(Article basé sur l’ouvrage The Black Swan, the impact of the highly improbable de Nassim Nicholas Taleb)
Le point commun entre les ouvrages prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s sur le mĂ©canisme de prise dĂ©cision, du prix Nobel d’économie Thaler et son comparse Sunstein Ă l’autre prix Nobel Kahneman, en passant par le non moins reconnu professeur Ariely, est la mention d’un ouvrage de rĂ©fĂ©rence commun, Le Cygne Noir, par Nassim Nicholas Taleb. Ce dernier a consacrĂ© sa vie aux notions entremĂŞlĂ©es d’incertitude, de probabilitĂ© et de connaissance. Il a passĂ© près de deux dĂ©cennies comme homme d’affaires et quantitative trader avant de se tourner Ă plein temps vers la philosophie et l’écriture, et de devenir chercheur universitaire en 2006. Professeur Ă©mĂ©rite en ingĂ©nierie des risques au Polytechnic Institute de l’UniversitĂ© de New York, son sujet principal est « la prise de dĂ©cision sous opacitĂ© », c’est-Ă -dire la crĂ©ation d’une carte et d’un protocole pouvant rĂ©gir la façon dont nous devrions vivre et rĂ©flĂ©chir dans un monde que nous ne comprenons pas. Les livres de Taleb ont Ă©tĂ© traduits en trente-trois langues.
Le Cygne Noir, publiĂ© en 2007, se concentre sur l’impact extrĂŞme d’Ă©vĂ©nements aberrants, rares et imprĂ©visibles, et sur la tendance humaine Ă vouloir trouver des explications simplistes Ă ces Ă©vĂ©nements, rĂ©trospectivement. Taleb appelle cela la thĂ©orie du Cygne Noir. L’ouvrage aborde ce thème en lien avec la connaissance, l’esthĂ©tique, ainsi que les modes de vie, et utilise des Ă©lĂ©ments de fiction et des anecdotes personnelles pour Ă©laborer ses thĂ©ories. Taleb dĂ©crit ainsi certains Ă©vĂ©nements très surprenants qui gĂ©nèrent des effets massifs et sont considĂ©rĂ©s comme Ă©vidents avec le recul, mais ne l’Ă©taient certainement pas lorsqu’ils se sont produits. RĂ©trospectivement, toutes les calamitĂ©s ou presque semblent inĂ©vitables et prĂ©visibles, mais pour les individus qui en ont fait l’expĂ©rience, ces Ă©vĂ©nements Ă©taient loin d’ĂŞtre Ă©vidents lors de leur survenance. Après la prochaine crise financière, nos successeurs et les « experts » regarderont probablement en arrière et se demanderont pourquoi nous n’avons pas remarquĂ© les signes avant-coureurs plus tĂ´t.
La vocation pĂ©dagogique de l’ouvrage, tristement d’actualitĂ©, tend Ă nous faire observer le monde et tenter de comprendre et de nous prĂ©parer Ă ce que la prochaine calamitĂ© financière, la prochaine crise gĂ©opolitique, la prochaine catastrophe naturelle sont susceptibles d’impliquer. Elle tend Ă©galement Ă nous encourager Ă devenir plus rĂ©silients en gĂ©nĂ©ral, car peu importe nos efforts, il est très probable que la prochaine calamitĂ© nous prendra toujours par surprise. Il faut donc, au moins psychologiquement, se prĂ©parer aux menaces spĂ©cifiques autant qu’à l’inattendu. Le Cygne Noir est Ă©galement une mise en garde contre les dangers de l’ignorance des valeurs aberrantes et de la confiance aveugle en toutes sortes d’experts.
La théorie du cygne noir
Ce concept est nĂ© du souvenir de la conception des cygnes avant la dĂ©couverte de l’Australie. Ă€ l’Ă©poque, tout le monde Ă©tait convaincu que les cygnes Ă©taient blancs, rĂ©alitĂ© empiriquement confirmĂ©e par les preuves prĂ©cĂ©dentes. C’est en dĂ©couvrant l’Australie que les voyageurs ont, en mĂŞme temps, dĂ©couvert des cygnes noirs : une seule observation suffit pour invalider dĂ©finitivement une vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale admise, dĂ©rivĂ©e de millĂ©naires d’observations de millions de cygnes blancs. Il suffit d’un seul cygne noir pour bouleverser la rĂ©alitĂ© admise. Il en va de mĂŞme pour tous les Ă©vènements complètement imprĂ©visibles, complètement inimaginables, et nous sommes totalement Ă la merci de ces cygnes noirs, parce que nous ne pouvons ni les anticiper, ni les apprĂ©hender rationnellement lorsqu’ils surviennent.
Les cygnes noirs sont donc des Ă©vĂ©nements censĂ©s se situer en dehors du domaine du possible, et pourtant se produire de toute façon. En tant qu’ĂŞtres humains, nous sommes particulièrement douĂ©s pour transformer tous les stimuli de notre environnement en informations utiles. C’est un talent qui nous a permis de crĂ©er la mĂ©thode scientifique, de philosopher sur la nature de l’ĂŞtre et d’inventer des modèles mathĂ©matiques complexes. Mais ce n’est pas parce que nous sommes capables de rĂ©flĂ©chir et d’ordonner le monde qui nous entoure que nous sommes douĂ©s pour le faire : nous sommes en effet enclins Ă ĂŞtre Ă©troits d’esprit dans nos croyances sur le monde. Une fois que nous avons modĂ©lisĂ© une idĂ©e du fonctionnement du monde, nous avons tendance Ă nous y accrocher. Mais parce que la connaissance humaine est en constante augmentation et Ă©volution, cette approche dogmatique n’a aucun sens. Il y a seulement deux cents ans, par exemple, les mĂ©decins et les scientifiques Ă©taient extrĂŞmement confiants dans leurs connaissances de la mĂ©decine, mais aujourd’hui, leur confiance semble ridicule : imaginez simplement aller voir votre mĂ©decin pour un rhume et vous faire prescrire des serpents et des sangsues ! ĂŠtre dogmatique au sujet de nos croyances nous rend aveugles Ă ces concepts qui sortent des paradigmes que nous avons dĂ©jĂ acceptĂ©s comme vrais. Comment, par exemple, est-il possible de comprendre la mĂ©decine si vous ne savez pas que des germes existent ? Vous pourriez trouver une explication raisonnable, une narration cohĂ©rente expliquant la maladie, mais elle sera faussĂ©e par un manque d’informations cruciales.
Ce genre de pensĂ©e dogmatique peut entraĂ®ner d’Ă©normes surprises. Nous sommes parfois surpris par les Ă©vĂ©nements non pas parce qu’ils sont alĂ©atoires, mais parce que nos perspectives sont trop Ă©troites. Ces surprises sont ici dĂ©signĂ©es sous le nom de cygnes noirs, et elles peuvent nous inciter Ă reconsidĂ©rer fondamentalement notre vision du monde et mĂŞme refaçonner celui-ci. Avant que quiconque ait jamais vu un cygne noir, les gens supposaient que tous les cygnes Ă©taient blancs. Pour cette raison, toutes leurs reprĂ©sentations et imaginations du cygne Ă©taient blanches, ce qui signifie que le blanc Ă©tait une partie essentielle de la « nature » du cygne, pour le quidam comme pour les naturalistes, artistes etc… Ainsi, lorsque fut dĂ©couvert le premier cygne noir, c’est Ă la fois la comprĂ©hension et la reprĂ©sentation du concept « cygne » qui a Ă©tĂ© bouleversĂ©e.
Pour qu’un Ă©vĂ©nement soit qualifiĂ© de cygne noir, il doit remplir les conditions suivantes :
1 – C’est une valeur aberrante. Rien de ce qui s’est produit auparavant ne peut permettre d’imaginer la possibilitĂ© de l’Ă©vĂ©nement.
2 – Il porte un impact extrĂŞme
3 – Il ne s’explique qu’après coup
La nature humaine tend Ă nous faire croire que nous sommes toujours, ou que nous aurions dĂ» ĂŞtre, en mesure de prĂ©voir leur survenance. Dans les faits il n’en rien : les exemples courant illustrant la notion de cygnes noirs incluent notamment le dĂ©clenchement de la Première Guerre mondiale, les attentats du 11 septembre, le Lundi Noir ou le tremblement de terre suivi d’un tsunami dans l’ocĂ©an Indien.
Le concept du cygne noir est aussi appelĂ© « le problème de l’induction » ou « problème de la connaissance inductive ». Le principe de base est qu’il existe de grandes incertitudes lorsque l’on essaie de prĂ©voir l’avenir en se fondant sur la connaissance du passĂ©. Comment pouvons-nous espĂ©rer dĂ©terminer les propriĂ©tĂ©s de quelque chose d’infini et d’inconnu, sur la base de quelque chose de fini et de connu ? Prenons un autre exemple-type que nous propose Taleb.
Imaginez que vous êtes une dinde, vivant dans une ferme. Depuis le jour de votre naissance, des créatures amicales avec deux jambes et deux bras vous nourrissent. Chaque jour, elles reviennent avec de la nourriture. Elles vous ont construit une belle clôture qui vous protège de cette chose velue sur quatre pattes, qui semble vouloir vous arracher les tripes en permanence. Elles vous apportent même occasionnellement des dindes femelles. Quelles sympathiques créatures elles semblent être ! Chaque jour qui passe, à mesure que vous êtes nourri, protégé et stimulé, vous devenez de plus en plus certain que ce doivent être les créatures les plus amicales sur terre.
Jusqu’Ă ce jour appelĂ© NoĂ«l.
