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(Dossier basé sur l’ouvrage anthologique Le must de la stratégie, préfacé par Gabriel Joseph-Dezaize)

Outre le magazine bimestriel, l’univers Harvard Business Review France comprend des carnets qui proposent aux cadres et aux dirigeants des conseils de management rapides et simples à mettre en œuvre, des livres de référence et des numéros spéciaux, les musts, qui déclinent une thématique en plusieurs articles rédigés par les meilleurs experts en management, RH ou stratégie. Ce premier volet de la série des Cahiers est ainsi consacré à un sujet crucial pour toutes les entreprises en quête de sens dans un monde turbulent : la stratégie. Les articles sélectionnés pour ce « must » sont huit incontournables pour guider votre réflexion et préciser vos choix stratégiques, toujours aisément applicables à l’entreprise-cabinet, rédigés par les meilleurs spécialistes de la question, depuis la question fondamentale et finalement pas si simple « Qu’est-ce que la stratégie ? » jusqu’à sa mise en œuvre.

VII. Transformer une grande stratégie en grande performance (Mankins & Steele)

Michael C. Mankins est l’ancien directeur associĂ© du bureau de San Francisco de Marakon Associates, un cabinet de conseil international en stratĂ©gi, et Ă©galement co-auteur de The Value imperative : Managing for Superior Shareholder Returns (Free Press, 1994). Richard Steele, ex-associĂ© du bureau new-yorkais de la sociĂ©tĂ© Marakon, est devenu partenaire principal du cabinet de conseil en management SYPartners.

En règle gĂ©nĂ©rale, les entreprises ne concrĂ©tisent que 60 % environ de la valeur potentielle de leur stratĂ©gie, en raison de failles et de dĂ©fauts dans la planification et l’exĂ©cution. En identifiant ces failles et dĂ©faut, puis en suivant Ă  la lettre sept règles simples, vous pouvez faire bien mieux que cela.

L’écart entre stratégie et performance

Ă€ l’automne 2004, le cabinet, Marakon Associates, oĂą officiaient Mankins et Steele, a rĂ©alisĂ© un sondage en partenariat avec l’Economist Intelligence Unit (EIU) auprès des cadres supĂ©rieurs de 197 entreprises dans le monde dont les ventes sont supĂ©rieures Ă  500 millions de dollars. Ils voulaient comprendre comment les entreprises rĂ©ussissent Ă  traduire leur stratĂ©gie en performance. Concrètement, comment parviennent-elles Ă  atteindre les projections financières affichĂ©es dans leurs plans stratĂ©giques ? Et, quand elles Ă©chouent, quelles en sont les causes les plus courantes et quelles sont les mesures les plus efficaces pour rĂ©duire l’écart entre stratĂ©gie et performance ? Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© aussi rĂ©vĂ©lateurs qu’inquiĂ©tants.

Alors que les dirigeants interrogĂ©s se battent sur des marchĂ©s et des zones gĂ©ographiques très diffĂ©rents, nombreuses sont les prĂ©occupations qu’ils partagent en matière de planification et d’exĂ©cution. La quasi-totalitĂ© d’entre eux a du mal Ă  rĂ©aliser les performances financières attendues dans le cadre de leurs plans Ă  long terme. En outre, les procĂ©dĂ©s qu’ils emploient pour Ă©laborer ces plans et mesurer la performance ne leur permettent pas de discerner si l’écart entre stratĂ©gie et performance est dĂ» Ă  une mauvaise planification, Ă  une mauvaise exĂ©cution, aux deux, ou ni Ă  l’une ni Ă  l’autre. Plus prĂ©cisĂ©ment, ils ont relevĂ© que :

– Les entreprises mesurent rarement leur performance par rapport Ă  leurs plans Ă  long terme.

