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Synthèse de « Les personnalitĂ©s difficiles ou dangereuses au travail Â», Roland Guinchard, Ă©ditions Elsevier Masson, 2013.

Le but de l’ouvrage n’est pas de soigner, guĂ©rir ou changer les personnalitĂ©s difficiles au travail (au bureau, Ă  l’atelier, en clientèle…), mais de les reconnaĂ®tre et de « faire avec Â». Ces personnes ne sont pas particulièrement nombreuses (si vous pensez n’en avoir jamais rencontrĂ©, c’est cependant que vous vous voilez la face), mais leur pouvoir de nuisance est rĂ©el, et il est impossible de traiter par le mĂ©pris les problèmes qu’elles engendrent.

Il s’agit de jauger plus que de juger. Vous-même pouvez être une personnalité difficile (cela peut être le cas si vous pensez être exclusivement entouré de personnalités difficiles). Certaines personnalités difficiles ne sont pas seulement des personnalités difficiles mais des personnalités dangereuses.

  1. Une bonne nouvelle : nous sommes tous nĂ©vrosĂ©s !

  1. La névrose ou les origines du comportement

Nous sommes tous névrosés dans le sens où nous avons tous une relation dynamique, conflictuelle, compliquée, non immédiate et mystérieuse avec notre inconscient. Etre névrosé, c’est avoir un inconscient. Nous nous baserons ici sur l’hypothèse psychanalytique.

D’après les psychanalystes, au moins 80% (en rĂ©alitĂ© plutĂ´t 95%) des raisons de notre comportement nous Ă©chappent. Nous croyons nos dĂ©cisions justifiĂ©es, conscientes et rationnelles alors qu’elles viennent d’un empilement de raisons archaĂŻques, primaires, fondamentales, d’un rĂ©seau de motifs antĂ©rieurs, passĂ©s et initiaux, d’un processus incroyable de transformation et de dissimulation des sources rĂ©elles. Notre constat que « nous sommes des gens sĂ©rieux qui savons ce que nous faisons Â» est parfaitement illusoire.

Le psychanalyste ne peut pas visiter l’inconscient de ses patients mais peut rendre compte des consĂ©quences de la coupure entre conscient et inconscient, et tĂ©moigner des phĂ©nomènes qui se produisent dans la zone frontière entre l’inconscient mystĂ©rieux et la conscience vigile (les « incidents de frontière Â»).

A la frontière entre conscient et inconscient surgissent des transfuges : rĂŞves et cauchemars (dont seuls les rĂ©cits demeurĂ©s prĂ©sents Ă  la conscience peuvent ĂŞtre analysĂ©s), lapsus et actes manquĂ©s, symptĂ´mes ou affections psychosomatiques.

Le modèle du comportement humain ne peut ĂŞtre compris qu’en le rĂ©fĂ©rant Ă  l’énergie inconsciente. Nous sommes comme des personnages dansant sur un volcan, colmatant en urgence du pied les micro-Ă©ruptions pour que cela ne dĂ©gĂ©nère pas en catastrophe. Cette danse, c’est notre « comportement Â». Nous considĂ©rons celui dont le pied ripe comme une « personnalitĂ© difficile Â».

  1. Ce qui définit une personnalité difficile au travail

Jauger les comportements difficiles au travail est plus simple qu’on ne le croit et plus positif qu’on ne le pense. Nul besoin d’être médecin psychiatre pour le faire. En apprenant à connaître les critères d’évaluation du comportement d’une personne au travail, nous apprendrons à la respecter vraiment tout en nous préservant nous-même. Au travail, nous nous consacrons à des tâches que nous n’avons que rarement choisies, en compagnie de gens que nous n’avons pas choisis non plus.

Les jugements de valeur Ă  l’emporte-pièce (« Le chef est complètement parano Â») sont dus Ă  l’angoisse, qui est au cĹ“ur du problème d’autant plus qu’elle atteint Ă  la fois la personnalitĂ© difficile et celui qui doit composer avec cette dernière. Mais une personnalitĂ© difficile se rĂ©sume-t-elle Ă  ce qu’elle fait ?

En rĂ©alitĂ©, un mĂŞme comportement peut exprimer ou cacher de la mĂŞme façon des natures diffĂ©rentes. Au travail, nous n’avons cependant que les comportements pour nous renseigner sur la nature d’une personne. On ne peut donc pas juger une personne au travail ; seulement estimer un malaise en rĂ©fĂ©rence Ă  une situation professionnelle. Une personnalitĂ© difficile est repĂ©rable (le plus souvent) Ă  un comportement pourvu de quelques caractĂ©ristiques peu nombreuses mais prĂ©cises qui obligent Ă  rĂ©agir face Ă  son attitude.

Quatre balises critères permettent de définir une personnalité difficile.

Une personnalitĂ© difficile est une personne qui manifeste un comportement inadaptĂ© en situation professionnelle : c’est la balise critère 1.

Une personnalitĂ© difficile est une personne qui manifeste un comportement inadaptĂ© en situation professionnelle de façon durable, rĂ©pĂ©titive et sans qu’on puisse en percevoir la raison : c’est la balise critère 2.

Une personnalitĂ© difficile est une personne qui manifeste un comportement inadaptĂ© en situation professionnelle de façon durable, rĂ©pĂ©titive, sans qu’on puisse en percevoir la raison et qui entraĂ®ne une gĂŞne rĂ©elle pour l’entourage de travail et pour la performance de l’équipe ou de l’entreprise : c’est la balise critère 3.

Une personnalitĂ© difficile est une personne qui manifeste un comportement inadaptĂ© en situation professionnelle de façon durable, rĂ©pĂ©titive, sans qu’on puisse en percevoir la raison, qui entraĂ®ne une gĂŞne rĂ©elle pour l’entourage de travail et pour la performance de l’équipe ou de l’entreprise avec une vraie difficultĂ©, voire une certaine souffrance de la personne difficile elle-mĂŞme : c’est la balise critère 4.

Le champ des personnalités difficiles est ouvert. Chacun y passe, mais si on est une personnalité difficile si on y reste en permanence. Certaines balises ont des conséquences moins stigmatisantes que d’autres. Et au moins trois balises sont nécessaires pour créer le champ.