NoĂ«l est dĂ©finitivement un cygne noir pour cette dinde. De son point de vue, c’est un Ă©vènement totalement inattendu, avec un impact extrĂŞme. Mais mieux informĂ©e, ou dotĂ©e de raison, elle pourra trouver des explications rĂ©trospectivement, et la vision de ses successeurs sera rĂ©volutionnĂ©e quant Ă la bienveillance des crĂ©atures Ă deux jambes. En outre, pour la dinde, finir rĂ´tie Ă la table de NoĂ«l d’une famille humaine affamĂ©e Ă©tait totalement inattendu, mais la famille humaine, elle, connaissait la date exacte de l’Ă©vĂ©nement qu’elle prĂ©parait depuis des mois. Un cygne noir n’en est un que du fait d’un manque d’information. Le cygne noir n’avait rien de particulier pour les aborigènes.
Il existe un cousin du cygne noir que Taleb appelle le cygne gris. Il s’agit des « inconnues connues », des choses que nous savons que nous ne savons pas : la plupart d’entre nous par exemple ne savons pas Ă quelle vitesse un homme peut courir un 100 mètres, mais nous savons que nous ne le savons pas. Un cygne noir, en revanche, est une rĂ©elle « inconnue inconnue ». Nous ne savons mĂŞme pas que nous ne savons pas. Pour simplifier Ă l’extrĂŞme, imaginez un livre que vous n’avez jamais lu et dont vous n’avez pas lu non plus le rĂ©sumĂ©. Lorsque ce livre vous arrive entre les mains, c’est un cygne gris. Vous savez qu’il existe, mais vous savez que vous ne savez pas ce qu’il contient. Et ce qu’il contient, c’est beaucoup d’inconnues inconnues, son contenu est un cygne noir. Si vous dĂ©cidez de le lire, il est probable qu’à un moment donnĂ© vous penserez « Tiens, je ne savais pas ça », mais vous ne pouvez pas prĂ©voir aujourd’hui Ă propos de quel contenu vous penserez cela.
L’apprentissage d’un sceptique empirique
Taleb initie les lecteurs au concept de l’anti-bibliothèque, l’idĂ©e que les livres non lus dans sa bibliothèque personnelle sont aussi voire plus importants que les livres lus. L’anti-bibliothèque ontologique, thĂ©orisĂ©e par Umberto Eco, illustre physiquement le thème principal de Taleb, l’idĂ©e que ce que nous ne savons pas est plus important que ce que nous savons.
L’Ă©crivain Umberto Eco appartenait Ă cette petite classe d’Ă©rudits encyclopĂ©diques Ă l’intelligence joyeuse. PropriĂ©taire d’une immense bibliothèque personnelle (contenant plus de trente mille livres), il distinguait ses visiteurs en deux catĂ©gories : ceux s’exclamaient « Wow ! Signore, professore dottore Eco, quelle bibliothèque vous avez ! Combien de ces livres avez-vous lus ? » et les autres (une très petite minoritĂ©), ceux qui comprenaient qu’une bibliothèque privĂ©e n’est pas un appendice nourrissant l’ego mais un outil de recherche et un rappel Ă l’humilitĂ©. Dans cette perspective les livres lus ont beaucoup moins de valeur et d’importance que les livres non lus. La bibliothèque personnelle devrait contenir autant de ce que vous ne savez pas que possible. Vous accumulerez Ă la fois plus de connaissances et plus de livres en vieillissant, et le nombre croissant de livres non lus sur les Ă©tagères s’accroĂ®tra avec votre savoir. En effet, plus on en sait, plus on est (ou plus on devrait ĂŞtre) conscient de tout ce que l’on ne sait pas.
Taleb explore comment ses expĂ©riences personnelles, de son enfance dans un Liban dĂ©chirĂ© par une guerre perçue comme inexplicable Ă ses expĂ©riences ultĂ©rieures dans les affaires et la finance, ont aidĂ© Ă façonner ses idĂ©es et son identitĂ© pour faire de lui ce qu’il appelle un sceptique empirique. Il dĂ©crit l’histoire comme opaque, en substance une boĂ®te noire de cause Ă effet. On voit bien les Ă©vĂ©nements entrer et sortir, mais on n’a aucun moyen de dĂ©terminer ce qui a produit quel effet et comment. Taleb soutient que cette incomprĂ©hension est due au « triplet d’opacitĂ© » :
• l’illusion de comprendre, ou comment tout le monde pense savoir ce qui se passe dans un monde en rĂ©alitĂ© plus compliquĂ© (ou alĂ©atoire) que ce qui est perçu
• la distorsion rétrospective, ou comment nous ne pouvons évaluer les choses qu’après coup, entraînant une illusion de clarté et de structure dans les livres d’histoire qui ne reflètent pas le chaos de la réalité empirique au moment décrit
• la surestimation des données factuelles et de notre capacité à les imbriquer, entraînant une tendance à catégoriser ou à « platonifier », processus qui mène à une simplification excessive dangereuse.
Si la catĂ©gorisation est nĂ©cessaire pour les humains, elle devient pathologique lorsque la catĂ©gorie est considĂ©rĂ©e comme dĂ©finitive, empĂŞchant les gens de considĂ©rer le flou des frontières. Les cygnes noirs, anomalies imprĂ©visibles et inclassables, sont le moteur de l’Histoire, et l’esprit humain ne sait pas les voir.
MĂ©diocristan contre ExtrĂŞmistan
Taleb nous prĂ©sente Ă©galement les deux domaines de l’alĂ©atoire : le « MĂ©diocristan », un scĂ©nario dans lequel lorsqu’un Ă©chantillon est de taille importante, aucune instance ne changera de manière significative l’agrĂ©gat ou le total, et l’« ExtrĂŞmistan » dans lequel les inĂ©galitĂ©s sont telles qu’une seule observation peut avoir un impact disproportionnĂ© sur l’agrĂ©gat ou le total. Il les utilise comme guides pour dĂ©finir la prĂ©visibilitĂ© de l’environnement que l’on Ă©tudie.
MĂ©diocristan
Lorsque Taleb Ă©tait Ă©tudiant, on lui a conseillĂ© de choisir un cheminement de carrière Ă©volutif. Si vous ĂŞtes mĂ©decin, dentiste, consultant ou professionnel de la communication, le nombre de clients ou patients que vous pouvez voir en une journĂ©e ET le montant que vous pouvez gagner en une journĂ©e sont limitĂ©s. Ce n’est pas Ă©volutif, ou « scalable » suivant le terme en vogue. Le salaire est plus ou moins prĂ©visible et dĂ©pend de votre effort continu. Des diffĂ©rences de revenu se produiront au fil du temps, mais aucune journĂ©e de travail individuelle n’aura un impact Ă©norme sur l’ensemble des gains, sur la carrière entière. Les diffĂ©rences entre les « bonnes » journĂ©es et les moins bonnes sont toutes relatives et a minima raisonnablement prĂ©visibles. Ces professions ne sont pas guidĂ©es par le cygne noir et sont exercĂ©es dans le MĂ©diocristan.
Un autre exemple d’environnement mĂ©diocristain est le casino. Au casino, aucun pari n’est autorisĂ© Ă s’Ă©carter trop radicalement de la moyenne. Si un joueur pouvait parier par exemple un milliard, le propriĂ©taire du casino serait confrontĂ© Ă un environnement extrĂŞmistain. Les propriĂ©taires de casino, modèle commercial stable, limitent donc la valeur des paris afin qu’un seul pari ne puisse pas avoir un impact trop important, sur l’ensemble de l’activitĂ©, qu’il soit positif ou nĂ©gatif.
ExtrĂŞmistan
D’autres professions vont en revanche permettre d’ajouter des zĂ©ros Ă la production et aux revenus. Les mĂ©tiers « d’idĂ©es » comme la crĂ©ation commerciale et l’Ă©criture, permettent de rĂ©flĂ©chir intensĂ©ment en lieu et place d’un travail physique concret. Plus clairement vous effectuez la mĂŞme quantitĂ© de travail, que votre production soit de 100 unitĂ©s ou d’un million. J. K Rowling n’aura pas Ă Ă©crire un nouveau livre pour chaque vente supplĂ©mentaire, mais le boulanger devra confectionner un nouveau pain pour chaque client supplĂ©mentaire. Ces professions sont exercĂ©es en ExtrĂŞmistan. Un seul jour de paie peut avoir un impact potentiellement Ă©norme sur votre revenu Ă vie et la diffĂ©rence entre les succès et l’échec est extrĂŞme. D’autres exemples d’environnements extrĂŞmistain sont les dĂ©cès en temps de guerre, les marchĂ©s financiers ou l’investissement en capital-risque. Les cygnes noirs se trouvent gĂ©nĂ©ralement dans ces environnements scalables, parmi les variables Ă©volutives.
Les implications de la cécité face au cygne noir
Nassim Taleb détaille les divers biais et heuristiques qui façonnent notre aveuglement face à cette imprévisibilité que nous refusons.
Biais de confirmation
La plupart des individus sont victimes d’un biais de confirmation, c’est-à -dire une tendance à rechercher des preuves qui soutiennent les opinions déjà exprimées, et à ignorer celles qui seraient en conflit avec l’hypothèse retenue. Les gens sont naturellement enclins à tirer des conclusions, puis à se concentrer uniquement sur les preuves confirmant ces conclusions. Le danger est de tirer de la réalité qu’il n’existe, à un moment M, « aucune preuve de l’existence d’un cygne noir », la conclusion que cette absence de preuve est une « preuve qu’il n’existe pas de cygne noir ».