Selon leur expĂ©rience, moins de 15 % des entreprises ont pris l’habitude de revenir en arrière et de comparer rĂ©gulièrement les rĂ©sultats de l’entreprise avec les prĂ©visions de performances annoncĂ©es dans les plans stratĂ©giques des exercices prĂ©cĂ©dents. Par consĂ©quent, les dirigeants ne peuvent pas savoir facilement si les projections qui sous-tendent leurs dĂ©cisions en matière d’investissement de capitaux et de gestion du portefeuille d’actifs prĂ©disent une performance rĂ©elle. Plus important encore, ils risquent de crĂ©er la mĂŞme asymĂ©trie entre les rĂ©sultats et les prĂ©visions quand ils prendront de nouvelles dĂ©cisions d’investissement. Le fait que si peu d’entreprises surveillent rĂ©gulièrement l’écart entre performances rĂ©elles et performances prĂ©visionnelles peut contribuer Ă  expliquer pourquoi tant de sociĂ©tĂ©s semblent gaspiller de l’argent, en continuant de financer des stratĂ©gies perdantes plutĂ´t que de rechercher de nouvelles et meilleures options.

– Les rĂ©sultats des plans pluriannuels correspondent rarement aux projections.

Lorsque les sociĂ©tĂ©s mesurent leur performance par rapport aux projections sur un certain nombre d’annĂ©es, on observe en gĂ©nĂ©ral un phĂ©nomène que l’un de leurs clients a dĂ©crit comme une sĂ©rie de « stores vĂ©nitiens en diagonale Â» : mises les unes Ă  cĂ´tĂ© des autres, les projections de performance annuelles ressemblent Ă  des stores vĂ©nitiens suspendus en diagonale. Si les affaires vont assez bien, le point bas de chaque « store Â» annuel peut ĂŞtre situĂ© un peu plus haut que celui de l’exercice prĂ©cĂ©dent, mais il est rare que la performance corresponde Ă  la projection de l’exercice prĂ©cĂ©dent, ce qui conduit Ă©videmment, d’annĂ©e en annĂ©e, Ă  une sous-performance par rapport au plan.

Le phénomène des stores vénitiens crée un certain nombre de problèmes connexes.

Premièrement, comme les prĂ©visions financières du plan ne sont pas fiables, le top management ne peut pas approuver sereinement les investissements en fonction de la planification stratĂ©gique. Par consĂ©quent, dĂ©veloppement de la stratĂ©gie et allocation des ressources sont dissociĂ©s et le plan annuel d’opĂ©rations (ou le budget) finit par conduire les investissements et la stratĂ©gie de l’entreprise Ă  long terme. Deuxièmement, la gestion du portefeuille d’actifs dĂ©raille. Sans prĂ©visions financières crĂ©dibles, la direction gĂ©nĂ©rale ne peut pas savoir si une activitĂ© donnĂ©e a plus de valeur pour l’entreprise et ses actionnaires que pour d’éventuels acheteurs. Ainsi, les activitĂ©s qui dĂ©truisent de la valeur pour les actionnaires restent trop longtemps dans le portefeuille dans l’espoir que leur performance finira par se rĂ©tablir, tandis que celles qui crĂ©ent de la valeur manquent cruellement de capital et de ressources. Troisièmement, de mĂ©diocres prĂ©visions financières compliquent le dialogue avec la communautĂ© des investisseurs. En effet, pour Ă©viter d’être Ă  court de capitaux Ă  la fin du trimestre, le directeur financier et le responsable des relations avec les investisseurs imposent souvent des « provisions pour imprĂ©vus Â» ou une « marge de sĂ©curitĂ© Â» en plus de la prĂ©vision produite en consolidant les plans de la business unit. Comme ces provisions pour imprĂ©vus sont aussi souvent fausses que justes, les mauvaises prĂ©visions financières risquent de porter prĂ©judice Ă  la rĂ©putation de l’entreprise auprès des analystes et des investisseurs.

– Beaucoup de valeur est perdue en chemin.

Compte tenu de la médiocrité des prévisions financières de la plupart des plans stratégiques, il n’est pas surprenant que beaucoup d’entreprises ne parviennent pas à réaliser la valeur potentielle de leurs stratégies. Cette étude montre qu’en moyenne la plupart des stratégies ne concrétisent que 63 % de leur potentiel de performance financière. Et plus d’un tiers des dirigeants interrogés pensaient que ce chiffre était inférieur à 50 %. Autrement dit, si le top management parvenait à réaliser l’intégralité du potentiel de sa stratégie actuelle, la valeur pourrait passer de 60 % à 100 % !