  1. Deux mondes et trois langues pour des personnalités différentes

La plupart des ouvrages ont le dĂ©faut de proposer un grand nombre (de 15 Ă  40) de personnalitĂ©s difficiles. En effet, tout en voulant ĂŞtre exhaustif, on confond structure des personnalitĂ©s difficiles et symptĂ´mes qui la manifestent. En psychanalyse, il n’y a que deux catĂ©gories : les nĂ©vrosĂ©s (personnalitĂ©s difficiles) et les psychotiques (personnalitĂ©s dangereuses).

Au travail, on trouve très peu de personnalitĂ©s dangereuses. On ne trouve que des psychoses particulières, dites « socialisĂ©es Â» ou narcissiques. Ces personnes sont en apparence adaptĂ©es.

Entre névroses décompensées et psychoses socialisées ou narcissiques existe une frontière quasiment étanche. Si nous sommes névrosés, la bonne nouvelle est que nous ne sommes probablement pas psychotiques.

La psychose se guĂ©rit mal ; il s’agit donc de « faire avec Â».

La nĂ©vrose s’exprime par une langue : l’hystĂ©rie. Et cette langue comprend deux dialectes : l’obsession et la phobie. Une personne normale (c’est-Ă -dire dont la nĂ©vrose est compensĂ©e) est une personne qui sait parler couramment les trois langues. Une personne difficile, dont la nĂ©vrose n’est pas compensĂ©e, ne sait en parler qu’une sur trois. Une personne normale est Ă  la fois hystĂ©rique (Ă  70%), obsessionnelle (Ă  10%) et phobique (Ă  20%). Une personnalitĂ© difficile elle va par exemple ĂŞtre hystĂ©rique Ă  100% de son temps de travail, Ă  50% obsessionnel ou Ă  70% phobique.

  1. Les personnalitĂ©s difficiles : les reconnaĂ®tre et les gĂ©rer

  1. La « langue Â» de l’hystĂ©rie

MĂŞme « normaux Â», nous sommes hystĂ©riques 70% du temps. On ne peut vivre seul, et le regard des autres compte forcĂ©ment. Sans arrĂŞt, nous nous demandons si nous sommes assez aimĂ©s et aimables, pour provoquer et obtenir un peu d’attention de leur part. Ceci est normal, mais mobilise beaucoup d’énergie.

Les problèmes commencent quand le pourcentage ordinaire d’hystĂ©rie dĂ©passe les 80%. Le premier signe de l’hystĂ©rie excessive est l’aspect dĂ©monstratif. L’hystĂ©rique « donne Ă  voir Â», par exemple via une tenue provocante, le fait d’arriver en avance ou en retard (il se met toujours en dĂ©calage avec les autres), le discours (dĂ©calĂ© lui aussi). C’est la première dimension de l’hystĂ©rie. Plus le taux d’hystĂ©rie est Ă©levĂ©, plus la personne devient insupportable.

La seconde dimension de l’hystĂ©rie touche Ă  la question du corps : le corps est soit celui du dĂ©sir (l’hystĂ©rique « allume Â» ; au travail il s’implique, puis dĂ©serte…) soit celui de la plainte (ils font vivre leur entourage au rythme de leurs maux physiques –maux rĂ©els et « up to date Â», ie contagieux : troubles musculo-squelettiques, fibromyalgie…). Un hystĂ©rique au travail a vite fait de qualifier tout problème relationnel aigu en « harcèlement avec risque de suicide Â».

La troisième dimension de l’hystĂ©rie est l’inauthenticitĂ© et la sur-affectivitĂ©. Les problèmes affectifs et personnels envahissent tout, tantĂ´t sur le mode joyeux, tantĂ´t sur le mode dĂ©pressif. L’hystĂ©rique fatigue les autres avec ses discours sans fin sur lui-mĂŞme, et n’arrive pas Ă  se concentrer sur le travail. Il aime « les histoires Â» : en raconter, en faire…

La quatrième dimension de l’hystĂ©rie est l’insatisfaction comme but. Avec l’hystĂ©rique, rien ne marche jamais. Il fait mobiliser beaucoup d’énergie par les autres (par exemple en rĂ©clamant des amĂ©nagements d’horaires), mais toujours en vain car il n’est jamais content. Vulgairement parlant, c’est un « emmerdeur Â».

L’hystĂ©rique n’est pas toujours oĂą on le croit. L’hystĂ©rique n’est pas forcĂ©ment une blonde dĂ©colorĂ©e, trop maquillĂ©e, aguichante et exubĂ©rante. Cela peut-ĂŞtre aussi un grand costaud qui ne se sort jamais de ses problèmes conjugaux, une petite femme grise et « discrète Â», un manager « charismatique Â», un bavard, un syndicaliste qui utilise le syndicat comme théâtre personnel…

Les personnalités difficiles au travail sont presque toujours (dans 7 à 8 cas sur 10) des hystériques.

Pour les gĂ©rer, la formule (difficile) Ă  appliquer est « 95% de distance, 5% de reconnaissance Â».

Le problème de l’hystĂ©rique est qu’il ne sait jamais exactement oĂą se trouve la frontière entre le travail et le privĂ©. La faire tracer par un autre apaise son angoisse. Ce qu’il veut, c’est ĂŞtre sĂ»r qu’il y ait une limite. Mais il va ensuite sans arrĂŞt chercher Ă  tester cette limite, Ă  vĂ©rifier que ce qu’on lui a signifiĂ© est vrai. Il faut donc ĂŞtre en permanence extrĂŞmement clair avec cette question des limites, des rĂ´les et des fonctions (c’est le « 95% de distance Â»), tout en glissant de temps en temps un compliment –justifiĂ©- Ă  l’hystĂ©rique (c’est le « 5% de reconnaissance Â»).