Le biais confirmatoire peut également entraîner des raccourcis et confusions qui peuvent se révéler dangereux : ce n’est pas parce que « la plupart des A sont également des B » que « la plupart des B sont également des A » (la plupart des serial killers sont des hommes, pour autant, la plupart des hommes ne sont pas des serial killers).
L’erreur narrative
Les gens, et en particulier les historiens, construisent naturellement des rĂ©cits sur les Ă©vĂ©nements impliquant des hypothèses de causalitĂ© injustifiĂ©es, apportant de ce fait un ordre et une logique illusoire au passĂ© et gĂ©nĂ©rant une autre illusion de comprĂ©hension des Ă©vènements, faisant paraĂ®tre le monde moins alĂ©atoire qu’il ne l’est rĂ©ellement. L’aveuglement et la mĂ©connaissance des cygnes noirs naissent principalement de cette erreur criminelle. La seule façon d’Ă©viter les maux de l’erreur narrative est de favoriser l’observation plutĂ´t que la narration, l’expĂ©rience plutĂ´t que l’histoire et les connaissances cliniques plutĂ´t que les thĂ©ories, et surtout, d’admettre nos limites tant de comprĂ©hension que d’anticipation.
Vivre dans l’antichambre de l’espoir
La plupart des individus recherchent un flux constant de retours sur investissement modestement positifs, en espĂ©rant qu’aucun cygne noir nĂ©gatif n’intervienne voir mĂŞme en demeurant inconscient de la possibilitĂ© de survenance d’un cygne noir. Les observateurs les jugent gĂ©nĂ©ralement ces comportements comme raisonnables et ces retours positifs comme des rĂ©ussites.
Les -rares- exploiteurs de cygnes noirs se positionnent en revanche sur de rares mais énormes retours, positifs et négatifs, acceptant une inertie voire des pertes maîtrisées pendant les intervalles imprévisibles durant lesquels ils attendent. Les observateurs jugent généralement ces stratégies « infructueuses » et les réussites spectaculaires qu’elles peuvent entraîner, pour le coup, « aléatoires » et « imprévisibles ». Les chasseurs de cygnes noirs retardent la satisfaction de leur objectif et doivent avoir une endurance personnelle et intellectuelle considérable pour accepter de vivre dans cette antichambre de l’espoir.
Le problème des preuves silencieuses ou des biais de survie
L’humain est par nature superficiel, nĂ©gligeant les preuves silencieuses. Les preuves silencieuses (ignorĂ©es) et le biais de survie (mis en avant) masquent le hasard, en particulier les cygnes noirs. Il s’agit d’une combinaison du biais confirmatoire et de l’erreur narrative : on pense par exemple aux marins du XVème siècle qui sont revenus de leurs voyages, affirmant qu’ils ont survĂ©cu Ă de nombreuses tempĂŞtes en priant ensemble. Cela signifie-t-il que prier ensemble rend le navire moins susceptible de couler ? Peut-ĂŞtre. C’est le biais de survie, la preuve Ă©tant qu’ils sont bien lĂ pour en parler. Mais quid des preuves silencieuses ? Quid du reste des marins – ceux qui n’ont pas survĂ©cu aux voyages ? Ont-ils priĂ© aussi ou pas ? Quels autres facteurs entraient en ligne de compte ? Plus proche de nous, on pense aux traders ou conseillers en placement, qui fondent leur rĂ©ussite et la confiance qu’ils gĂ©nèrent sur des dĂ©buts extrĂŞmement chanceux Ă©tablissant leur rĂ©putation, les concurrents aux dĂ©buts moins chanceux Ă©tant Ă©liminĂ©s ou oubliĂ©s d’office, alors que statistiquement le ratio succès / Ă©chec est probablement similaire Ă durĂ©e de carrière Ă©gale dans ces professions Ă©volutives et soumises aux cygnes noirs.
L’erreur ludique
L’incertitude rencontrĂ©e dans la vie rĂ©elle est plus fondamentale et alĂ©atoire que l’incertitude domestiquĂ©e et stĂ©rilisĂ©e prĂ©sente dans les jeux dits de « hasard ». La comparaison instinctive entre la vie rĂ©elle et les jeux de hasard est une analogie incohĂ©rente et erronĂ©e. Les cygnes noirs sont des Ă©vĂ©nements que nous n’envisageons pas et pour lesquels nous ne pouvons donc pas attribuer de probabilitĂ©s. Une probabilitĂ©, mĂŞme minime, signifie d’abord que l’évènement dont la probabilitĂ© est mesurĂ©e est envisagĂ©.
Nous ne distinguons pas facilement les informations Ă©volutives et non Ă©volutives. Nous, humains, avons dĂ©veloppĂ© de nombreuses mĂ©thodes et modèles pour classer les informations et donner un sens au monde. Malheureusement, nous ne sommes pas très douĂ©s lorsqu’il s’agit de faire la distinction entre les diffĂ©rents types d’informations – et surtout entre les informations « Ă©volutives » et « non Ă©volutives », qui est pourtant fondamentale. Les informations non Ă©volutives – telles que le poids et la taille – ont une limite supĂ©rieure et infĂ©rieure dĂ©finies et statistiques. Le poids corporel n’est pas Ă©volutif car il y a des limites physiques sur le poids qu’une personne peut peser : alors qu’il est possible pour quelqu’un de peser 100 kilos, il est physiquement impossible que le poids de quiconque atteigne 10000 kilos. Étant donnĂ© que les propriĂ©tĂ©s de ces informations non Ă©volutives sont clairement limitĂ©es, il nous est possible de faire des prĂ©visions significatives sur les moyennes. D’un autre cĂ´tĂ©, les choses non physiques ou fondamentalement abstraites, comme la distribution de la richesse ou les ventes d’albums, sont Ă©volutives. Par exemple, si vous vendez votre album sous forme numĂ©rique via iTunes, il n’y a pas de limite au nombre de ventes que vous pourriez rĂ©aliser car la distribution n’est pas limitĂ©e par le nombre de copies physiques que vous pouvez fabriquer. De plus, comme les transactions ont lieu en ligne, les devises physiques ne manquent pas pour vous empĂŞcher de vendre un milliard d’albums. Cette diffĂ©rence entre informations Ă©volutives et non Ă©volutives est cruciale si vous voulez avoir une image prĂ©cise du monde. Et essayer d’appliquer des règles efficaces avec des informations non Ă©volutives Ă des donnĂ©es Ă©volutives ne conduira qu’Ă des erreurs. Par exemple, disons que vous voulez mesurer la richesse de la population d’Angleterre. La façon la plus simple de le faire est de dĂ©terminer le revenu par habitant, en additionnant leur revenu total et en divisant ce chiffre par le nombre de citoyens. Cependant, la richesse est en fait Ă©volutive : il est possible qu’un petit pourcentage de la population possède un pourcentage incroyablement Ă©levĂ© de la richesse. En collectant simplement des donnĂ©es sur le revenu par habitant, vous vous retrouvez avec une reprĂ©sentation de la rĂ©partition des revenus qui ne reflète probablement pas la rĂ©alitĂ© concrète de la majoritĂ© des citoyens anglais.
Nous sommes beaucoup trop confiants dans ce que nous croyons savoir. Nous aimons tous nous protĂ©ger contre les dommages, et l’une des façons de le faire est d’Ă©valuer et de gĂ©rer la possibilitĂ© de risque. C’est pourquoi nous souscrivons des assurances et tentons de ne pas « mettre tous nos Ĺ“ufs dans le mĂŞme panier ». La plupart d’entre nous faisons de notre mieux pour mesurer les risques aussi prĂ©cisĂ©ment que possible afin de nous assurer que nous ne manquons pas les opportunitĂ©s, tout en veillant Ă ne pas faire quelque chose que nous pourrions regretter plus tard. Pour y parvenir, nous pensons pouvoir Ă©valuer tous les risques possibles, puis mesurer la probabilitĂ© que ces risques se matĂ©rialisent. Par exemple, imaginez que vous souhaitiez souscrire une assurance. Vous voulez le type de police qui vous protĂ©gera contre le pire des scĂ©narios, mais qui ne sera pas non plus un gaspillage d’argent. Dans ce cas, vous mesurez la menace probable de maladie ou d’accident (je fume, mais il y a peu de typhons oĂą je vis) par rapport aux consĂ©quences de ces Ă©vĂ©nements, puis prenez une dĂ©cision que vous pensez Ă©clairĂ©e. Malheureusement, nous sommes beaucoup trop confiants dans notre capacitĂ© Ă Ă©valuer tous les risques possibles contre lesquels nous devons nous protĂ©ger. C’est ce qu’on appelle l’erreur ludique, nous avons tendance Ă gĂ©rer le risque comme nous le ferions avec un jeu, avec un ensemble de règles et de probabilitĂ©s que nous pouvons dĂ©terminer avant de jouer, ce qui n’est pas le cas dans la vie rĂ©elle. Traiter le risque comme un jeu est en soi une entreprise risquĂ©e. Par exemple, les casinos veulent gagner autant d’argent que possible, c’est pourquoi ils ont des systèmes de sĂ©curitĂ© Ă©laborĂ©s et bannissent les joueurs qui gagnent trop, trop souvent. Mais leur approche est basĂ©e sur cette erreur ludique de prĂ©vision des risques. Les principales menaces pesant sur un casino ne sont peut-ĂŞtre pas les joueurs chanceux ou les tricheurs, mais plutĂ´t, par exemple, un kidnappeur qui prendrait en otage l’enfant du propriĂ©taire, ou un employĂ© qui ne soumet pas les revenus du casino Ă trĂ©sor public. Les plus grandes menaces pesant sur le casino, celles qui auraient le plus d’impact si elles survenaient, pourraient ĂŞtre totalement imprĂ©visibles. Peu importe nos efforts, nous ne pourrons jamais calculer avec prĂ©cision chaque risque ni anticiper les cygnes noirs. Il est prĂ©fĂ©rable d’être conscients de notre ignorance que de la nier.