Le graphique ci-dessous montre la perte de performance moyenne Ă©tablie selon les notes que les managers interrogĂ©s dans le cadre de leur recherche ont donnĂ©es aux problèmes spĂ©cifiques intervenus lors de la mise en Ĺ“uvre des processus de planification et d’exĂ©cution :

On le voit, l’écart entre stratĂ©gie et performance peut ĂŞtre imputĂ© Ă  la conjugaison de plusieurs facteurs, comme des plans mal formulĂ©s, des ressources mal exploitĂ©es, des ruptures dans les circuits de communication ou une responsabilitĂ© limitĂ©e vis-Ă -vis des rĂ©sultats. En clair, le top management commence par une stratĂ©gie qui, selon lui, va gĂ©nĂ©rer un certain niveau de performance financière et de la valeur au fil du temps (100 %, comme indiquĂ© dans l’encadrĂ©). Mais, selon les dirigeants interrogĂ©s, l’incapacitĂ© Ă  allouer les bonnes ressources au bon endroit et au bon moment rĂ©duit de près de 7,5 % la valeur potentielle de la stratĂ©gie. Une communication de mauvaise qualitĂ© en fait perdre environ 5,2 %, une planification mĂ©diocre 4,5 %, des responsabilitĂ©s floues 4,1 %, et ainsi de suite. Bien entendu, ces estimations sont le reflet de l’expĂ©rience moyenne des dirigeants sondĂ©s et peuvent ne pas ĂŞtre reprĂ©sentatives de chaque entreprise ou de chaque stratĂ©gie. NĂ©anmoins, elles mettent bien l’accent sur les problĂ©matiques sur lesquelles les dirigeants doivent se concentrer lors de l’analyse des procĂ©dĂ©s de l’entreprise en vue de planifier et d’exĂ©cuter leurs stratĂ©gies.

– Le top management passe souvent Ă  cĂ´tĂ© des goulots d’étranglement qui entravent la performance.

En raison des processus que la plupart des entreprises utilisent pour Ă©laborer les plans, rĂ©partir leurs ressources et assurer le suivi de la performance, le top management a du mal Ă  dĂ©terminer si l’écart entre stratĂ©gie et performance dĂ©coule d’une mauvaise planification, d’une mauvaise exĂ©cution, des deux, ou ni de l’une, ni de l’autre. Comme de nombreux plans intègrent des projections trop ambitieuses, les entreprises analysent souvent les mauvaises performances en se disant : « Encore une de ces prĂ©visions basĂ©es sur une hypothèse de redressement miraculeux. Â» Et quand les plans sont rĂ©alistes et que les rĂ©sultats ne sont pas au rendez-vous, les dirigeants ne reçoivent que peu de signaux d’alerte. Ils n’ont souvent aucun moyen de savoir si les actions cruciales ont Ă©tĂ© menĂ©es Ă  bien comme prĂ©vu, si les ressources ont Ă©tĂ© employĂ©es en temps et en heure et si les concurrents ont rĂ©agi comme escomptĂ©, etc. Malheureusement, sans information claire permettant de savoir comment et pourquoi le rĂ©sultat escomptĂ© n’a pas Ă©tĂ© atteint, il est quasiment impossible pour le top management de prendre les mesures correctives qui s’imposent.

– L’écart entre stratĂ©gie et performance favorise une culture de la sous-performance.

Dans de nombreuses entreprises, les problèmes de planification et d’exécution sont renforcés voire amplifiés par un changement de culture insidieux. Ce changement se produit de façon subtile mais rapide, et une fois qu’il a pris racine, il est très difficile à inverser. Tout d’abord, si les plans sont irréalistes, toute l’organisation s’attendra à ce qu’ils ne soient tout simplement pas accomplis. Puis, au fur et à mesure que l’hypothèse se vérifie, ne pas tenir ses promesses de performance devient la norme. Alors les engagements cessent d’être des promesses contraignantes avec des conséquences réelles. Plutôt que de faire leur maximum pour que les engagements soient tenus, les managers cherchent à se protéger des éventuelles retombées d’un échec qu’ils attendent et considèrent comme inévitable. Ils passent leur temps à brouiller les pistes plutôt qu’à identifier les actions qui permettraient d’améliorer la performance. L’organisation devient moins critique et moins honnête intellectuellement vis-à-vis de ses propres défaillances. Par conséquent, elle perd sa capacité à « performer ».