Il faut tenir ces limites Ă  long terme, ĂŞtre clair avec soi-mĂŞme et très professionnel. Il faut savoir ce que l’on veut. Il faut ĂŞtre sĂ©vère mais juste, accepter de ne pas ĂŞtre aimĂ© et s’attendre Ă  des pressions (« Vous avez Ă©tĂ© très dur, il est maintenant dans un sale Ă©tat…»). On va ĂŞtre confrontĂ© Ă  des situations dĂ©licates (mettre en place des limites et dire par exemple « Les considĂ©rations personnelles n’ont pas court Â» est difficile) et Ă  des dĂ©gâts collatĂ©raux (« Le travail est plus efficace, mais on rigole moins Â»).

  1. Premier dialecte de l’hystĂ©rie : l’obsession

Les gens normaux sont Ă  10% obsessionnels : nous organisons a minima notre environnement, Ă  la maison ou au travail.

A 20% d’obsession, on est un « collaborateur modèle Â» : rigoureux, rĂ©servĂ©, rationnel, avec des rituels et Ă©conome.

Au-delĂ , on devient une personnalitĂ© difficile : notre comportement est inadaptĂ©, rĂ©pĂ©titif, sans raison apparente, provoque de la gĂŞne dans notre entourage, gĂŞne nos performances et nous fait souffrir. On veut contrĂ´ler ce qu’il se passe parce que « au moins comme ça, c’est clair Â». On souffre d’un lĂ©ger handicap (ou dĂ©ficit) relationnel. On nous appelle par exemple « mon colonel Â». Il y a parfois agressivitĂ© ou obsĂ©quiositĂ© : « mĂ©fiez-vous d’un obsessionnel qui vous tient la porte, il se retient de vous l’envoyer dans la figure Â».

A 40% d’obsession, on a un vrai problème avec les décisions. On doute. On pèse le pour et le contre, puis on fait appel à un expert.

A 50% d’obsessionnalitĂ©, on a en plus une volontĂ© de contrĂ´le sur les autres. On poursuit l’idĂ©e de perfection, le rĂŞve d’impeccabilitĂ©, l’idĂ©al de maĂ®trise, le fantasme absolu du « zĂ©ro dĂ©faut Â». Les besoins et les attentes des autres, les circonstances particulières d’une situation, plus rien ne compte. On ne dĂ©lègue plus, on contrĂ´le.

Avec un obsessionnel, il faut savoir passer outre les problèmes de communication, ne pas lui confier de dossiers de dĂ©cision, des tâches de management constant, nĂ©gocier l’étendue de son pouvoir de contrĂ´le, proposer des tâches alternatives au contrĂ´le et utiles Ă  tous et lui confier des postes d’expertise. Etant donnĂ© que l’obsessionnel a peur de manquer d’ouvrage, on peut aussi « charger la mule Â» (sans le surcharger non plus !). Car si on lui propose de lâcher du lest, on va au contraire l’angoisser encore plus. Or il faut apaiser l’angoisse (prĂ©gnante), pas l’attiser.

  1. Second dialecte de l’hystĂ©rie : la phobie

Etre phobique, c’est avoir peur. C’est un vestige de la menace qui pèse sur l’Homme depuis qu’il est sur Terre. La phobie normale ordinaire consiste Ă  se protĂ©ger des dangers. La recherche de cette sĂ©curitĂ© est une drogue dure : nous ne pouvons plus nous passer de nos tĂ©lĂ©phones portables, de nos GPS…

Au travail, le phobique excessif (« dĂ©compensĂ© Â») est anxieux, pessimiste, sur ses gardes. Il n’aime pas le changement et cherche Ă  se protĂ©ger, Ă©ventuellement par la fuite. Il est inquiet, nĂ©gatif et prompt Ă  dĂ©moraliser, faire douter ou paniquer les autres. Parfois, l’angoisse se fixe sur un objet : les araignĂ©es, les ponts, les microbes…

Au travail, une des rĂ©actions phobiques moins extrĂŞme mais très rĂ©pandue est la fuite. Le phobique ne se contente pas des facilitĂ©s qu’offre une sociĂ©tĂ© avancĂ©e (congĂ©s, RTT, arrĂŞts de travail…) : il fait des Ă©tudes qui n’en finissent pas, se lance sans arrĂŞt dans de nouvelles voies professionnelles, tombe malade juste avant un rendez-vous de la plus haute importance, se met en situation d’être licencié… bref, il fuit.

Il ne faut pas rassurer gratuitement un phobique (« Tu vas voir, tout ira bien Â») mais passer en revue avec lui tout ce que l’on peut faire si cela va mal. Il faut « poser des balises Â». Fixer des points d’étape, expliquer les procĂ©dures, organiser des tâches progressives, ne pas dĂ©nier les difficultĂ©s (mĂŞme si elles nous paraissent mineures), proposer des activitĂ©s contra phobiques (pour cela, on s’intĂ©resse Ă  ce qui lui fait peur : les progrès peuvent ĂŞtre spectaculaires), aller dans le sens de ses dĂ©fenses pour les accorder Ă  la situation et montrer le verre Ă  moitiĂ© plein.

  1. Préciser les modes de gestion des personnalités difficiles

  1. Structures et symptĂ´mes

Les HOP (hystĂ©riques, obsessionnels et phobiques) ne sont pas les seuls Ă  poser problème en entreprise. Au-delĂ  des « structures fixes Â» des HOP, il y a les « symptĂ´mes glissants Â» des arrogants, des suicidaires, des dĂ©primĂ©s, des mĂ©fiants, des sensibles, des harceleurs… La « ligne de symptĂ´me Â» recouvre tous les dĂ©fauts de caractère de pratiquement tout le monde : colĂ©rique, sournois, arrogant, instable, silencieux, sale, mĂ©prisant, vantard, idiot, rĂŞveur…

Cette « ligne de symptĂ´me Â» glisse sur celle de la structure. Et c’est seulement Ă  partir de la structure qu’on peut gĂ©rer les personnalitĂ©s difficiles. Il n’y a pas de correspondance systĂ©matique entre un symptĂ´me et une structure. Le symptĂ´me « colère Â» peut correspondre Ă  3 structures diffĂ©rentes. HystĂ©rique si la colère vient de ce que l’employĂ© trouve qu’on ne lui a pas accordĂ© assez d’attention depuis un mois ; obsessionnel chez celui qui en a assez d’attendre qu’on lui envoie les pièces justificatives qu’il a demandĂ©es par Ă©crit Ă  12 reprises ; phobique chez celui qui pense qu’ Â« avec ce système, on va dans le mur et on va tous mourir Â».

