Considéré par beaucoup comme un Machiavel moderne, Robert Greene, auteur américain analyste des notions de pouvoir, de séduction et de manipulation, centre ses réflexions sur l’adaptation des plus grandes leçons historiques à la vie quotidienne, du monde de l’entreprise à la gestion des relations personnelles et professionnelles.
Le second ouvrage que nous abordons ici s’intéresse au développement personnel à proprement parler, et plus précisément aux différentes étapes validées par l’expérience historique des plus grands (Einstein, De Vinci, Edison, Darwin…) pour atteindre une parfaite maîtrise dans notre domaine de prédilection quel qu’il soit. En effet, Greene aime à rappeler que le talent et la créativité, s’ils peuvent être innés pour certains, ne sont rien sans discipline et cohérence dans leur formatage, et que le processus permettant de passer du novice au maître est un mouvement simple et accessible à tout un chacun. Son modèle en trois phases est similaire au modèle Dreyfus selon Andy Hunt qui définit le schéma de développement pour n’importe quelle compétence en trois étapes classiques : novice, débutant avancé, compétent. C’est ce que Greene appelle, pour sa part, l’apprentissage (étape la plus importante déclinée en 4 chapitres complets), la phase créative-active et la maîtrise.
L’apprentissage
1. DĂ©couvrir sa vocation
Ce que Greene nous en dit : Chacun possède une force intérieure qui le guide vers l’œuvre de sa vie – ce que l’on est censé accomplir pendant le temps que l’on a à vivre. Pendant l’enfance, cette force est facile à toucher du doigt. Elle oriente chacun vers des activités et des sujets correspondant à des penchants naturels et attirant une curiosité profonde et primale. Au fil des ans, cette force s’estompe et l’on écoute davantage ses parents et ses amis, tout en subissant l’usure des angoisses quotidiennes. On peut alors se tourmenter d’avoir perdu le lien avec ce que l’on est vraiment et avec ce qui rend chacun unique. La première étape vers la maîtrise est toujours intérieure : apprendre qui l’on est vraiment et renouer le contact avec cette force innée. Une fois ce point éclairci, on trouvera le chemin de carrière qui convient et tout le reste trouvera sa place. Il n’est jamais trop tard pour se lancer dans ce processus.
Ce qu’on en retient :
Comme Léonard de Vinci qui devint obsédé par les oiseaux, leur anatomie, leur mode de vie, leur habitat, et passa des mois à les observer et à dévorer traité sur traité les abordant, simplement pour pouvoir peindre des ailes d’ange réalistes pour un détail d’une œuvre biblique de Verrocchio, il faut découvrir la vocation qui vous permettra de vous livrer à la même obsession, au même dévouement, à la même passion.
Trois étapes pour découvrir sa vocation
Le processus de réalisation de l’œuvre de toute une vie comporte trois stades : d’abord, vous devez prendre ou reprendre contact avec vos penchants naturels, le sentiment de votre unicité. Ce premier stade est toujours intérieur. Cherchez dans votre passé les indices de cette petite voix, de cette force latente. Faites taire les bruits intempestifs émanant de vos parents et de vos proches. Détectez les schémas répétitifs sous-jacents, le cœur de votre personnalité qu’il vous faut comprendre de façon aussi profonde que possible.
Au second stade, une fois ce lien établi, analysez le chemin de carrière qui est le vôtre ou que vous êtes sur le point de parcourir. Le choix de ce chemin est critique, il exige éventuellement un changement de cap. Trop souvent, votre vie est marquée par une fracture : d’un côté, le travail, et de l’autre tout le reste, le plaisir, l’épanouissement, etc. Le travail nous permet de gagner l’argent que nous dépensons pendant l’autre partie de notre vie. Il arrive que même ceux qui aiment leur métier tendent à le séparer du reste de leur existence. C’est une attitude déprimante, étant donné le temps que nous consacrons à travailler. Si nous vivons ce temps comme quelque chose à subir pour atteindre le vrai plaisir, les longues heures consacrées à travailler représentent un gâchis tragique vu la brièveté de notre existence.