Combler l’écart qui sépare la stratégie de la performance

Aussi béant que soit le fossé qui sépare la stratégie de la performance dans la plupart des entreprises, les dirigeants peuvent le combler. Un grand nombre d’entreprises très performantes ont trouvé les moyens de concrétiser une plus grande partie du potentiel de leur stratégie. Au lieu de se concentrer, pour réduire l’écart, sur l’amélioration de leurs processus de planification et d’exécution séparément, ces entreprises travaillent sur les deux facteurs de l’équation, en élevant les normes qui servent à la fois à la planification et à l’exécution et en créant des liens clairs entre les deux.

Le travail des auteurs avec nombre de ces entreprises suggèrent qu’elles suivent sept règles Ă  appliquer Ă  la planification et Ă  l’exĂ©cution. Respecter ces règles leur permet d’évaluer objectivement les dĂ©fauts de performance et de dĂ©terminer s’ils sont dus Ă  la stratĂ©gie, au plan, Ă  l’exĂ©cution, ou aux capacitĂ©s des employĂ©s. Et les règles qui leur permettent de repĂ©rer les problèmes Ă  temps les aident aussi Ă  Ă©viter les insuffisances de performance dès le dĂ©part. Ces règles peuvent sembler simples, mĂŞme Ă©videntes, mais lorsqu’elles sont suivies Ă  la lettre et de manière collective, elles peuvent influer Ă  la fois sur la qualitĂ© de la stratĂ©gie d’une entreprise et sur sa capacitĂ© Ă  obtenir des rĂ©sultats satisfaisants.

Règle 1 : Faire simple et concret.

Dans la plupart des entreprises, la stratégie est un concept très abstrait, souvent confondu avec la vision ou l’aspiration, et qui ne se communique pas ni ne se traduit aisément en actions. Mais sans une idée claire de la direction empruntée par l’entreprise et des raisons qui l’y poussent, les niveaux hiérarchiques inférieurs de l’organisation ne peuvent pas mettre en œuvre des plans réalisables. En bref, le lien entre la stratégie et la performance ne peut être établi car la stratégie elle-même n’est pas suffisamment concrète.

Pour mettre le processus de planification et d’exĂ©cution sur les rails, les entreprises performantes Ă©vitent les descriptions interminables d’objectifs ambitieux. Au contraire, elles utilisent un langage clair pour dĂ©crire leur plan d’action. Bob Diamond, directeur gĂ©nĂ©ral de Barclays Capital, l’une des entreprises du secteur bancaire enregistrant la plus forte croissance et les meilleures performances en Europe, jusqu’en 2012, l’exprime de la façon suivante :

« Nous avons Ă©tĂ© très clairs Ă  propos de ce que nous allions faire et de ce que nous ne ferions pas. Nous savions que nous ne voulions pas affronter les grandes banques d’investissement amĂ©ricaines. Nous avons dĂ©clarĂ© que nous ne comptions pas nous lancer dans une telle confrontation et que nous nous tiendrions Ă©loignĂ©s des segments peu rentables du marchĂ© des actions, mais que nous investirions au contraire pour nous positionner sur le marchĂ© de l’euro, sur le besoin croissant des emprunteurs d’effectuer des remboursements Ă  taux fixe, et sur la fin de la loi Glass-Steagall. En veillant Ă  ce que tout le monde connaisse la stratĂ©gie et ce qui faisait son originalitĂ©, nous avons pu consacrer plus de temps aux tâches essentielles Ă  l’exĂ©cution de cette stratĂ©gie. Â»

En définissant clairement ce qu’est la stratégie et ce qu’elle n’est pas, des entreprises comme Barclays maintiennent tous leurs collaborateurs tournés dans la même direction. Plus important, ils sécurisent la performance que leurs concurrents perdent à cause de leur communication inefficace. Leur planification des ressources et des actions devient plus efficace et les responsabilités sont plus faciles à définir.

Règle 2 : DĂ©battre des hypothèses, pas des prĂ©visions.