Il faut prendre du recul et refuser de s’intĂ©resser aux symptĂ´mes, aux « histoires Â». Et s’enfermer dans son bureau pour rĂ©flĂ©chir plutĂ´t que se parler avec l’hystĂ©rique qui va fondre en larmes, rĂ©criminer et finalement embrouiller toute notre capacitĂ© Ă  penser.

Que signifie le comportement ? Est-ce un enjeu de sĂ©duction, de reconnaissance, de mise en scène (personnalitĂ© hystĂ©rique) ? De contrĂ´le, de maĂ®trise (personnalitĂ© obsessionnelle) ? De protection, de fuite (personnalitĂ© phobique) ?

Si on ne sait pas, traiter la personne comme si elle Ă©tait hystĂ©rique. Si tous les enjeux sont prĂ©sents, s’interroger sur le mode de management. Bien garder Ă  l’esprit que l’on doit prendre comme ils sont les chefs, collègues ou collaborateurs « normaux Â», c’est-Ă -dire aux nĂ©vroses compensĂ©es. Et ne pas oublier de s’interroger sur soi-mĂŞme.

  1. SymptĂ´mes particuliers au travail : dĂ©pression, anxiĂ©tĂ©, addictions

La quatrième balise critère est la souffrance du sujet difficile.

Il y a parfois chez les personnalitĂ©s difficiles un syndrome anxiodĂ©pressif, mĂŞlant peur et tristesse. La dĂ©pression, qui entraĂ®ne inadaptation, rĂ©pĂ©titivitĂ©, absence de raisons, gĂŞne de l’entourage et de la performance, peut crĂ©er la totalitĂ© du tableau d’une personne difficile. On reconnait alors un symptĂ´me de dĂ©pression pour une structure H, O et P.  Il s’agit de s’occuper des consĂ©quences possible de cette dĂ©pression, sans transformer celle-ci en « donnĂ© Ă  voir Â» supplĂ©mentaire. Et continuer Ă  garder la distance professionnelle, Ă  fixer les limites, Ă  donner de la reconnaissance Ă  dose homĂ©opathique.

Dans les cas graves, il faut indiquer rapidement à la personne qu’elle ne va pas bien et qu’elle doit consulter, ne serait-ce que pour préserver la dimension professionnelle.

La dĂ©pression est une baisse, un trou dans l’humeur. Pour le dĂ©pressif, le sens disparaĂ®t. Tout lui semble sans couleur, sans saveur, sans odeur. L’humeur est plus ou moins cyclique chez tout le monde. Avec le trouble bipolaire, il n’y a pas de système de rĂ©gulation. Parfois les Ă©vĂ©nements dĂ©primants ne relâchent pas leur emprise, pèsent sur l’humeur dont le niveau moyen descend au fil du temps, entraĂ®nant des consĂ©quences psychophysiologiques. Cette dĂ©pression durable est dangereuse et il faut prendre en urgence des antidĂ©presseurs. Il ne faut pas penser que « Ă§a va passer Â», qu’on s’en sortira seul, qu’on ne fera rien car « on n’est pas fou Â» ou refuser d’emblĂ©e les mĂ©dicaments (qui n’ont pas pour but de « faire voir la vie en rose Â» mais de stopper la descente infernale en spirale.

Ne pas craindre d’être intrusif : l’arrivĂ©e de la dĂ©pression dans le travail est aussi une intrusion. Et il vaut mieux se tromper qu’ignorer.

L’anxiĂ©tĂ© est un autre symptĂ´me, plus spectaculaire et souvent plus transitoire, de la souffrance : agitation, cris, mouvements dĂ©sordonnĂ©s, panique, fuite « folle Â», agression injustifiĂ©e… L’anxiĂ©tĂ©, en crise, est contagieuse : elle peut crĂ©er de la panique sur le lieu de travail : il faut intervenir vite en stoppant le mouvement irraisonnĂ© qui s’installe (« Stop ! Ca suffit, chacun Ă  son poste, Untel, chargez-vous de ça, Untel, appelez le responsable ! Â») et en isolant la personne en crise (et en l’incitant Ă  bien respirer et Ă  se relaxer).

L’addiction est une mauvaise façon de soigner l’anxiĂ©tĂ©. Les anxiolytiques entraĂ®nent une dĂ©pendance psychologique ; l’alcool et les drogues des dĂ©pendances qui vont dĂ©passer tout le monde. La personne peut Ă©galement tomber dans l’addiction au travail, trouble des « personnalitĂ©s de type A Â» hĂ©las valorisĂ© culturellement.

  1. Pourquoi les personnalitĂ©s difficiles sont-elles devenues difficiles ?

Première Ă©tape : vieilles angoisses et fonction paternelle

Tout commence avec « Maman Â». Pour l’enfant, les besoins physiologiques ont l’importance majeure des enjeux de la survie et sont vĂ©cus comme une expĂ©rience absolue. Ces soins vont devenir le support et les reprĂ©sentations de la mère. Si la satisfaction du besoin tarde Ă  venir, le bĂ©bĂ© ressent une angoisse d’abandon absolue. Quand la satisfaction arrive, le bĂ©bĂ© associe cette satisfaction Ă  la personne qui se trouve derrière, et l’image de la mère se construit, sans mesures et sans limites non plus. Quand le bĂ©bĂ© prend conscience qu’il existe pour lui-mĂŞme, il ressent d’ailleurs une angoisse de fusion : il veut ĂŞtre absorbĂ© par sa mère, mais cela lui fait une peur horrible.

Cette oscillation perpétuelle entre angoisse d’abandon total et crainte d’absolue fusion est nécessaire et utile afin de trouver des solutions pour s’en sortir. La solution d’attente est par exemple le suçage de pouce.