Le scandale des prévisions
Taleb fait valoir que nous devenons globalement plus intelligents et mieux informĂ©s, mais le problème est que notre excès de confiance augmente en proportion, alors que c’est notre humilitĂ© et la reconnaissance de notre propre ignorance qui devrait s’accroĂ®tre. Il se rĂ©fère Ă une Ă©tude dans laquelle les participants sont invitĂ©s Ă faire une estimation pour laquelle ils pensent avoir 98% de chances d’avoir raison et 2% d’avoir tort. Par exemple : « Je suis certain Ă 98% que la population française se situe entre 50 et 65 millions de personnes. » Le taux d’erreur rĂ©el des estimations des participants Ă©tait extrĂŞmement Ă©levĂ© : 45%, au lieu des 2% que les participants devaient viser. Ces participants Ă©taient des Ă©tudiants de la Harvard Business School. Des rĂ©sultats plus nuancĂ©s ont Ă©tĂ© obtenus en testant des sujets issus de milieux plus modestes ou plus laborieux. Taleb note en effet que des groupes de personnes plus humbles, comme les chauffeurs de taxi dans cet exemple, sont considĂ©rablement meilleurs pour estimer leurs propres connaissances, bien qu’ils soient encore trop confiants. Il relève aussi que certains peuvent pĂ©cher par « excès d’humilitĂ© » (ou fausse modestie) et fausser leurs rĂ©sultats par un Ă©largissement trop important des probabilitĂ©s envisagĂ©es ou une sous-estimation de leurs connaissance.
Mais notre monde est un monde oĂą il est plus rentable de s’unir dans la mauvaise direction que d’ĂŞtre seuls dans la bonne. « Le problème avec les experts, c’est qu’ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas. » Taleb discute de ce qui peut ĂŞtre fait concernant cette arrogance Ă©pistĂ©mique, cette certitude de pouvoir prĂ©voir et anticiper qui nous pousse Ă sur- ou sous-estimer la probabilitĂ© d’évènements impactant notre vie. Il recommande d’Ă©viter de dĂ©pendre inutilement des prĂ©dictions nuisibles Ă grande Ă©chelle, tout en Ă©tant moins prudents sur les petits sujets, comme aller Ă un pique-nique. Il fait Ă©galement une distinction entre la perception culturelle amĂ©ricaine de l’Ă©chec par rapport Ă la stigmatisation et Ă l’embarras des cultures europĂ©enne et asiatique face Ă l’Ă©chec : lĂ oĂą il est perçu comme une leçon, les risques seront pris plus facilement que lĂ oĂą il est perçu comme honte, ce dernier cas entraĂ®nant une propension Ă la prudence limitant les Ă©checs mais limitant Ă©galement les possibilitĂ© de cygne noir spĂ©culatif et les succès spectaculaires.
Il dĂ©crit Ă©galement la « stratĂ©gie barbell » dans le domaine des investissements, qu’il a utilisĂ©e en tant que trader, et qui consiste Ă Ă©viter les investissements Ă risque moyen et Ă placer 85 Ă 90% de l’argent dans les instruments les plus sĂ»rs disponibles et les 10 Ă 15% restants sur des paris extrĂŞmement spĂ©culatifs.
Il faut ĂŞtre conscients que les cygnes noirs peuvent avoir des consĂ©quences bouleversantes pour ceux qui les ignorent. L’effet d’un cygne noir n’est pas le mĂŞme pour tous. Certains en seront très affectĂ©s, d’autres Ă peine. La puissance de leur effet est largement dĂ©terminĂ©e par votre accès aux informations pertinentes : plus vous avez d’informations, moins vous risquez d’ĂŞtre frappĂ© par un cygne noir ; et plus vous ĂŞtes ignorant, plus vous ĂŞtes Ă risque. Cela peut ĂŞtre illustrĂ© par le scĂ©nario suivant :
Imaginez faire un pari sur votre cheval prĂ©fĂ©rĂ©, Rocket. En raison de la constitution de Rocket, de ses antĂ©cĂ©dents, de l’habiletĂ© du jockey et d’une concurrence mĂ©diocre, vous pensez que Rocket est le pari le plus sĂ»r et jouez tout ce que vous possĂ©dez sur sa victoire. Imaginez maintenant votre surprise lorsque le dĂ©part est lancĂ© et que Rocket non seulement ne quitte pas les portes, mais opte plutĂ´t pour simplement se coucher sur la piste. C’est un cygne noir : compte tenu des informations que vous aviez recueillies (erreur narrative et biais confirmatoire), parier sur Rocket Ă©tait une valeur sĂ»re (arrogance Ă©pistĂ©mique et erreur ludique), mais vous avez tout perdu dès le dĂ©but de la course.
Cet Ă©vĂ©nement ne sera pas une tragĂ©die pour tout le monde. Par exemple, le propriĂ©taire de Rocket a fait fortune en pariant contre son propre cheval. Contrairement Ă vous, il avait des informations supplĂ©mentaires, et savait que le jockey de Rocket allait faire grève pour protester contre la cruautĂ© envers les animaux ou que l’animal Ă©tait malade ce jour-lĂ . Cette minuscule quantitĂ© d’information supplĂ©mentaire lui a Ă©vitĂ© le cygne noir, qui n’en est un que pour le non-informĂ©.
L’impact des cygnes noirs peut Ă©galement varier considĂ©rablement en termes d’Ă©chelle. PlutĂ´t que d’affecter uniquement des individus, parfois, des sociĂ©tĂ©s entières peuvent faire l’expĂ©rience d’un cygne noir. Lorsque cela se produit, un cygne noir peut transformer le fonctionnement du monde, impactant de nombreux domaines de la sociĂ©tĂ©, comme la philosophie, la thĂ©ologie et la physique. Par exemple, lorsque Copernic a avancĂ© que la Terre n’était peut-ĂŞtre pas le centre de l’univers, les consĂ©quences ont Ă©tĂ© immenses, car sa dĂ©couverte a remis en question Ă la fois l’autoritĂ© des catholiques au pouvoir et l’autoritĂ© historique de la Bible elle-mĂŞme. En fin de compte, ce cygne noir particulier a contribuĂ© Ă Ă©tablir un nouveau dĂ©part pour toute la sociĂ©tĂ© occidentale.
En conclusion, mĂŞme si nous faisons constamment des prĂ©dictions sur l’avenir, nous sommes en fait terriblement peu douĂ©s pour cela. Nous avons beaucoup trop confiance dans nos connaissances et sous-estimons notre ignorance. Notre dĂ©pendance excessive Ă l’Ă©gard de mĂ©thodes qui semblent avoir du sens, notre incapacitĂ© fondamentale Ă comprendre et Ă dĂ©finir le hasard, et mĂŞme notre biologie, contribuent toutes Ă une mauvaise prise de dĂ©cision, et parfois Ă la survenance des « cygnes noirs », ces Ă©vĂ©nements que nous croyons impossibles, que nous n’envisageons mĂŞme pas, mais qui finissent par redĂ©finir notre comprĂ©hension du monde. Bien qu’il soit absolument inhĂ©rent Ă notre nature de rechercher des relations causales linĂ©aires entre les Ă©vĂ©nements afin de donner un sens Ă ce monde complexe, la rĂ©alitĂ© est que nous sommes incapables Ă la fois de faire des prĂ©dictions pour l’avenir et d’Ă©tablir des causes rĂ©elles pour le prĂ©sent en nous fondant sur le passĂ©. PlutĂ´t que de nourrir notre dĂ©sir de voir dans les Ă©vĂ©nements des causes et des effets bien dĂ©finis, il vaut mieux envisager plutĂ´t un certain nombre de possibilitĂ©s sans ĂŞtre fixĂ© dogmatiquement Ă une seule vison. Taleb propose qu’après avoir admis l’incertitude ontologique du monde, on assume une posture d’humilitĂ© et d’ouverture permettant, Ă dĂ©faut de pouvoir les prĂ©voir, de se prĂ©parer et de tirer parti de la survenance des cygnes noirs :
- en distinguant les impacts potentiels positifs et négatifs du cygne noir. Où le manque de prévisibilité humaine est-il extrêmement bénéfique (capital risque, édition…) et où est-il extrêmement nuisible ? (sécurité intérieure, militaire, assurance, banque et prêts…) ?
- en ne cherchant pas la prĂ©cision dans l’anticipation des cygnes noirs. « Le hasard favorise ceux qui y sont prĂ©parĂ©s » disait Pasteur. Ne cherchez rien, en particulier, chaque matin, mais travaillez dur pour laisser la contingence entrer dans votre vie professionnelle. N’essayez pas de prĂ©dire un cygne noir spĂ©cifique, car cela vous aveuglera (et c’est en outre, par dĂ©finition, impossible). Investissez dans la prĂ©paration, pas dans la prĂ©diction.
- en saisissant tout ce qui ressemble Ă un cygne noir. Saisissez toute opportunitĂ© ou tout ce qui ressemble Ă une opportunitĂ©, mĂŞme improbable, mĂŞme « outsider », mĂŞme moquĂ©e par les « experts ». N’oubliez pas que les cygnes noirs positifs comme Internet ou l’invention du laser, comme la mĂ©decine moderne, passent par une première Ă©tape d’exposition qui prĂŞte gĂ©nĂ©ralement le flanc aux pires critiques et campagnes de dĂ©nigrement.