Dans de nombreuses entreprises, le plan stratĂ©gique d’une business unit n’est presque rien de plus qu’un accord nĂ©gociĂ© – le rĂ©sultat de tractations minutieuses avec la direction gĂ©nĂ©rale Ă  propos des objectifs de performance et des prĂ©visions financières. La planification, par consĂ©quent, est surtout un exercice politique avec, d’un cĂ´tĂ©, les dirigeants de business unit qui rĂ©clament des prĂ©visions de bĂ©nĂ©fices Ă  court terme moins ambitieuses (pour obtenir des primes annuelles plus Ă©levĂ©es) et, de l’autre, un top management qui requiert des projections Ă  long terme (pour satisfaire le conseil d’administration et d’autres parties prenantes externes). Sans surprise, les prĂ©visions auxquelles aboutissent ces nĂ©gociations sous-estiment presque toujours ce que chaque unitĂ© peut fournir Ă  court terme et surestiment ce qui peut raisonnablement ĂŞtre attendu Ă  long terme. Ce qui correspond Ă  ces fameuses hypothèses de redressement miraculeux (graphique en crosses de hockey ou en « stores vĂ©nitiens Â»), auxquelles les P-DG ne sont que trop habituĂ©s.

MĂŞme dans les entreprises oĂą la planification est coupĂ©e des prĂ©occupations politiques que sont l’évaluation et la rĂ©munĂ©ration de la performance, l’approche utilisĂ©e pour gĂ©nĂ©rer des projections financières comporte souvent des a priori intrinsèques. De fait, les projections financières sont souvent rĂ©alisĂ©es de façon totalement indĂ©pendante des dĂ©partements marketing ou stratĂ©gie. Le service financier de l’unitĂ© prĂ©pare une prĂ©vision très dĂ©taillĂ©e poste par poste dont les hypothèses Ă  court terme peuvent ĂŞtre rĂ©alistes, voire prudentes, mais dont les hypothèses Ă  long terme n’ont quasiment rien de tangible. Par exemple, les prĂ©visions de recettes sont gĂ©nĂ©ralement fondĂ©es sur des estimations brutes des prix moyens, de la croissance du marchĂ© et des parts de marchĂ© dĂ©tenues par la sociĂ©tĂ©. Les projections de coĂ»ts Ă  long terme et des besoins en fonds de roulement s’appuient sur une hypothèse de gains de productivitĂ© annuels opportunĂ©ment liĂ©s, peut-ĂŞtre, Ă  une restructuration de l’entreprise. Le top management a du mal Ă  y voir clair dans ces prĂ©visions. Chaque poste peut ĂŞtre complètement justifiable, mais le plan d’ensemble et les projections trahissent manifestement une idĂ©e prĂ©conçue de croissance qui les rend impropres Ă  la conduite de l’exĂ©cution d’une stratĂ©gie. Les entreprises performantes ont une conception radicalement diffĂ©rente de la planification. Elles veulent que leurs prĂ©visions pilotent le travail qu’elles effectuent rĂ©ellement. Pour cela, elles doivent veiller Ă  ce que les hypothèses sur lesquelles reposent leurs plans Ă  long terme reflètent Ă  la fois les rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques de leurs marchĂ©s et les performances de l’entreprise vis-Ă -vis de ses concurrents.

SĂ©parer la phase d’élaboration des hypothèses de celle des projections financières contribue Ă  Ă©tablir le dialogue entre la direction de l’entreprise et la business unit sur la base de la rĂ©alitĂ© Ă©conomique. Les unitĂ©s ne peuvent se dissimuler derrière des dĂ©tails fallacieux et la direction gĂ©nĂ©rale ne peut exiger que des objectifs irrĂ©alistes soient atteints. Qui plus est, la discussion basĂ©e sur les faits qui rĂ©sulte de ce type d’approche renforce la confiance entre les dirigeants de l’entreprise et chaque unitĂ©, et Ă©limine les obstacles Ă  une exĂ©cution rapide et efficace. « Quand vous disposez d’une comprĂ©hension fine des principes fondamentaux et des facteurs de performance, dĂ©clare Bob Diamond, vous pouvez alors vous mettre en retrait et vous n’avez pas Ă  gĂ©rer les dĂ©tails. L’équipe sait sur quels problèmes elle doit travailler, lesquels me signaler et Ă  quelles problĂ©matiques nous devons nous attaquer tous ensemble. Â»

Règle 3 : Utiliser un cadre rigoureux, parler un langage commun.