Au troisième stade, vous devez concevoir votre carrière ou votre chemin de vocation davantage comme un itinéraire sinueux que comme une ligne droite. Commencez par choisir un domaine ou un poste qui correspondent à peu près à vos inclinations. Ce poste initial vous donne la place de manœuvrer et la possibilité d’acquérir d’importantes compétences. Abstenez-vous de choisir quelque chose de trop ambitieux : qu’il vous suffise initialement de gagner votre vie et de prendre confiance en vous-même. Une fois sur ce chemin, vous découvrirez des carrefours conduisant soit à un avenir qui vous attire, soit à des activités qui vous laissent de marbre. Adaptez-vous et orientez-vous éventuellement vers un domaine voisin, tout en continuant à apprendre sur vous-même et à développer votre base de compétences. Comme Léonard de Vinci, assimilez ce que vous faites en travaillant pour les autres.
Vous finirez par trébucher sur l’opportunité, le domaine ou le créneau qui conviennent à la perfection. Vous le reconnaîtrez aisément car vous y retrouverez votre émerveillement et votre passion d’enfant. Vous sentirez que vous êtes à votre place et tout le reste s’ajustera en conséquence. Vous apprendrez plus vite et plus en profondeur. Votre qualification professionnelle atteindra un point où vous pourrez revendiquer votre indépendance par rapport au groupe dans lequel vous travaillez, et vous pourrez vous installer à votre compte. Dans un monde où il y a tant d’éléments qui nous échappent ou nous dépassent, vous aurez acquis une forme suprême de pouvoir. Vous choisirez votre style de vie.
5 stratégies pour découvrir l’œuvre de toute une vie
Revenir à ses origines — la stratégie de l’inclination primale : pour la plupart des maîtres, le penchant vers une discipline ou une activité s’est présenté dès le plus jeune âge. Remémorez-vous ce qui obsédait lorsque vous étiez plus jeune.
Occuper le créneau idéal — la stratégie darwinienne : trouvez le point où vos centres d’intérêts s’alignent avec vos objectifs pour identifier quelle niche particulière vous pourriez dominer.
Éviter les voies sans issue — la stratégie de la rébellion : nous sommes attirés par certains domaines pour de mauvaises raisons, comme l’argent, la gloire, ou l’influence familiales et la pression parentale. Rebellez-vous contre ces forces extérieures et soyez honnête quant à votre définition de la réussite.
Se libérer du passé — la stratégie de l’adaptation : refusez de vous trouver enchaîné à un poste, à un plan, et rejetez le prétexte fallacieux de la persévérance comme excuse à la stagnation dans une dynamique qui ne vous convient pas.
Trouver le chemin du retour — jouer son va-tout : vous serez tenté de dévier du chemin établi dans votre poursuite de la maîtrise, et cela arrivera sûrement. N’oubliez pas que cette déviation n’est pas définitive et que le chemin sera toujours disponible pour y revenir.
2. Se soumettre à la réalité : l’apprentissage idéal
Ce que Greene nous en dit : Après les études, on entre dans la phase la plus critique de son existence : une deuxième éducation, sur le terrain cette fois, appelée apprentissage. Chaque fois que l’on change de carrière ou que l’on acquiert de nouvelles compétences, on entre dans une nouvelle phase de son existence. Les pièges ne manquent pas. Si l’on n’y prend pas garde, on cède aux doutes, on s’embrouille dans des questions affectives et des conflits qui dominent nos pensées ; on traîne toute sa vie des peurs et des difficultés d’apprentissage. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut apprendre les leçons et suivre le chemin tracé par les grands maîtres du passé et du présent : une sorte d’apprentissage idéal qui transcende tous les domaines. Ce faisant, on acquiert les compétences nécessaires, la discipline de l’esprit et l’indépendance de pensée, qui préparent aux défis créatifs sur le chemin de la maîtrise.
Ce qu’on en retient :
Comme Darwin qui rata ses études de médecine (il ne supportait pas la vue du sang) et les diverses positions ecclésiastiques assurées par son père pour finalement s’embarquer comme naturaliste sur le Beagle contre l’avis de celui-ci pour suivre son amour de la nature et du grand air, intégrez le fait que le but d’un apprentissage n’est ni l’argent, ni la position sociale, ni un titre ou un diplôme quelconques, mais la transformation de votre esprit et de votre caractère vers une vraie maîtrise. Cela signifie que vos choix professionnels comme géographiques doivent être définis en fonction des possibilités d’apprendre qu’ils entraînent, et non des récompenses matérielles qui leur sont liées.
