©nĂ©ficiaire est parfaitement conscient de ce qu’il s’agit bien d’un compromis et non d’une acceptation et que vous-mĂŞme l’avez pesĂ© et dĂ©cidĂ© sans contrainte et sans dommage durable.

Communiquer ne signifie pas accuser ou attaquer. Si vous ĂŞtes gĂŞnĂ© Ă  l’idĂ©e d’aborder des sujets pouvant provoquer des tensions, dites-le en introduction. Évitez le rĂ©quisitoire et prĂ©fĂ©rez-y le dialogue, en parlant de ce que vous ressentez plutĂ´t que de ce que l’autre a ou n’a pas fait : il y a quelque chose dont il faut qu’on discute, je suis un peu maladroit et je ne veux surtout pas que cela t’apparaisse comme un reproche, je suis simplement mal Ă  l’aise avec tel ou tel Ă©vĂ©nement ou comportement, qu’en penses-tu ? Comment pourrait-on s’entendre sur ce point ? Ou ai-je mal compris ce que tu as dit/fait et peux-tu m’expliquer ta vision des choses ? Discuter immĂ©diatement des prĂ©occupations dĂ©samorce la rumination qui explosera en conflit ouvert et les interprĂ©tations erronĂ©es (il le fait exprès, il sait très bien ce que j’en pense mais se moque de moi) et l’impatience (le moindre travers annexe prenant des proportions gigantesques avec l’accumulation) qui en dĂ©coulent si vous attendez trop.

L’évitement peut Ă©galement concerner les signaux Ă©manant de votre associĂ© que vous refusez de voir si vous ĂŞtes dans la position inverse, c’est-Ă -dire non pas celui qui « a quelque chose Ă  reprocher Â» Ă  l’autre, mais celui « Ă  qui l’on reproche quelque chose Â». Certains signaux sont caractĂ©ristiques, et les ignorer au motif que vous ne pensez pas avoir quoi que ce soit Ă  vous reprocher entraĂ®ne les mĂŞmes consĂ©quences que la situation prĂ©cĂ©dente : c’est cette fois votre associĂ© qui est probablement en train de ruminer, de surinterprĂ©ter chacune de vos paroles ou chacun de vos actes etc. Que vous vous sachiez effectivement en tort ou pas, affrontez la situation, de la mĂŞme manière, en exprimant non la dĂ©fiance ou la dĂ©fensive mais votre ressenti, et en l’invitant Ă  exprimer ses Ă©ventuels griefs.

Les symptĂ´mes principaux d’un non-dit potentiellement dangereux dans une association sont souvent :

– une diminution de la communication, professionnelle (notes ou email plutĂ´t que communication verbale par exemple) comme informelle (ne plus se croiser le matin ou le soir s’éviter, ne pas s’être dit bonjour…)

– une augmentation des agacements et griefs (mĂŞme « mineurs Â»), qui se dĂ©placent vers la personne elle-mĂŞme plutĂ´t que le travail

– une diminution du respect (mĂŞme non affichĂ©e)

– une diminution de l’ambition pour le cabinet et un recentrement sur soi-mĂŞme

– un sentiment grandissant d’inĂ©galitĂ© (je travaille plus, il dĂ©pense plus…)

Anticiper l’imprévu

Nous avons vu que l’ensemble des composantes pratiques du cabinet devaient ĂŞtre anticipĂ©es afin d’éviter au maximum les surprises : aspects lĂ©gaux, administratifs, pratique elle-mĂŞme, objectifs, Ă©volutions, changements… Il est Ă©galement important d’envisager ensemble, au moins de façon informelle, un Ă©ventail le plus large possible de situations futures, mĂŞme lorsque cela peut sembler plus personnel ou improbable. Que se passe-t-il si l’un des associĂ©s se marie ou divorce ? DĂ©cède ? Les modes de vie hors du cabinet peuvent-ils avoir un impact sur l’association ou sur les performances (ponctualitĂ©, vacances, santĂ©, dettes…) ? Les positions ou opinions (religieuses, politiques, sociales, de genre) risquent-elles d’interfĂ©rer avec le travail ou les relations avec les patients et le reste du personnel ? Il ne faut rien nĂ©gliger si l’on souhaite bâtir un partenariat durable et sain. Il est important d’en discuter avant tout engagement afin d’éviter toute surprise difficile Ă  gĂ©rer lĂ©galement une fois l’association actĂ©e (ces motifs relevant de la sphère privĂ©e et ne pouvant justifier une dissolution forcĂ©e, malgrĂ© leur possible impact sur le cabinet, et une clause de moralitĂ© ou de conscience ne pouvant ĂŞtre que très limitĂ©e dans un contrat).