Pour être productif, le dialogue entre la direction de l’entreprise et les unités à propos des tendances du marché et des hypothèses doit être mené dans un cadre rigoureux. Le cadre spécifique utilisé comme base pour élaborer ses plans stratégiques n’est pas si important, l’essentiel étant que ce cadre participe à l’établissement d’un langage commun propice au dialogue entre la direction générale et les unités, un langage que les équipes chargées de la stratégie, du marketing et des finances comprennent et utilisent toutes. Sans un cadre rigoureux pour faire le lien durablement entre la performance d’une entreprise sur ses marchés et sa performance financière, il est très difficile pour le top management de vérifier si les projections financières qui accompagnent le plan stratégique d’une unité sont raisonnables et réalisables. Par conséquent, la direction ne peut savoir avec certitude si un manque de performance est dû à une mauvaise exécution ou à un plan irréaliste et sans fondement.

Règle 4 : Discuter de l’allocation des ressources en amont.

Les entreprises peuvent élaborer des prévisions plus réalistes et des plans plus facilement applicables si elles discutent dès le départ de l’échelle et du calendrier de déploiement des ressources essentielles. Chez Cisco Systems, par exemple, une équipe transversale examine dès la phase de planification à quel niveau et à quel moment les ressources doivent être déployées. L’équipe rencontre régulièrement le P-DG, le directeur administratif et financier, le vice-président des opérations et les autres membres de l’équipe de direction de Cisco afin de discuter de leurs conclusions et de faire des recommandations. Une fois qu’un accord est conclu sur la répartition des ressources et son calendrier à l’échelle des unités, ces éléments sont intégrés au plan à deux ans de l’entreprise. Ensuite, Cisco surveille, tous les mois, le déploiement effectif des ressources dans chaque unité (ainsi que ses performances) pour s’assurer que tout se passe comme prévu par la feuille de route et que celle-ci produit les résultats escomptés.

Règle 5 : DĂ©finir clairement les prioritĂ©s.

Pour réussir à exécuter n’importe quelle stratégie, les dirigeants doivent prendre des milliers de décisions tactiques et les mettre en œuvre. Mais toutes les méthodes ne se valent pas. Dans la plupart des cas, il faut prendre quelques mesures clés au bon moment et de la bonne façon pour atteindre la performance attendue. Les entreprises leaders sur leurs marchés font en sorte que ces priorités soient sans équivoque afin que chaque manager ait une idée claire de la direction vers laquelle il doit orienter ses efforts.

Lewis Campbell, P-DG de Textron jusqu’en 2009, rĂ©sumait l’approche de sa sociĂ©tĂ© de la façon suivante : « Tout le monde a besoin de se dire : “Si je n’ai qu’une heure de travail devant moi, voici ce sur quoi je vais me concentrer.” Notre mĂ©thode pour atteindre un objectif clarifie les responsabilitĂ©s et les prioritĂ©s de chacun. Â» Le gĂ©ant pharmaceutique suisse Roche va mĂŞme jusqu’à transformer ses business plans en contrats de performance dĂ©taillĂ©s, qui spĂ©cifient clairement les Ă©tapes nĂ©cessaires et les risques qui doivent ĂŞtre pris en considĂ©ration pour rĂ©aliser les plans. Ces contrats comprennent tous un « programme d’exĂ©cution Â» qui rĂ©pertorie les cinq Ă  dix prioritĂ©s essentielles ayant le plus d’impact sur les performances.

Règle 6 : ContrĂ´ler en permanence la performance.

Les cadres chevronnés savent presque instinctivement si une entreprise a demandé trop, trop peu ou juste assez de ressources pour atteindre ses objectifs. Ils acquièrent cette capacité au fil du temps, essentiellement de manière empirique. Les entreprises performantes utilisent le suivi de la performance en temps réel pour aider à accélérer ce processus empirique. Ils surveillent continuellement le déploiement des ressources et leurs résultats par rapport au plan, en se servant de feed-backs continus pour corriger les hypothèses de planification et réaffecter les ressources. Cette information en temps réel permet au top management de repérer et de remédier aux failles du plan et aux lacunes d’exécution (et d’éviter de confondre les unes avec les autres).