Les trois étapes de la phase d’apprentissage
Première étape : l’observation attentive — mode passif
La pire erreur que l’on puisse commettre pendant les premiers mois d’apprentissage, c’est de croire qu’il faut attirer l’attention, impressionner les gens et s’affirmer. Ce type d’attitude encombre l’esprit et le ferme à la réalité. On commence par observer ceux qui réussissent dans notre domaine et on tente de saisir les règles et les stratégies en les étudiant.
Deuxième étape : l’acquisition de connaissances — mode pratique
D’abord, il est vital de commencer par une compétence que vous maîtrisez déjà , et qui servira de base à l’acquisition des autres. Vous devez bannir de votre esprit l’idée que vous pouvez apprendre plusieurs compétences en même temps. Vous devez développer votre capacité de concentration, et comprendre que le fait de courir plusieurs lièvres à la fois démolira le processus. Ensuite, les phases initiales de l’apprentissage ont toujours quelque chose de fastidieux. Alors, plutôt que de fuir les répétitions lassantes, vous devez les accepter et les assumer. Les moments rebutants, inhérents au début de tout apprentissage, aguerrissent l’esprit, comme l’exercice physique par exemple. Trop de gens croient que tout doit être agréable dans la vie, cela les conduit à rechercher en permanence des distractions et court-circuite leur processus d’apprentissage. Greene insiste sur l’importance de la concentration et de la répétition, qui permet de reprogrammer les zones de notre cerveau dédiées à l’activité concernée. Il estime à 10 000 heures le temps minimal nécessaire à la maîtrise de toute discipline.
Troisième étape : l’expérimentation — mode actif
Au fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles compétences et connaissances, il est impératif de les mettre en application et de se les approprier, d’expérimenter concrètement le savoir appris, afin de se créer ses propres règles.
7 stratégies fondamentales pour optimiser son processus d’apprentissage
Gagner moins pour apprendre plus : Comme Einstein qui travaillait à un poste subalterne peu exigeant au Bureau des Brevets afin de conserver temps et énergie pour ses propres recherches, apprenez à vous contenter de peu matériellement et ménagez-vous du temps pour apprendre le plus possible.
Élargir ses horizons : Rencontrez le plus de personnes différentes possible, et dès que vous sentez que vous vous installez dans un cercle confortable, forcez-vous à chercher de nouveaux défis et à secouer votre routine.
Retrouver un sentiment d’infériorité : Au moment où l’on pense maîtriser quelque chose, on cesse d’apprendre. Il faut conserver l’état d’esprit de l’apprenti tout au long de notre vie, et nous souvenir qu’il y a toujours plus à apprendre.
Faire confiance au processus : La maîtrise prend du temps. Tant que vous continuez d’apprendre, vous avancez vers elle.
Aller au-devant de la souffrance et de la résistance : Dès que l’on devient « bon » à quelque chose, on a tendance à s’y prélasser parce que c’est facile et familier. Suivez le chemin de la résistance en vous imposant de vrais défis, en vous confrontant à vos points faibles pour les dominer.
Apprendre de ses échecs : Quand un appareil tombe en panne, c’est la pièce défectueuse qui nous montre où il pourrait être amélioré. Traitez vos échecs de la même façon, comme des opportunités d’amélioration.
Expérimentez, toujours : Ne vous contentez pas d’apprendre les recettes et le nom des outils, utilisez-les. Et ne restez pas bloqué sur une voie figée, mais essayez sans cesse de nouvelles approches.