Le système de rĂ©gulation existe : c’est la fonction paternelle (plus que le père lui-mĂŞme). C’est l’inconscient de la mère qui attribue au père cette fonction. Et c’est ensuite le père qui dĂ©cide ou pas d’investir cette fonction. L’apparition de cette fonction stabilise les angoisses archaĂŻques de l’enfant et crĂ©e une sĂ©paration mère/enfant.

Cette fonction paternelle est le modèle central d’une fonction symbolique, élément particulier qui fournit en toutes circonstances de l’existence une limite, des repères, une origine.

Trois exemples peuvent aider Ă  comprendre cette fonction symbolique : le repère et la limite (perdu en mer, confus mentalement, je retrouve mes esprits et le sens de mon parcours au moment oĂą j’aperçois au loin la lueur d’un phare), les limites et l’origine (le langage a une fonction symbolique majeure : il dĂ©finit ce qu’est l’objet, mais aussi ce qu’il n’est pas), la mĂ©diation (un tiers peut rĂ©ussir Ă  recrĂ©er un espace dans lequel deux employĂ©s fâchĂ©s peuvent se parler Ă  nouveau).

La fonction paternelle possède une fonction symbolique majeure, pourvue de trois capacitĂ©s : donner des repères, mettre des mots traçant une coupure entre mère et enfant, ĂŞtre un tiers de rĂ©fĂ©rence pour maintenir en permanence l’écart mère/enfant. Tout cela vise Ă  poser Ă  chaque fois des points d’origine pour les choses, afin que celles-ci prennent le sens d’une histoire.

Tout ceci se passe entre 0 et 3 ans.

Deuxième Ă©tape : le refoulement

Après trois ans, tout passe « sous le tapis Â» car l’enfant met toute son Ă©nergie Ă  vivre. Le vĂ©cu archaĂŻque se transforme en source d’énergie. De petites fuites permettront plus tard de se consacrer Ă  la perpĂ©tuation de l’espèce via l’amour et le travail.

Troisième Ă©tape : le retour du refoulĂ©

La protection assurĂ©e par le refoulement n’est pas parfaite : de vieilles angoisses peuvent s’échapper et se rĂ©actualiser, par exemple Ă  cause de traumatismes, mais parfois sans raison particulière (car le système pose en permanence la question de l’existence et de la validitĂ© de la fonction paternelle). Le sujet met alors en place des mĂ©canismes de dĂ©fense contre l’angoisse.

Quatrième Ă©tape : les mĂ©canismes de dĂ©fense

Ce sont des « bouchons comportements Â» qui visent Ă  annuler les angoisses qui surviennent.

On peut comprendre la névrose et les personnalités difficiles comme le débordement des défenses.

Contre l’angoisse d’abandon, comme bouchon comportement, je peux chercher Ă  me faire remarquer, Ă  « donner Ă  voir Â» ou au contraire fuir : c’est l’hystĂ©rie. Contre l’angoisse de fusion, je peux intellectualiser et virtualiser Ă  outrance, classer, ordonner : c’est l’obsession. Contre les angoisses de fusion et d’abandon, je peux ĂŞtre pessimiste, fuir ou avoir des conduites contra phobiques : c’est la phobie. Tous ces moyens de dĂ©fense sont normaux (les dĂ©fenses permettant aussi un lien avec l’environnement), sauf quand ils sont utilisĂ©s de façon dĂ©sĂ©quilibrĂ©e ou systĂ©matique.

Quand l’enfant subit des attouchements incestueux par le père, rien n’est à sa place, l’angoisse surgit massivement et le sujet utilise le moyen de défense hystérique de façon constante et abusive.

La « recette Â» consiste Ă  signaler au sujet difficile qu’il y a un pilote dans l’avion (la fonction symbolique), mĂŞme s’il ne l’a pas vu. Il faut aller dans le sens des dĂ©fenses, au lieu d’essayer de les casser (ce que nous faisons spontanĂ©ment). Ne pas se poser comme « maĂ®tre Ă  penser Â». La gestion de ces personnalitĂ©s ne doit pas nous apporter de satisfactions narcissiques. Le but est simplement que le travail reprenne. Si nous attendons une rĂ©compense, c’est que nous sommes nous-mĂŞmes des hystĂ©riques !

  1. Approcher les personnalitĂ©s dangereuses : paranoĂŻaques et pervers

Le châssis psychique est la structure première, décrite précédemment, qui détermine la qualité et les modalités de la relation au monde matériel, relationnel et social. Cette structure va conditionner et assurer la cohérence de tout ce qui viendra après (comme le châssis d’une voiture).

Ce châssis produit le sens de la rĂ©alitĂ©. La relation Ă  la mère crĂ©e chez le bĂ©bĂ© un sentiment de toute-puissance, que vient attaquer la fonction paternelle : cette limite au dĂ©sir tout-puissant s’appelle la rĂ©alitĂ©.

Le second effet de la constitution du châssis psychique, c’est le souci de l’autre (ou accès Ă  la culpabilitĂ©). L’enfant comprend qu’il va partager son existence avec d’autres personnes, qui lui diront souvent « non Â». Tout humain qui parle va donc devenir un interlocuteur valable, avec lequel il faudra compter.

La rĂ©compense Ă  tout cela, la consĂ©quence directe de l’ Â« accès Ă  la rĂ©alitĂ© Â» et du « souci de l’autre Â», c’est le sentiment d’exister, dont on pense qu’il est innĂ© alors qu’il est clairement acquis.

Les personnalités difficiles sont empêtrées dans l’éprouvé excessif du sentiment d’existence. Elles sont en permanence dans une histoire dont l’enjeu est l’amour au sens large et la culpabilité est excessivement envahissante en continu. La question du père est posée en permanence.

La différence entre personnalité difficile et personnalité dangereuse est que la personnalité dangereuse a un châssis faussé. La tenue de route des personnalités dangereuses défaille.

  1. Les paranoĂŻaques au travail

Un paranoĂŻaque « dĂ©cide Â» d’occuper lui-mĂŞme la fonction paternelle. C’est une modification majeure du châssis psychique. En apparence, tout est normal. Cependant, le sens des rĂ©alitĂ©s n’est pas le mĂŞme, le souci de l’autre se modifie et le sentiment d’exister n’est pas consolidĂ©. La toute-puissance imaginaire se paie d’une « toute-impuissance Â» Ă  exister. La porte de sortie, c’est la paranoĂŻa.