Le suivi continu de la performance est particulièrement important dans les secteurs d’activité très instables, dans lesquels les événements qui sont hors de notre contrôle peuvent mettre à mal la pertinence d’un plan. Pendant le mandat du P-DG Alan Mulally (jusqu’en 2006), l’équipe de direction de Boeing Commercial Airplanes (BCA) organisait des revues de performance hebdomadaires pour suivre les résultats de la division par rapport à son plan pluriannuel. En suivant le déploiement des ressources comme un indicateur avancé de l’efficacité d’exécution d’un plan, l’équipe de direction de BCA pouvait procéder à des corrections chaque semaine plutôt que d’attendre la parution des résultats trimestriels.

En outre, en contrĂ´lant de façon proactive les principaux moteurs de la performance (comme les schĂ©mas d’affluence des passagers, le rendement de la compagnie aĂ©rienne, les facteurs de charge ou les nouvelles commandes d’avions), BCA est plus Ă  mĂŞme de dĂ©velopper et de prendre des contre-mesures efficaces lorsque les Ă©vĂ©nements remettent en question ses plans. Pendant l’épidĂ©mie de SRAS fin 2002, par exemple, l’équipe de direction de BCA a pris des mesures pour attĂ©nuer les consĂ©quences nĂ©fastes de la maladie sur le plan d’exploitation de l’entreprise une semaine seulement après son apparition. La baisse brutale du trafic aĂ©rien Ă  Hong Kong, Singapour et d’autres pĂ´les Ă©conomiques asiatiques indiquait que le nombre de livraisons d’avions dans la rĂ©gion diminuerait peut-ĂŞtre de façon plus prĂ©cipitĂ©e que prĂ©vue. Par consĂ©quent, BCA a rĂ©duit ses plans de production Ă  moyen terme (en remettant Ă  plus tard la montĂ©e en cadence de certains programmes ou en accĂ©lĂ©rant l’arrĂŞt de certains autres) et elle a ajustĂ© son plan d’exploitation pluriannuel afin d’anticiper l’impact financier de l’évĂ©nement.

Règle 7 : RĂ©compenser et dĂ©velopper les capacitĂ©s d’exĂ©cution.

Aucune liste de règles sur le sujet ne saurait ĂŞtre aboutie sans rappeler que les entreprises doivent motiver et faire Ă©voluer leurs troupes. En fin de compte, aucun procĂ©dĂ© ne peut ĂŞtre plus performant que les gens qui doivent le mettre en Ĺ“uvre. Sans surprise, donc, la plupart des entreprises que nous avons Ă©tudiĂ©es ont insistĂ© sur le fait que la sĂ©lection et l’évolution des Ă©quipes managĂ©riales Ă©taient des ingrĂ©dients essentiels de leur rĂ©ussite. Si amĂ©liorer les compĂ©tences du personnel d’une entreprise n’est pas chose aisĂ©e – cela prend souvent de nombreuses annĂ©es â€“ ces capacitĂ©s, une fois acquises, conduisent Ă  une planification et Ă  une mise en Ĺ“uvre de qualitĂ© supĂ©rieure pendant des dĂ©cennies.

Pour Bob Diamond, de Barclays, rien n’est plus important que de « veiller Ă  ce que [la sociĂ©tĂ©] ne recrute que des collaborateurs de haut vol Â». Selon lui, « les coĂ»ts cachĂ©s de mauvaises dĂ©cisions de recrutement sont Ă©normes, c’est pourquoi, mĂŞme si nous doublons de volume, en tant que dirigeants, nous insistons pour assumer la responsabilitĂ© de toutes les embauches. L’avis de vos pairs est le jugement le plus intransigeant, donc nous examinons rĂ©ciproquement les candidats que nous envisageons de recruter et nous nous mettons les uns les autres au dĂ©fi de placer la barre toujours plus haut Â».