- en ne plaçant pas votre confiance dans des prévisions gouvernementales ou issues de grandes compagnies. Méfiez-vous des plans précis des gouvernements et autres autorités dans leurs domaines. Le but du gouvernement, comme celui des grandes entreprises, est de survivre et de s’auto-perpétuer, pas de découvrir ou de révéler une quelconque vérité.
- en ne gaspillant pas d’Ă©nergie Ă discuter avec les prĂ©visionnistes, les analystes boursiers ou les Ă©conomistes. « Il y a des gens, s’ils ne le savent pas dĂ©jĂ , vous ne pouvez pas le leur dire » disait avec humour l’entraĂ®neur Yogi Berra. Ne perdez pas votre temps Ă discuter avec les prĂ©visionnistes, les Ă©conomistes, les analystes boursiers et les spĂ©cialistes des sciences sociales, Ă©vitez les dialogues de sourd et contentez-vous de ne pas les suivre plutĂ´t que de tenter de les raisonner.
- enfin, en ne courant pas après les trains. Il est plus difficile de perdre un jeu dont on a soi-même fixé les règles. Courir après un train, un métro pour ne pas le manquer et être à l’heure est un acte symbolique, qui manifeste notre formatage et notre impuissance face aux décisions prises par d’autres. Ce train va peut-être dérailler. L’amour de votre vie ou votre futur associé est peut-être dans le prochain métro. Prenez la vie comme elle vient. Et soyez celui qui part quand il le faut.
Le Cygne Noir : comment tirer parti de l’incertitude
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(Article basé sur l’ouvrage The Black Swan, the impact of the highly improbable de Nassim Nicholas Taleb)
Le point commun entre les ouvrages prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s sur le mĂ©canisme de prise dĂ©cision, du prix Nobel d’économie Thaler et son comparse Sunstein Ă l’autre prix Nobel Kahneman, en passant par le non moins reconnu professeur Ariely, est la mention d’un ouvrage de rĂ©fĂ©rence commun, Le Cygne Noir, par Nassim Nicholas Taleb. Ce dernier a consacrĂ© sa vie aux notions entremĂŞlĂ©es d’incertitude, de probabilitĂ© et de connaissance. Il a passĂ© près de deux dĂ©cennies comme homme d’affaires et quantitative trader avant de se tourner Ă plein temps vers la philosophie et l’écriture, et de devenir chercheur universitaire en 2006. Professeur Ă©mĂ©rite en ingĂ©nierie des risques au Polytechnic Institute de l’UniversitĂ© de New York, son sujet principal est « la prise de dĂ©cision sous opacitĂ© », c’est-Ă -dire la crĂ©ation d’une carte et d’un protocole pouvant rĂ©gir la façon dont nous devrions vivre et rĂ©flĂ©chir dans un monde que nous ne comprenons pas. Les livres de Taleb ont Ă©tĂ© traduits en trente-trois langues.
Le Cygne Noir, publiĂ© en 2007, se concentre sur l’impact extrĂŞme d’Ă©vĂ©nements aberrants, rares et imprĂ©visibles, et sur la tendance humaine Ă vouloir trouver des explications simplistes Ă ces Ă©vĂ©nements, rĂ©trospectivement. Taleb appelle cela la thĂ©orie du Cygne Noir. L’ouvrage aborde ce thème en lien avec la connaissance, l’esthĂ©tique, ainsi que les modes de vie, et utilise des Ă©lĂ©ments de fiction et des anecdotes personnelles pour Ă©laborer ses thĂ©ories. Taleb dĂ©crit ainsi certains Ă©vĂ©nements très surprenants qui gĂ©nèrent des effets massifs et sont considĂ©rĂ©s comme Ă©vidents avec le recul, mais ne l’Ă©taient certainement pas lorsqu’ils se sont produits. RĂ©trospectivement, toutes les calamitĂ©s ou presque semblent inĂ©vitables et prĂ©visibles, mais pour les individus qui en ont fait l’expĂ©rience, ces Ă©vĂ©nements Ă©taient loin d’ĂŞtre Ă©vidents lors de leur survenance. Après la prochaine crise financière, nos successeurs et les « experts » regarderont probablement en arrière et se demanderont pourquoi nous n’avons pas remarquĂ© les signes avant-coureurs plus tĂ´t.
La vocation pĂ©dagogique de l’ouvrage, tristement d’actualitĂ©, tend Ă nous faire observer le monde et tenter de comprendre et de nous prĂ©parer Ă ce que la prochaine calamitĂ© financière, la prochaine crise gĂ©opolitique, la prochaine catastrophe naturelle sont susceptibles d’impliquer. Elle tend Ă©galement Ă nous encourager Ă devenir plus rĂ©silients en gĂ©nĂ©ral, car peu importe nos efforts, il est très probable que la prochaine calamitĂ© nous prendra toujours par surprise. Il faut donc, au moins psychologiquement, se prĂ©parer aux menaces spĂ©cifiques autant qu’à l’inattendu. Le Cygne Noir est Ă©galement une mise en garde contre les dangers de l’ignorance des valeurs aberrantes et de la confiance aveugle en toutes sortes d’experts.
La théorie du cygne noir
Ce concept est nĂ© du souvenir de la conception des cygnes avant la dĂ©couverte de l’Australie. Ă€ l’Ă©poque, tout le monde Ă©tait convaincu que les cygnes Ă©taient blancs, rĂ©alitĂ© empiriquement confirmĂ©e par les preuves prĂ©cĂ©dentes. C’est en dĂ©couvrant l’Australie que les voyageurs ont, en mĂŞme temps, dĂ©couvert des cygnes noirs : une seule observation suffit pour invalider dĂ©finitivement une vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale admise, dĂ©rivĂ©e de millĂ©naires d’observations de millions de cygnes blancs. Il suffit d’un seul cygne noir pour bouleverser la rĂ©alitĂ© admise. Il en va de mĂŞme pour tous les Ă©vènements complètement imprĂ©visibles, complètement inimaginables, et nous sommes totalement Ă la merci de ces cygnes noirs, parce que nous ne pouvons ni les anticiper, ni les apprĂ©hender rationnellement lorsqu’ils surviennent.
Les cygnes noirs sont donc des Ă©vĂ©nements censĂ©s se situer en dehors du domaine du possible, et pourtant se produire de toute façon. En tant qu’ĂŞtres humains, nous sommes particulièrement douĂ©s pour transformer tous les stimuli de notre environnement en informations utiles. C’est un talent qui nous a permis de crĂ©er la mĂ©thode scientifique, de philosopher sur la nature de l’ĂŞtre et d’inventer des modèles mathĂ©matiques complexes. Mais ce n’est pas parce que nous sommes capables de rĂ©flĂ©chir et d’ordonner le monde qui nous entoure que nous sommes douĂ©s pour le faire : nous sommes en effet enclins Ă ĂŞtre Ă©troits d’esprit dans nos croyances sur le monde. Une fois que nous avons modĂ©lisĂ© une idĂ©e du fonctionnement du monde, nous avons tendance Ă nous y accrocher. Mais parce que la connaissance humaine est en constante augmentation et Ă©volution, cette approche dogmatique n’a aucun sens. Il y a seulement deux cents ans, par exemple, les mĂ©decins et les scientifiques Ă©taient extrĂŞmement confiants dans leurs connaissances de la mĂ©decine, mais aujourd’hui, leur confiance semble ridicule : imaginez simplement aller voir votre mĂ©decin pour un rhume et vous faire prescrire des serpents et des sangsues ! ĂŠtre dogmatique au sujet de nos croyances nous rend aveugles Ă ces concepts qui sortent des paradigmes que nous avons dĂ©jĂ acceptĂ©s comme vrais. Comment, par exemple, est-il possible de comprendre la mĂ©decine si vous ne savez pas que des germes existent ? Vous pourriez trouver une explication raisonnable, une narration cohĂ©rente expliquant la maladie, mais elle sera faussĂ©e par un manque d’informations cruciales.
Ce genre de pensĂ©e dogmatique peut entraĂ®ner d’Ă©normes surprises. Nous sommes parfois surpris par les Ă©vĂ©nements non pas parce qu’ils sont alĂ©atoires, mais parce que nos perspectives sont trop Ă©troites. Ces surprises sont ici dĂ©signĂ©es sous le nom de cygnes noirs, et elles peuvent nous inciter Ă reconsidĂ©rer fondamentalement notre vision du monde et mĂŞme refaçonner celui-ci. Avant que quiconque ait jamais vu un cygne noir, les gens supposaient que tous les cygnes Ă©taient blancs. Pour cette raison, toutes leurs reprĂ©sentations et imaginations du cygne Ă©taient blanches, ce qui signifie que le blanc Ă©tait une partie essentielle de la « nature » du cygne, pour le quidam comme pour les naturalistes, artistes etc… Ainsi, lorsque fut dĂ©couvert le premier cygne noir, c’est Ă la fois la comprĂ©hension et la reprĂ©sentation du concept « cygne » qui a Ă©tĂ© bouleversĂ©e.
Pour qu’un Ă©vĂ©nement soit qualifiĂ© de cygne noir, il doit remplir les conditions suivantes :
1 – C’est une valeur aberrante. Rien de ce qui s’est produit auparavant ne peut permettre d’imaginer la possibilitĂ© de l’Ă©vĂ©nement.
2 – Il porte un impact extrĂŞme
3 – Il ne s’explique qu’après coup
La nature humaine tend Ă nous faire croire que nous sommes toujours, ou que nous aurions dĂ» ĂŞtre, en mesure de prĂ©voir leur survenance. Dans les faits il n’en rien : les exemples courant illustrant la notion de cygnes noirs incluent notamment le dĂ©clenchement de la Première Guerre mondiale, les attentats du 11 septembre, le Lundi Noir ou le tremblement de terre suivi d’un tsunami dans l’ocĂ©an Indien.