En conclusion, recruter un associĂ© ou s’engager comme associĂ© dans un cabinet existant ne sont pas des dĂ©cisions Ă  prendre Ă  la lĂ©gère ou en ne considĂ©rant que l’aspect positif des bĂ©nĂ©fices en termes de temps, de revenu, de rĂ©putation ou de dĂ©veloppement qu’elles peuvent reprĂ©senter. Il est primordial de s’attacher aux dĂ©tails, d’anticiper et de monitorer rĂ©gulièrement, au-delĂ  des prĂ©occupations purement lĂ©gales, financières ou administratives, la multitude de facteurs et de points vue qui peuvent garantir la rĂ©ussite ou assurer l’échec d’un partenariat : vision commune de la pratique et ambitions Ă  long terme, passion Ă©gale, objectifs en harmonie, approches mĂ©dicale comme commerciale de la gestion du cabinet compatibles, positions sur le matĂ©riel, la communication, la technique, traits fondamentaux des caractères, modes de vie en-dehors du cabinet, gestion du temps, des conflits, des problèmes internes… Le Docteur Cooper synthĂ©tise 15 difficultĂ©s principales qu’il a rencontrĂ© lors de ses missions de management de transition, malheureusement plus souvent au stade de la dissolution qu’à celui de la crĂ©ation puisque malgrĂ© l’adage selon lequel « les opposĂ©s s’attirent Â», trop d’écart dans les caractères, conceptions et attitudes des partenaires gĂ©nère souvent beaucoup d’incomprĂ©hension et de distance Ă  long terme :

– Le bourreau de travail vs un caractère plus dilettante ou privilĂ©giant sa vie sociale / vie de famille / temps personnel

– Le très organisĂ© vs le dĂ©sordonnĂ©

– La compĂ©tition sur le plan de la faveur du personnel (ĂŞtre le « patron prĂ©fĂ©rĂ© Â»)

– Les associĂ©s couple Ă  la ville (ou trop proches sur le plan personnel pour demeurer objectifs lors des tensions au travail)

– Le traditionnel vs le modernisateur

– Le matinal (mais qui part tĂ´t le soir) vs le lève-tard (qui reste le soir)

– L’économe vs le prodigue

– Les dĂ©saccords sur :

o les investissements

o les méthodes et procédures de traitement

o les tarifs

o les objectifs

– Les intervenants familiaux ou amicaux d’un des deux associĂ©s en poste au cabinet (Ă©poux / Ă©pouse ou compagne/ compagnon Ă  la comptabilitĂ© ou Ă  la prise de rendez-vous par exemple)

– Le manque de communication ou une mauvaise communication

– Le dĂ©sintĂ©rĂŞt du sort de l’autre associĂ©, de sa rĂ©ussite (l’égocentrisme)

Un consultant ou manager en transition, spĂ©cialisĂ© dans le secteur mĂ©dical, est une aide inestimable Ă  laquelle il faut impĂ©rativement faire appel au soutien de ce processus qui peut marquer un nouveau souffle comme un Ă©chec retentissant pour votre cabinet et l’ensemble de votre carrière. Mais cela seul ne suffit pas : une vigilance constante et des ajustements rĂ©guliers seront les seuls garants d’une relation durable et forte malgrĂ© les divergences et difficultĂ©s.