Il est tout aussi important de veiller Ă  ce que les talents recrutĂ©s soient rĂ©compensĂ©s si leurs performances sont excellentes. Pour renforcer ses valeurs fondamentales de « clientèle Â», de « mĂ©ritocratie Â», « d’équipe Â» et « d’intĂ©gritĂ© Â», Barclays Capital dispose de systèmes de rĂ©munĂ©ration innovants qui « encadrent Â» les rĂ©compenses. Les cadres exemplaires ne se retrouvent pas perdants si l’entreprise se lance sur de nouveaux marchĂ©s et engrange des rĂ©sultats plus modestes au cours de la phase de croissance. Et Bob Diamond d’ajouter : « Si vous ne donnez pas ce que vous avez promis Ă  ceux qui ont rempli leur part du contrat, cela a des effets nĂ©fastes sur la culture d’entreprise… Vous devez vous assurer que votre action est cohĂ©rente et Ă©quitable, Ă  moins que vous ne teniez Ă  perdre vos collaborateurs les plus productifs. Â»

Les entreprises les plus fortes en matière d’exĂ©cution sont aussi celles qui mettent l’accent sur le dĂ©veloppement. Peu de temps après avoir Ă©tĂ© nommĂ© Ă  la tĂŞte de 3M, Jim McNerney (qui en a Ă©tĂ© le P-DG jusqu’en 2005) et son comitĂ© de direction ont passĂ© 18 mois Ă  dĂ©battre d’un nouveau modèle de leadership pour l’entreprise. Des discussions animĂ©es entre les membres de la direction ont conduit Ă  un accord sur six « attributs du leadership Â», Ă  savoir la capacitĂ© Ă  « dĂ©finir la voie Ă  suivre Â», Ă  « mobiliser et inspirer les autres Â», Ă  « ĂŞtre porteur de l’éthique, de l’intĂ©gritĂ© et de la conformitĂ© Â», Ă  « produire des rĂ©sultats Â», Ă  « placer la barre toujours plus haut Â» et Ă  « innover avec ingĂ©niositĂ© Â». Le top management de 3M a convenu que ces six attributs Ă©taient essentiels pour que l’entreprise gagne en habiletĂ© d’exĂ©cution et soit vue comme une sociĂ©tĂ© responsable. Aujourd’hui, les dirigeants estiment que ce modèle a aidĂ© 3M Ă  maintenir et mĂŞme Ă  amĂ©liorer de façon cohĂ©rente ses bonnes performances.

Lorsque l’on rĂ©ussit Ă  combler le fossĂ© entre la stratĂ©gie et la performance, la rĂ©compense est Ă©levĂ©e : et cette rĂ©compense est, pour la plupart des entreprises, une hausse de la performance de 60 Ă  100 %. Ă€ cĂ´tĂ© de ce chiffre, les vrais avantages ont toujours tendance Ă  ĂŞtre sous-estimĂ©s. Les entreprises qui Ă©tablissent des liens Ă©troits entre leurs stratĂ©gies, leurs plans et, en fin de compte, leurs performances observent souvent un effet bĂ©nĂ©fique sur leur culture d’entreprise. Au fur et Ă  mesure qu’ils transforment leurs stratĂ©gies en d’excellentes performances, les dirigeants de ces organisations deviennent beaucoup plus confiants en leurs propres capacitĂ©s et beaucoup plus disposĂ©s Ă  prendre des engagements Ă  long terme qui inspirent et transforment ces grandes entreprises. Ă€ leur tour, les cadres qui tiennent leurs engagements sont rĂ©compensĂ©s (ascension professionnelle plus rapide et meilleure rĂ©munĂ©ration), ce qui affermit les comportements nĂ©cessaires pour faire avancer toute entreprise.Un jour, une culture de la surperformance finit par Ă©merger. En peu de temps, la rĂ©putation de l’entreprise finit par croĂ®tre, et naĂ®t un cercle vertueux dans lequel le talent engendre la performance, la performance engendre des rĂ©compenses et les rĂ©compenses engendrent l’épanouissement du talent. En bref, combler le fossĂ© entre stratĂ©gie et performance est non seulement une source d’amĂ©lioration immĂ©diate de la performance, mais aussi un important moteur de changement culturel, avec un impact significatif et durable sur les capacitĂ©s, les stratĂ©gies et la compĂ©titivitĂ© de l’organisation.