Le concept du cygne noir est aussi appelĂ© « le problème de l’induction » ou « problème de la connaissance inductive ». Le principe de base est qu’il existe de grandes incertitudes lorsque l’on essaie de prĂ©voir l’avenir en se fondant sur la connaissance du passĂ©. Comment pouvons-nous espĂ©rer dĂ©terminer les propriĂ©tĂ©s de quelque chose d’infini et d’inconnu, sur la base de quelque chose de fini et de connu ? Prenons un autre exemple-type que nous propose Taleb.
Imaginez que vous êtes une dinde, vivant dans une ferme. Depuis le jour de votre naissance, des créatures amicales avec deux jambes et deux bras vous nourrissent. Chaque jour, elles reviennent avec de la nourriture. Elles vous ont construit une belle clôture qui vous protège de cette chose velue sur quatre pattes, qui semble vouloir vous arracher les tripes en permanence. Elles vous apportent même occasionnellement des dindes femelles. Quelles sympathiques créatures elles semblent être ! Chaque jour qui passe, à mesure que vous êtes nourri, protégé et stimulé, vous devenez de plus en plus certain que ce doivent être les créatures les plus amicales sur terre.
Jusqu’Ă ce jour appelĂ© NoĂ«l.
NoĂ«l est dĂ©finitivement un cygne noir pour cette dinde. De son point de vue, c’est un Ă©vènement totalement inattendu, avec un impact extrĂŞme. Mais mieux informĂ©e, ou dotĂ©e de raison, elle pourra trouver des explications rĂ©trospectivement, et la vision de ses successeurs sera rĂ©volutionnĂ©e quant Ă la bienveillance des crĂ©atures Ă deux jambes. En outre, pour la dinde, finir rĂ´tie Ă la table de NoĂ«l d’une famille humaine affamĂ©e Ă©tait totalement inattendu, mais la famille humaine, elle, connaissait la date exacte de l’Ă©vĂ©nement qu’elle prĂ©parait depuis des mois. Un cygne noir n’en est un que du fait d’un manque d’information. Le cygne noir n’avait rien de particulier pour les aborigènes.
Il existe un cousin du cygne noir que Taleb appelle le cygne gris. Il s’agit des « inconnues connues », des choses que nous savons que nous ne savons pas : la plupart d’entre nous par exemple ne savons pas Ă quelle vitesse un homme peut courir un 100 mètres, mais nous savons que nous ne le savons pas. Un cygne noir, en revanche, est une rĂ©elle « inconnue inconnue ». Nous ne savons mĂŞme pas que nous ne savons pas. Pour simplifier Ă l’extrĂŞme, imaginez un livre que vous n’avez jamais lu et dont vous n’avez pas lu non plus le rĂ©sumĂ©. Lorsque ce livre vous arrive entre les mains, c’est un cygne gris. Vous savez qu’il existe, mais vous savez que vous ne savez pas ce qu’il contient. Et ce qu’il contient, c’est beaucoup d’inconnues inconnues, son contenu est un cygne noir. Si vous dĂ©cidez de le lire, il est probable qu’à un moment donnĂ© vous penserez « Tiens, je ne savais pas ça », mais vous ne pouvez pas prĂ©voir aujourd’hui Ă propos de quel contenu vous penserez cela.
L’apprentissage d’un sceptique empirique
Taleb initie les lecteurs au concept de l’anti-bibliothèque, l’idĂ©e que les livres non lus dans sa bibliothèque personnelle sont aussi voire plus importants que les livres lus. L’anti-bibliothèque ontologique, thĂ©orisĂ©e par Umberto Eco, illustre physiquement le thème principal de Taleb, l’idĂ©e que ce que nous ne savons pas est plus important que ce que nous savons.
L’Ă©crivain Umberto Eco appartenait Ă cette petite classe d’Ă©rudits encyclopĂ©diques Ă l’intelligence joyeuse. PropriĂ©taire d’une immense bibliothèque personnelle (contenant plus de trente mille livres), il distinguait ses visiteurs en deux catĂ©gories : ceux s’exclamaient « Wow ! Signore, professore dottore Eco, quelle bibliothèque vous avez ! Combien de ces livres avez-vous lus ? » et les autres (une très petite minoritĂ©), ceux qui comprenaient qu’une bibliothèque privĂ©e n’est pas un appendice nourrissant l’ego mais un outil de recherche et un rappel Ă l’humilitĂ©. Dans cette perspective les livres lus ont beaucoup moins de valeur et d’importance que les livres non lus. La bibliothèque personnelle devrait contenir autant de ce que vous ne savez pas que possible. Vous accumulerez Ă la fois plus de connaissances et plus de livres en vieillissant, et le nombre croissant de livres non lus sur les Ă©tagères s’accroĂ®tra avec votre savoir. En effet, plus on en sait, plus on est (ou plus on devrait ĂŞtre) conscient de tout ce que l’on ne sait pas.
Taleb explore comment ses expĂ©riences personnelles, de son enfance dans un Liban dĂ©chirĂ© par une guerre perçue comme inexplicable Ă ses expĂ©riences ultĂ©rieures dans les affaires et la finance, ont aidĂ© Ă façonner ses idĂ©es et son identitĂ© pour faire de lui ce qu’il appelle un sceptique empirique. Il dĂ©crit l’histoire comme opaque, en substance une boĂ®te noire de cause Ă effet. On voit bien les Ă©vĂ©nements entrer et sortir, mais on n’a aucun moyen de dĂ©terminer ce qui a produit quel effet et comment. Taleb soutient que cette incomprĂ©hension est due au « triplet d’opacitĂ© » :
• l’illusion de comprendre, ou comment tout le monde pense savoir ce qui se passe dans un monde en rĂ©alitĂ© plus compliquĂ© (ou alĂ©atoire) que ce qui est perçu
• la distorsion rétrospective, ou comment nous ne pouvons évaluer les choses qu’après coup, entraînant une illusion de clarté et de structure dans les livres d’histoire qui ne reflètent pas le chaos de la réalité empirique au moment décrit
• la surestimation des données factuelles et de notre capacité à les imbriquer, entraînant une tendance à catégoriser ou à « platonifier », processus qui mène à une simplification excessive dangereuse.
Si la catĂ©gorisation est nĂ©cessaire pour les humains, elle devient pathologique lorsque la catĂ©gorie est considĂ©rĂ©e comme dĂ©finitive, empĂŞchant les gens de considĂ©rer le flou des frontières. Les cygnes noirs, anomalies imprĂ©visibles et inclassables, sont le moteur de l’Histoire, et l’esprit humain ne sait pas les voir.
MĂ©diocristan contre ExtrĂŞmistan
Taleb nous prĂ©sente Ă©galement les deux domaines de l’alĂ©atoire : le « MĂ©diocristan », un scĂ©nario dans lequel lorsqu’un Ă©chantillon est de taille importante, aucune instance ne changera de manière significative l’agrĂ©gat ou le total, et l’« ExtrĂŞmistan » dans lequel les inĂ©galitĂ©s sont telles qu’une seule observation peut avoir un impact disproportionnĂ© sur l’agrĂ©gat ou le total. Il les utilise comme guides pour dĂ©finir la prĂ©visibilitĂ© de l’environnement que l’on Ă©tudie.
MĂ©diocristan
Lorsque Taleb Ă©tait Ă©tudiant, on lui a conseillĂ© de choisir un cheminement de carrière Ă©volutif. Si vous ĂŞtes mĂ©decin, dentiste, consultant ou professionnel de la communication, le nombre de clients ou patients que vous pouvez voir en une journĂ©e ET le montant que vous pouvez gagner en une journĂ©e sont limitĂ©s. Ce n’est pas Ă©volutif, ou « scalable » suivant le terme en vogue. Le salaire est plus ou moins prĂ©visible et dĂ©pend de votre effort continu. Des diffĂ©rences de revenu se produiront au fil du temps, mais aucune journĂ©e de travail individuelle n’aura un impact Ă©norme sur l’ensemble des gains, sur la carrière entière. Les diffĂ©rences entre les « bonnes » journĂ©es et les moins bonnes sont toutes relatives et a minima raisonnablement prĂ©visibles. Ces professions ne sont pas guidĂ©es par le cygne noir et sont exercĂ©es dans le MĂ©diocristan.
Un autre exemple d’environnement mĂ©diocristain est le casino. Au casino, aucun pari n’est autorisĂ© Ă s’Ă©carter trop radicalement de la moyenne. Si un joueur pouvait parier par exemple un milliard, le propriĂ©taire du casino serait confrontĂ© Ă un environnement extrĂŞmistain. Les propriĂ©taires de casino, modèle commercial stable, limitent donc la valeur des paris afin qu’un seul pari ne puisse pas avoir un impact trop important, sur l’ensemble de l’activitĂ©, qu’il soit positif ou nĂ©gatif.
ExtrĂŞmistan
D’autres professions vont en revanche permettre d’ajouter des zĂ©ros Ă la production et aux revenus. Les mĂ©tiers « d’idĂ©es » comme la crĂ©ation commerciale et l’Ă©criture, permettent de rĂ©flĂ©chir intensĂ©ment en lieu et place d’un travail physique concret. Plus clairement vous effectuez la mĂŞme quantitĂ© de travail, que votre production soit de 100 unitĂ©s ou d’un million. J. K Rowling n’aura pas Ă Ă©crire un nouveau livre pour chaque vente supplĂ©mentaire, mais le boulanger devra confectionner un nouveau pain pour chaque client supplĂ©mentaire. Ces professions sont exercĂ©es en ExtrĂŞmistan. Un seul jour de paie peut avoir un impact potentiellement Ă©norme sur votre revenu Ă vie et la diffĂ©rence entre les succès et l’échec est extrĂŞme. D’autres exemples d’environnements extrĂŞmistain sont les dĂ©cès en temps de guerre, les marchĂ©s financiers ou l’investissement en capital-risque. Les cygnes noirs se trouvent gĂ©nĂ©ralement dans ces environnements scalables, parmi les variables Ă©volutives.