Le premier Ă©lĂ©ment de cette stratĂ©gie est la constitution d’un territoire : « Cet espace, c’est moi Â» (et non pas « est Ă  moi Â»), « Je suis le maĂ®tre du monde Â», « Le premier qui pĂ©nètre dans ce local, je le traĂ®ne au tribunal et le fais payer jusqu’à la fin de sa vie, car je connais des gens très importants Â»â€¦ C’est la mĂ©galomanie : l’existence dĂ©passe les limites du corps.

La première conséquence de la mégalomanie est la méfiance. Le territoire doit être surveillé, c’est une question de vie ou de mort. Il y a silence, distance, absence de chaleur, crises de fureur surréalistes…

Il y a aussi la persĂ©cution : le paranoĂŻaque se trouve en un tiers un « miroir partiel Â» dont il fait son protĂ©gĂ©, son mentor ou son alter ego. Puis un jour, cette personne devient, pour des raisons obscures, persona non grata. La brutale destitution est suivie d’attaques : mise Ă  l’écart, vexations, accusations (fantaisistes ou insistantes) de plus en plus graves.

Le paranoĂŻaque projette : rien n’est jamais de sa faute. Les autres sont toujours la cause des difficultĂ©s. Le paranoĂŻaque tient des discours très particuliers, flous et projectifs, mais toujours très convaincus.

Le trouble paranoïaque peut être transitoire. D’autre part, quand le terrain est réellement inconnu et/ou hostile, chacun peut se sentir paranoïaque. On a parfois de bonnes raisons d’être méfiant.

Quand on touche à son territoire ou quand on le compare à un autre (quand son châssis faussé est pris dans les virages de l’identification), le paranoïaque peut décompenser de façon psychotique. Dans ces cas-là, les symptômes s’aggravent.

Le paranoĂŻaque Ă©crit beaucoup : il envoie beaucoup de lettres de rĂ©clamation, de SMS, de courriels. L’étape suivante, c’est le passage au juridique. Le fait de porter plainte ou de passer au tribunal calme le paranoĂŻaque : pour une fois, il accepte qu’un tiers (la Justice) occupe la place tierce de fonction symbolique avec les autres. Les relations avec lui se rĂ©gularisent donc (de plus, comme durant cette phase il est souvent absent de l’entreprise, le soulagement est gĂ©nĂ©ral), mais c’est au prix de la judiciarisation (consĂ©quences financières, organisationnelles, mĂ©diatiques…) et la stabilisation n’est que momentanĂ©e. Un jour, la Justice perd sa place de fonction symbolique et passe dans la catĂ©gorie prĂ©fĂ©rĂ©e du paranoĂŻaque : le « tous pourris Â». Eventuellement, il passe Ă  l’étape suivante : le passage Ă  l’acte. Les paranoĂŻaques au bout du processus se retrouvent dans la rubrique des faits divers des journaux. Ils utilisent souvent des fusils de chasse.

Tout cela met bien sĂ»r longtemps Ă  se faire. Au dĂ©but, le paranoĂŻaque est sĂ©duisant (c’est d’ailleurs pour ça qu’il est recrutĂ©). Un premier cercle se rend compte que quelque chose ne va pas, alors que le second ne voit rien. Le paranoĂŻaque continue d’apparaĂ®tre comme exemplaire et gĂ©nĂ©reux. Ses raisonnements se tiennent, il a une grande force de conviction. Mais tout est gâchĂ© par des bases fausses (« Tout le monde m’en veut Â»).

Avec un paranoĂŻaque, il ne faut pas rester seul et protĂ©ger l’entourage. Une sĂ©paration nĂ©gociĂ©e est la solution la plus souhaitable, mais comme le paranoĂŻaque l’accepte rarement, il faut en passer par la Justice. Si la sĂ©paration n’est pas envisageable, il faut opter pour le confinement adaptĂ© (le placard), solution très onĂ©reuse. On peut aussi opter pour un roulement rĂ©gulier des alliĂ©s du paranoĂŻaque (alliĂ©s qui deviennent persĂ©cuteurs au bout de deux Ă  trois ans, mais qui entretemps permettent de stabiliser relativement le paranoĂŻaque) : c’est le « passe Ă  ton voisin Â». Enfin, les soins psychiatriques sont souhaitables (hospitalisation Ă  la demande d’un tiers ou d’office, car le paranoĂŻaque ne se croit pas malade), mais il faut qu’il y ait menace sur la vie du sujet ou sur celle d’autrui. Les DRH, mĂ©decins du travail, managers etc. doivent absolument crĂ©er un rĂ©seau avec des psychiatres (de ville ou hospitaliers) pour apprendre Ă  prĂ©venir et Ă  gĂ©rer les crises.

En toutes circonstances, avec un paranoĂŻaque, il faut renoncer dĂ©finitivement Ă  toute espèce de relation normale (tout changement est toujours illusoire, rien n’a changĂ© et rien ne se modifiera). Il faut toujours rester extrĂŞmement formel (et toujours Ă©gal, clair, poli et bienveillant quoi qu’il arrive), maintenir le lien (un lien professionnel standard, « ni plus ni moins Â») et parler travail en restant factuel (ne pas le laisser organiser l’entreprise autour de lui). Les paranoĂŻaques sont extrĂŞmement prĂ©visibles dans la progression de leur Ă©tat.

  1. Les pervers au travail

Le pervers n’investit pas lui-mĂŞme la fonction paternelle (comme le fait le paranoĂŻaque) : il la refuse purement et simplement. Pour lui, la rĂ©alitĂ© doit correspondre Ă  ce qu’il en attend selon le scĂ©nario qui lui vient, et dans cette rĂ©alitĂ©, l’autre est un objet.