Les implications de la cécité face au cygne noir
Nassim Taleb détaille les divers biais et heuristiques qui façonnent notre aveuglement face à cette imprévisibilité que nous refusons.
Biais de confirmation
La plupart des individus sont victimes d’un biais de confirmation, c’est-à -dire une tendance à rechercher des preuves qui soutiennent les opinions déjà exprimées, et à ignorer celles qui seraient en conflit avec l’hypothèse retenue. Les gens sont naturellement enclins à tirer des conclusions, puis à se concentrer uniquement sur les preuves confirmant ces conclusions. Le danger est de tirer de la réalité qu’il n’existe, à un moment M, « aucune preuve de l’existence d’un cygne noir », la conclusion que cette absence de preuve est une « preuve qu’il n’existe pas de cygne noir ».
Le biais confirmatoire peut également entraîner des raccourcis et confusions qui peuvent se révéler dangereux : ce n’est pas parce que « la plupart des A sont également des B » que « la plupart des B sont également des A » (la plupart des serial killers sont des hommes, pour autant, la plupart des hommes ne sont pas des serial killers).
L’erreur narrative
Les gens, et en particulier les historiens, construisent naturellement des rĂ©cits sur les Ă©vĂ©nements impliquant des hypothèses de causalitĂ© injustifiĂ©es, apportant de ce fait un ordre et une logique illusoire au passĂ© et gĂ©nĂ©rant une autre illusion de comprĂ©hension des Ă©vènements, faisant paraĂ®tre le monde moins alĂ©atoire qu’il ne l’est rĂ©ellement. L’aveuglement et la mĂ©connaissance des cygnes noirs naissent principalement de cette erreur criminelle. La seule façon d’Ă©viter les maux de l’erreur narrative est de favoriser l’observation plutĂ´t que la narration, l’expĂ©rience plutĂ´t que l’histoire et les connaissances cliniques plutĂ´t que les thĂ©ories, et surtout, d’admettre nos limites tant de comprĂ©hension que d’anticipation.
Vivre dans l’antichambre de l’espoir
La plupart des individus recherchent un flux constant de retours sur investissement modestement positifs, en espĂ©rant qu’aucun cygne noir nĂ©gatif n’intervienne voir mĂŞme en demeurant inconscient de la possibilitĂ© de survenance d’un cygne noir. Les observateurs les jugent gĂ©nĂ©ralement ces comportements comme raisonnables et ces retours positifs comme des rĂ©ussites.
Les -rares- exploiteurs de cygnes noirs se positionnent en revanche sur de rares mais énormes retours, positifs et négatifs, acceptant une inertie voire des pertes maîtrisées pendant les intervalles imprévisibles durant lesquels ils attendent. Les observateurs jugent généralement ces stratégies « infructueuses » et les réussites spectaculaires qu’elles peuvent entraîner, pour le coup, « aléatoires » et « imprévisibles ». Les chasseurs de cygnes noirs retardent la satisfaction de leur objectif et doivent avoir une endurance personnelle et intellectuelle considérable pour accepter de vivre dans cette antichambre de l’espoir.
Le problème des preuves silencieuses ou des biais de survie
L’humain est par nature superficiel, nĂ©gligeant les preuves silencieuses. Les preuves silencieuses (ignorĂ©es) et le biais de survie (mis en avant) masquent le hasard, en particulier les cygnes noirs. Il s’agit d’une combinaison du biais confirmatoire et de l’erreur narrative : on pense par exemple aux marins du XVème siècle qui sont revenus de leurs voyages, affirmant qu’ils ont survĂ©cu Ă de nombreuses tempĂŞtes en priant ensemble. Cela signifie-t-il que prier ensemble rend le navire moins susceptible de couler ? Peut-ĂŞtre. C’est le biais de survie, la preuve Ă©tant qu’ils sont bien lĂ pour en parler. Mais quid des preuves silencieuses ? Quid du reste des marins – ceux qui n’ont pas survĂ©cu aux voyages ? Ont-ils priĂ© aussi ou pas ? Quels autres facteurs entraient en ligne de compte ? Plus proche de nous, on pense aux traders ou conseillers en placement, qui fondent leur rĂ©ussite et la confiance qu’ils gĂ©nèrent sur des dĂ©buts extrĂŞmement chanceux Ă©tablissant leur rĂ©putation, les concurrents aux dĂ©buts moins chanceux Ă©tant Ă©liminĂ©s ou oubliĂ©s d’office, alors que statistiquement le ratio succès / Ă©chec est probablement similaire Ă durĂ©e de carrière Ă©gale dans ces professions Ă©volutives et soumises aux cygnes noirs.
L’erreur ludique
L’incertitude rencontrĂ©e dans la vie rĂ©elle est plus fondamentale et alĂ©atoire que l’incertitude domestiquĂ©e et stĂ©rilisĂ©e prĂ©sente dans les jeux dits de « hasard ». La comparaison instinctive entre la vie rĂ©elle et les jeux de hasard est une analogie incohĂ©rente et erronĂ©e. Les cygnes noirs sont des Ă©vĂ©nements que nous n’envisageons pas et pour lesquels nous ne pouvons donc pas attribuer de probabilitĂ©s. Une probabilitĂ©, mĂŞme minime, signifie d’abord que l’évènement dont la probabilitĂ© est mesurĂ©e est envisagĂ©.
Nous ne distinguons pas facilement les informations Ă©volutives et non Ă©volutives. Nous, humains, avons dĂ©veloppĂ© de nombreuses mĂ©thodes et modèles pour classer les informations et donner un sens au monde. Malheureusement, nous ne sommes pas très douĂ©s lorsqu’il s’agit de faire la distinction entre les diffĂ©rents types d’informations – et surtout entre les informations « Ă©volutives » et « non Ă©volutives », qui est pourtant fondamentale. Les informations non Ă©volutives – telles que le poids et la taille – ont une limite supĂ©rieure et infĂ©rieure dĂ©finies et statistiques. Le poids corporel n’est pas Ă©volutif car il y a des limites physiques sur le poids qu’une personne peut peser : alors qu’il est possible pour quelqu’un de peser 100 kilos, il est physiquement impossible que le poids de quiconque atteigne 10000 kilos. Étant donnĂ© que les propriĂ©tĂ©s de ces informations non Ă©volutives sont clairement limitĂ©es, il nous est possible de faire des prĂ©visions significatives sur les moyennes. D’un autre cĂ´tĂ©, les choses non physiques ou fondamentalement abstraites, comme la distribution de la richesse ou les ventes d’albums, sont Ă©volutives. Par exemple, si vous vendez votre album sous forme numĂ©rique via iTunes, il n’y a pas de limite au nombre de ventes que vous pourriez rĂ©aliser car la distribution n’est pas limitĂ©e par le nombre de copies physiques que vous pouvez fabriquer. De plus, comme les transactions ont lieu en ligne, les devises physiques ne manquent pas pour vous empĂŞcher de vendre un milliard d’albums. Cette diffĂ©rence entre informations Ă©volutives et non Ă©volutives est cruciale si vous voulez avoir une image prĂ©cise du monde. Et essayer d’appliquer des règles efficaces avec des informations non Ă©volutives Ă des donnĂ©es Ă©volutives ne conduira qu’Ă des erreurs. Par exemple, disons que vous voulez mesurer la richesse de la population d’Angleterre. La façon la plus simple de le faire est de dĂ©terminer le revenu par habitant, en additionnant leur revenu total et en divisant ce chiffre par le nombre de citoyens. Cependant, la richesse est en fait Ă©volutive : il est possible qu’un petit pourcentage de la population possède un pourcentage incroyablement Ă©levĂ© de la richesse. En collectant simplement des donnĂ©es sur le revenu par habitant, vous vous retrouvez avec une reprĂ©sentation de la rĂ©partition des revenus qui ne reflète probablement pas la rĂ©alitĂ© concrète de la majoritĂ© des citoyens anglais.