Le pervers n’a pas spontanĂ©ment de sentiment d’existence. Il a un sentiment de toute-puissance qu’il cherche Ă  maintenir, Ă  prouver. Il organise sa vie comme le lieu permanent de l’inutilitĂ© de la fonction paternelle. L’évidence de l’existence des nĂ©vrosĂ©s « normaux Â» est impossible Ă  percevoir pour le pervers. Il mĂ©prise donc les nĂ©vrosĂ©s « normaux Â» : « Regardez-moi ces imbĂ©ciles (…) Â»

Le pervers devient expert en perception du dĂ©sir des autres : c’est son avantage (« avantage diffĂ©rentiel Â»). Il est imbattable pour savoir ce que l’autre attend. Le dĂ©sir de l’autre repĂ©rĂ©, le pervers peut faire semblant de rĂ©aliser ce dĂ©sir pour mieux dĂ©truire l’autre. La victime, qui ne comprend plus rien, perd rapidement toute confiance en l’existence. Le pervers Ă©prouve un semblant de sentiment d’existence : la jouissance perverse.

Au travail, deux « modèles Â» de pervers existent : les parasites et les saboteurs.

Les parasites, sans honte ni culpabilitĂ©, profitent des avantages de la situation de travail sans jamais rien donner en Ă©change. Pour cela, ils utilisent les autres, dĂ©tournent les lois et les règlements, mentent, retournent les accusations… Ils se greffent sur le dĂ©sir des autres pour les dĂ©truire. Ils ne sont ni fainĂ©ants ni avides d’un contre-pouvoir ni dĂ©sireux d’être reconnus par les autres (qu’ils mĂ©prisent) : ils veulent simplement gâcher le plaisir d’exister de ceux qui les entourent.

Les saboteurs dĂ©truisent plus gravement et de façon plus sournoise. Le saboteur se montre en apparence positif, travailleur et conciliant, mais par-derrière il saborde toute l’organisation du travail par tous les moyens qui lui sont accessibles : mensonge, dissimulation, manipulation, vol, fabrication de preuves, destruction de documents…

Le pervers narcissique est plus rare, mais encore plus dangereux que les deux prĂ©cĂ©dents. Son Ă©goĂŻsme et son cynisme sont encore plus grands. En gĂ©nĂ©ral, il prend le pouvoir sur une zone (et pas sur un territoire comme le paranoĂŻaque) : service, boĂ®te « de communication Â» ou « de production Â» (lĂ  oĂą il y a du rĂŞve), clan, bande, club… LĂ  règne sa loi : droit de cuissage, droit de vie ou de mort professionnelle… tout est permis.

Dans une secte, si le gourou croit ce qu’il professe, c’est un paranoïaque. S’il n’y croit pas, c’est un pervers. Tout système mafieux relève de la perversion morale.

Le pervers corrompt les situations professionnelles. C’est vraiment et rĂ©ellement « une pourriture Â».

Il agit ainsi pour avoir le sentiment d’exister. Il n’agit pas pour obtenir des biens, des avantages ou du pouvoir. Mais la jouissance qu’il obtient n’est qu’un pis-aller, fondamentalement insatisfaisant. Le châssis est toujours faussé.

Il n’est pas forcĂ©ment plus intelligent que les autres : il joue avec les règles (qu’il adapte en fonction de sa victime) d’une autre logique. Son habiletĂ© vient du fait qu’il sait ce que son interlocuteur a envie d’entendre. C’est parfois « le Père NoĂ«l Â».

Structurellement (et pas socialement), le pervers est seul : il n’a aucun Ă©change vrai. Il n’arrive pas Ă  Ă©prouver de la sympathie. Il est froid affectivement. Il est cynique (mĂŞme s’il sait donner le change). Le pervers moral provoque l’aveuglement. DotĂ© d’un « culot monstre Â», il fait forte impression. Il vit sans culpabilitĂ©, ce qui est assez fascinant pour les nĂ©vrosĂ©s « normaux Â».

Le pervers donne le change, mais ne communique pas. Il n’a pas « choisi Â» d’être pervers (comme nous n’avons pas « choisi Â» d’être « normaux Â»). Par contre, il est responsable de ses actes. MĂŞme s’il n’éprouve pas de culpabilitĂ©, il est conscient de ses actes. Jouer au pervers avec lui est très dangereux, car nous n’avons pas son habiletĂ©.

Il est très difficile de le dĂ©busquer, mais on peut reconnaĂ®tre le premier symptĂ´me de la relation : la perte de confiance en soi. On est fascinĂ©, puis dĂ©truit, puis en demande de reconnaissance du pervers. On trouve aussi chez le pervers un excès de sĂ©duction (mais on retrouve cela aussi chez des hystĂ©riques dĂ©pressifs), un excès d’égoĂŻsme (le pervers parle de lui sans arrĂŞt, son interlocuteur se sent terne), un excès de confiance en soi (le pervers est sans-gĂŞne), un excès ambiguĂŻtĂ© (il prend, il laisse).

Le pervers sĂ©pare souvent ses connaissances en deux groupes : les garants (ceux qu’il n’a pas encore attaquĂ©s) et le cheptel (les victimes). En entreprise, le pervers cherche Ă  exister en dĂ©truisant les autres, la victime cherche Ă  se justifier et Ă  survivre et les garants incrĂ©dules (qui disent « C’est quelqu’un de très bien, un collègue exemplaire… Â»), cherchent Ă  ne pas faire partie du cheptel. Quand les victimes se plaignent, leurs plaintes se heurtent Ă  la naĂŻvetĂ© des garants et l’histoire se termine en « eau de boudin, amertume et ironie du sort Â».

Si on dĂ©couvre un pervers au travail, il faut faire preuve de beaucoup de prudence : ne pas rester seul, ne pas passer tout de suite Ă  l’attaque, partager ses impressions et ses expĂ©riences avec d’autres, voir si le pervers a dĂ©jĂ  fait des victimes et rejoindre –par exemple sur internet- un rĂ©seau de gens ayant dĂ©jĂ  vĂ©cu cette expĂ©rience. Il faut ĂŞtre clair sur sa propre conduite (ne faire partie ni du cheptel, ni des garants), allumer tous les projecteurs (le pervers aime les coins sombres, les procĂ©dures abandonnĂ©es, le flou, le vide juridique, la nĂ©gligence…). Enfin, si l’attaque a dĂ©jĂ  eu lieu, il faut respecter les règles du combat : dĂ©crypter Ă  ses interlocuteurs (supĂ©rieurs, collègues, juges, avocats…) le mĂ©canisme pervers, monter des dossiers objectifs, organiser une lutte serrĂ©e avec un avocat peu Ă©motif et rompu aux vices de procĂ©dure, trouver des gens convaincus acceptant de tĂ©moigner. Il ne faut pas jouer au pervers avec lui. Il faut chercher Ă  prĂ©server l’essentiel (l’estime de soi et l’estime des autres pour soi), renoncer Ă  l’esprit de vengeance, ne jamais s’énerver et aussi renoncer Ă  une belle victoire car le pervers ne se sentira jamais coupable : pour lui les compteurs seront simplement remis Ă  zĂ©ro ; au mieux, il changera d’entreprise.

Si on a été détruit par un pervers, la seule solution est de faire une psychanalyse, qui nous aidera à reconstruire notre propre illusion existentielle. On comprendra que le Père Noël n’existe pas, mais que le père, si.

  1. Notes sur le suicide et le harcèlement au travail

La possibilitĂ© de qualifier juridiquement certains cas de suicides en accidents du travail pour donner lieu Ă  des rĂ©parations a crĂ©Ă© une catĂ©gorie de suicides particulière : le suicide professionnel.

Le travail peut ĂŞtre un puissant antidĂ©presseur : quand le travail se dĂ©grade, le sujet peut ĂŞtre directement mis en cause dans le suicide du sujet.

Les hystĂ©riques s’« Ă©panouissent Â» au travail mieux que partout ailleurs. Menaces de suicide ou chantage affectif au suicide ne sont pas rares, et leurs suicides sont eux-mĂŞmes des appels Ă  l’aide (« Quelqu’un peut-il me comprendre, m’aider, mettre de l’ordre en moi ? Â»). Attention, le suicide peut ĂŞtre contagieux.

Le paranoĂŻaque, lui, prĂ©pare son suicide comme un gigantesque acte d’accusation sociale très culpabilisant pour l’entourage, qui clĂ´t son destin « en beautĂ© mortelle Â».

Ces deux cas écartés, le suicide au travail résulte souvent de la rencontre avec un pervers narcissique, harceleur et manipulateur.

De façon générale, le suicide ne consiste pas à se tuer soi-même mais à tuer quelque chose en soi qui est devenu insupportable. Le suicide est un malentendu.

La fatigue et la dépression pèsent sur le processus qui mène au suicide. Bientôt, les causes de la dépression n’importent d’ailleurs plus. La spirale descendante devient infernale au point que la pensée elle-même en est affectée de façon très importante, tout comme la perception de la réalité relationnelle et affective. La dépression d’épuisement (surmenage) est de cet ordre.

On peut rarement annuler une intention suicidaire, et le suicide impulsif est rare. Tout ce que l’on peut faire, c’est être vigilant et rester un interlocuteur valable.

Les médecins, pompiers, policiers et gendarmes sont des catégories à risque car le maintien d’une humeur positive sur l’existence nécessite une part d’aveuglement sur la misère des autres et ces professions vivent des réalités qui décapent la couche protectrice d’illusion nécessaire au vécu ordinaire. Les enseignants aussi sont à risque, comme tous ceux qui attendent trop de la loi, de l’autorité, de la science ou de la solidarité.

Dans les pĂ©riodes de crise et de changement, il faut toujours rendre concrètes les règles de fonctionnement, mĂŞme transitoires. Parfois, l’ Â« objet travail Â» du « dĂ©sir travail Â» doit ĂŞtre restaurĂ©.

Chez certains, la convergence de l’intoxication et de la dĂ©ception peut aboutir au « brĂ»lage interne de la chaudière Â» ( « burn out Â»), voire au suicide. Le suicide liĂ© au dĂ©shonneur ou Ă  la honte est aussi possible : dĂ©bâcle pulsionnelle, hĂ©morragie narcissique et dĂ©calage massif vis-Ă -vis du rĂŞve mĂ©galomane sont les causes.

Le harcèlement (terme victime d’une hystĂ©risation prĂ©judiciable Ă  tout le monde mais dont la dĂ©finition est juridique), une des multiples atteintes possibles Ă  l’identitĂ© professionnelle, mĂ©rite un ouvrage Ă  lui tout seul. Notons simplement ici que le harcèlement n’est pas toujours le fait d’un pervers narcissique. Parmi les auteurs, il y a beaucoup d’obsessionnels trop exigeants, de phobiques trop prudents ou d’hystĂ©riques voulant toujours de la « chaleur Â» de la part de leur entourage professionnel.

Attention : pour un pervers, la meilleure place est celle du harcelĂ©.

15. La gestion en amont des personnalités difficiles ou dangereuses

Alors que la gestion en aval consiste à respecter et à contourner les mécanismes de défense des personnalités difficiles plutôt qu’à les transformer ou à les attaquer de front, la gestion en amont consiste à vérifier la validité et la permanence d’un sens cohérent dans le discours de travail, dans l’autorité au travail et dans la constitution régulièrement révisée des projets d’équipe.

Le premier outil est la parole : pas de « non-dire Â».

Il faut avoir un discours sans évidence, clair, itératif, sans mensonge ni paradoxe. Il faut dire quand c’est mal et dire quand c’est bien (discours de la sanction) et adresser les discours collectivement et individuellement.

Le deuxième outil est l’autoritĂ© au service du projet. Il faut occuper le terrain sans violence ni agressivitĂ©, prĂŞter attention aux signaux faibles, ĂŞtre Ă  l’écoute et « dans le bain Â» de l’équipe. Il faut avoir la capacitĂ© Ă  pratiquer une dĂ©lĂ©gation rĂ©elle, en Ă©vitant surveillance et abandon.

Le troisième outil est le projet d’équipe symbolique. Le projet doit faire référence à l’histoire avant de se consacrer au changement. Il doit être construit autour d’une mission prioritaire centrale et discutée et intégrer une évaluation des progrès en même temps que celle des résultats.