Nous sommes beaucoup trop confiants dans ce que nous croyons savoir. Nous aimons tous nous protĂ©ger contre les dommages, et l’une des façons de le faire est d’Ă©valuer et de gĂ©rer la possibilitĂ© de risque. C’est pourquoi nous souscrivons des assurances et tentons de ne pas « mettre tous nos Ĺ“ufs dans le mĂŞme panier ». La plupart d’entre nous faisons de notre mieux pour mesurer les risques aussi prĂ©cisĂ©ment que possible afin de nous assurer que nous ne manquons pas les opportunitĂ©s, tout en veillant Ă ne pas faire quelque chose que nous pourrions regretter plus tard. Pour y parvenir, nous pensons pouvoir Ă©valuer tous les risques possibles, puis mesurer la probabilitĂ© que ces risques se matĂ©rialisent. Par exemple, imaginez que vous souhaitiez souscrire une assurance. Vous voulez le type de police qui vous protĂ©gera contre le pire des scĂ©narios, mais qui ne sera pas non plus un gaspillage d’argent. Dans ce cas, vous mesurez la menace probable de maladie ou d’accident (je fume, mais il y a peu de typhons oĂą je vis) par rapport aux consĂ©quences de ces Ă©vĂ©nements, puis prenez une dĂ©cision que vous pensez Ă©clairĂ©e. Malheureusement, nous sommes beaucoup trop confiants dans notre capacitĂ© Ă Ă©valuer tous les risques possibles contre lesquels nous devons nous protĂ©ger. C’est ce qu’on appelle l’erreur ludique, nous avons tendance Ă gĂ©rer le risque comme nous le ferions avec un jeu, avec un ensemble de règles et de probabilitĂ©s que nous pouvons dĂ©terminer avant de jouer, ce qui n’est pas le cas dans la vie rĂ©elle. Traiter le risque comme un jeu est en soi une entreprise risquĂ©e. Par exemple, les casinos veulent gagner autant d’argent que possible, c’est pourquoi ils ont des systèmes de sĂ©curitĂ© Ă©laborĂ©s et bannissent les joueurs qui gagnent trop, trop souvent. Mais leur approche est basĂ©e sur cette erreur ludique de prĂ©vision des risques. Les principales menaces pesant sur un casino ne sont peut-ĂŞtre pas les joueurs chanceux ou les tricheurs, mais plutĂ´t, par exemple, un kidnappeur qui prendrait en otage l’enfant du propriĂ©taire, ou un employĂ© qui ne soumet pas les revenus du casino Ă trĂ©sor public. Les plus grandes menaces pesant sur le casino, celles qui auraient le plus d’impact si elles survenaient, pourraient ĂŞtre totalement imprĂ©visibles. Peu importe nos efforts, nous ne pourrons jamais calculer avec prĂ©cision chaque risque ni anticiper les cygnes noirs. Il est prĂ©fĂ©rable d’être conscients de notre ignorance que de la nier.
Le scandale des prévisions
Taleb fait valoir que nous devenons globalement plus intelligents et mieux informĂ©s, mais le problème est que notre excès de confiance augmente en proportion, alors que c’est notre humilitĂ© et la reconnaissance de notre propre ignorance qui devrait s’accroĂ®tre. Il se rĂ©fère Ă une Ă©tude dans laquelle les participants sont invitĂ©s Ă faire une estimation pour laquelle ils pensent avoir 98% de chances d’avoir raison et 2% d’avoir tort. Par exemple : « Je suis certain Ă 98% que la population française se situe entre 50 et 65 millions de personnes. » Le taux d’erreur rĂ©el des estimations des participants Ă©tait extrĂŞmement Ă©levĂ© : 45%, au lieu des 2% que les participants devaient viser. Ces participants Ă©taient des Ă©tudiants de la Harvard Business School. Des rĂ©sultats plus nuancĂ©s ont Ă©tĂ© obtenus en testant des sujets issus de milieux plus modestes ou plus laborieux. Taleb note en effet que des groupes de personnes plus humbles, comme les chauffeurs de taxi dans cet exemple, sont considĂ©rablement meilleurs pour estimer leurs propres connaissances, bien qu’ils soient encore trop confiants. Il relève aussi que certains peuvent pĂ©cher par « excès d’humilitĂ© » (ou fausse modestie) et fausser leurs rĂ©sultats par un Ă©largissement trop important des probabilitĂ©s envisagĂ©es ou une sous-estimation de leurs connaissance.
Mais notre monde est un monde oĂą il est plus rentable de s’unir dans la mauvaise direction que d’ĂŞtre seuls dans la bonne. « Le problème avec les experts, c’est qu’ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas. » Taleb discute de ce qui peut ĂŞtre fait concernant cette arrogance Ă©pistĂ©mique, cette certitude de pouvoir prĂ©voir et anticiper qui nous pousse Ă sur- ou sous-estimer la probabilitĂ© d’évènements impactant notre vie. Il recommande d’Ă©viter de dĂ©pendre inutilement des prĂ©dictions nuisibles Ă grande Ă©chelle, tout en Ă©tant moins prudents sur les petits sujets, comme aller Ă un pique-nique. Il fait Ă©galement une distinction entre la perception culturelle amĂ©ricaine de l’Ă©chec par rapport Ă la stigmatisation et Ă l’embarras des cultures europĂ©enne et asiatique face Ă l’Ă©chec : lĂ oĂą il est perçu comme une leçon, les risques seront pris plus facilement que lĂ oĂą il est perçu comme honte, ce dernier cas entraĂ®nant une propension Ă la prudence limitant les Ă©checs mais limitant Ă©galement les possibilitĂ© de cygne noir spĂ©culatif et les succès spectaculaires.
Il dĂ©crit Ă©galement la « stratĂ©gie barbell » dans le domaine des investissements, qu’il a utilisĂ©e en tant que trader, et qui consiste Ă Ă©viter les investissements Ă risque moyen et Ă placer 85 Ă 90% de l’argent dans les instruments les plus sĂ»rs disponibles et les 10 Ă 15% restants sur des paris extrĂŞmement spĂ©culatifs.
Il faut ĂŞtre conscients que les cygnes noirs peuvent avoir des consĂ©quences bouleversantes pour ceux qui les ignorent. L’effet d’un cygne noir n’est pas le mĂŞme pour tous. Certains en seront très affectĂ©s, d’autres Ă peine. La puissance de leur effet est largement dĂ©terminĂ©e par votre accès aux informations pertinentes : plus vous avez d’informations, moins vous risquez d’ĂŞtre frappĂ© par un cygne noir ; et plus vous ĂŞtes ignorant, plus vous ĂŞtes Ă risque. Cela peut ĂŞtre illustrĂ© par le scĂ©nario suivant :
Imaginez faire un pari sur votre cheval prĂ©fĂ©rĂ©, Rocket. En raison de la constitution de Rocket, de ses antĂ©cĂ©dents, de l’habiletĂ© du jockey et d’une concurrence mĂ©diocre, vous pensez que Rocket est le pari le plus sĂ»r et jouez tout ce que vous possĂ©dez sur sa victoire. Imaginez maintenant votre surprise lorsque le dĂ©part est lancĂ© et que Rocket non seulement ne quitte pas les portes, mais opte plutĂ´t pour simplement se coucher sur la piste. C’est un cygne noir : compte tenu des informations que vous aviez recueillies (erreur narrative et biais confirmatoire), parier sur Rocket Ă©tait une valeur sĂ»re (arrogance Ă©pistĂ©mique et erreur ludique), mais vous avez tout perdu dès le dĂ©but de la course.
Cet Ă©vĂ©nement ne sera pas une tragĂ©die pour tout le monde. Par exemple, le propriĂ©taire de Rocket a fait fortune en pariant contre son propre cheval. Contrairement Ă vous, il avait des informations supplĂ©mentaires, et savait que le jockey de Rocket allait faire grève pour protester contre la cruautĂ© envers les animaux ou que l’animal Ă©tait malade ce jour-lĂ . Cette minuscule quantitĂ© d’information supplĂ©mentaire lui a Ă©vitĂ© le cygne noir, qui n’en est un que pour le non-informĂ©.
L’impact des cygnes noirs peut Ă©galement varier considĂ©rablement en termes d’Ă©chelle. PlutĂ´t que d’affecter uniquement des individus, parfois, des sociĂ©tĂ©s entières peuvent faire l’expĂ©rience d’un cygne noir. Lorsque cela se produit, un cygne noir peut transformer le fonctionnement du monde, impactant de nombreux domaines de la sociĂ©tĂ©, comme la philosophie, la thĂ©ologie et la physique. Par exemple, lorsque Copernic a avancĂ© que la Terre n’était peut-ĂŞtre pas le centre de l’univers, les consĂ©quences ont Ă©tĂ© immenses, car sa dĂ©couverte a remis en question Ă la fois l’autoritĂ© des catholiques au pouvoir et l’autoritĂ© historique de la Bible elle-mĂŞme. En fin de compte, ce cygne noir particulier a contribuĂ© Ă Ă©tablir un nouveau dĂ©part pour toute la sociĂ©tĂ© occidentale.
En conclusion, mĂŞme si nous faisons constamment des prĂ©dictions sur l’avenir, nous sommes en fait terriblement peu douĂ©s pour cela. Nous avons beaucoup trop confiance dans nos connaissances et sous-estimons notre ignorance. Notre dĂ©pendance excessive Ă l’Ă©gard de mĂ©thodes qui semblent avoir du sens, notre incapacitĂ© fondamentale Ă comprendre et Ă dĂ©finir le hasard, et mĂŞme notre biologie, contribuent toutes Ă une mauvaise prise de dĂ©cision, et parfois Ă la survenance des « cygnes noirs », ces Ă©vĂ©nements que nous croyons impossibles, que nous n’envisageons mĂŞme pas, mais qui finissent par redĂ©finir notre comprĂ©hension du monde. Bien qu’il soit absolument inhĂ©rent Ă notre nature de rechercher des relations causales linĂ©aires entre les Ă©vĂ©nements afin de donner un sens Ă ce monde complexe, la rĂ©alitĂ© est que nous sommes incapables Ă la fois de faire des prĂ©dictions pour l’avenir et d’Ă©tablir des causes rĂ©elles pour le prĂ©sent en nous fondant sur le passĂ©. PlutĂ´t que de nourrir notre dĂ©sir de voir dans les Ă©vĂ©nements des causes et des effets bien dĂ©finis, il vaut mieux envisager plutĂ´t un certain nombre de possibilitĂ©s sans ĂŞtre fixĂ© dogmatiquement Ă une seule vison. Taleb propose qu’après avoir admis l’incertitude ontologique du monde, on assume une posture d’humilitĂ© et d’ouverture permettant, Ă dĂ©faut de pouvoir les prĂ©voir, de se prĂ©parer et de tirer parti de la survenance des cygnes noirs :
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