3. Absorber le pouvoir des maîtres : la dynamique du mentor
Ce que Greene nous en dit : La vie est courte : on ne dispose que d’un temps limité pour apprendre et faire preuve de créativité. Sans encadrement, on peut perdre de précieuses années en glanant de la connaissance et de la pratique auprès de différentes sources. Mieux vaut suivre l’exemple des maîtres de tous les temps et trouver le mentor idoine. La relation entre un mentor et son protégé est la forme d’apprentissage la plus efficace et la plus féconde. Un mentor digne de ce nom sait comment lancer des défis à son protégé, et lui apprendre à se concentrer. On assiste à un transfert de connaissances et d’expérience. Le mentor juge de façon immédiate et réaliste le travail de l’élève, qui peut ainsi s’améliorer rapidement
Ce qu’on en retient :
Pour apprendre, il faut de l’humilité. On doit admettre qu’il existe, dans chaque domaine, des gens qui en savent plus que soi. Leur supériorité ne découle pas de leurs talents ni de leurs privilèges, mais de leur expérience, et leur autorité de leur maîtrise. Si l’on refuse cette évidence, et que l’on conteste toute forme d’autorité, on en conclut à tort que l’on peut aussi facilement apprendre tout seul et que seul l’autodidacte est authentique. Même si nous avons des enseignants, nous avons tendance à ne pas tenir entièrement compte de leurs conseils, et nous préférons souvent faire les choses à notre façon. Nous allons jusqu’à croire que le fait de critiquer les maîtres est preuve d’intelligence, et qu’en se montrant docile, on fait preuve de faiblesse. Pourtant, en reconnaissant le besoin d’enseignement, on n’abandonne nullement sa dignité, on assume simplement une situation provisoire de faiblesse, que le mentor peut nous aider à surmonter. La raison pour laquelle vous avez besoin d’un mentor est simple : la vie est courte. Les ressources à votre disposition sont limitées en temps et en énergie. Vous pouvez certes accomplir votre apprentissage grâce à des livres, à votre expérience personnelle et à des conseils glanés au hasard, mais ce processus est empirique, et vous ne trouverez pas, dans les livres, d’informations adaptées à votre situation et à votre cas particulier. On peut certes apprendre par soi-même, mais il faut souvent des années pour comprendre en profondeur le sens des choses. Il est toujours possible de pratiquer seul, mais on risque de ne pas avoir de norme ou d’étalon pour se juger de façon objective. Les mentors ne constituent pas un raccourci, mais ils permettent de procéder de façon méthodique. Leurs connaissances et leur expérience deviennent les vôtres. Ils peuvent vous éviter de commettre des erreurs et de vous engager inutilement dans des impasses. Ils voient comment vous vous débrouillez et réagissent en temps réel, ce qui rend votre entraînement d’autant plus efficace. Leurs conseils sont adaptés à votre situation et à vos besoins. Ce qui vous aurait pris dix ans tout seul, vous l’apprendrez en cinq ans si vous êtes bien encadré.
Mais on a beau se soumettre à l’autorité d’un mentor pour assimiler ses pouvoirs au plus haut niveau, on ne doit pas pour autant demeurer passif pour y arriver. Il est important de choisir son mentor en fonction de ses propres besoins et inclinations, d’accueillir avec bienveillance ses critiques constructives, de s’approprier ses idées et de les adapter à sa propre perception pour ne pas se contenter de l’imiter mais viser à le dépasser.
4. Voir les gens tels qu’ils sont : l’intelligence relationnelle
Ce que Greene nous en dit : Le principal obstacle dans la quête de la maîtrise est souvent l’usure affective causée par la résistance et les manipulations de notre entourage. Si nous n’y prenons pas garde, notre esprit s’emberlificote dans une suite ininterrompue d’intrigues politiques et de chamailleries. Le principal problème que nous affrontons sur le plan relationnel est la naïveté avec laquelle nous projetons sur les gens nos besoins affectifs et nos désirs du moment. Nous interprétons mal leurs intentions et nos réactions créent confusion et conflits. L’intelligence relationnelle est la capacité à voir les gens sous un jour aussi réaliste que possible. En dépassant notre égocentrisme inné, nous apprenons à nous focaliser en profondeur sur les autres, à décrypter leur comportement du moment, à percevoir ce qui les motive et à démasquer toute tentative de manipulation. En évoluant sans heurts au sein de notre environnement humain, nous avons davantage de temps et d’énergie pour nous concentrer sur l’apprentissage et l’acquisition de compétences. Les succès que nous obtenons sans cette intelligence ne constituent pas une vraie maîtrise, et ne durent pas.
Ce qu’on en retient :
Greene sépare la connaissance de l’autre en deux orientations : la connaissance spécifique de la nature humaine, c’est-à -dire la capacité à comprendre l’individu, et la connaissance générale, c’est-à -dire l’accumulation de savoir quant aux schémas récurrents des comportements et modes de pensée humains, principalement les défauts.
La connaissance spécifique exige de se distancier du discours des gens et de prêter plutôt attention à leur ton, leur langage corporel, afin de distinguer les émotions qui les animent qui ne passent pas verbalement. La connaissance générale consiste à voir les gens tels qu’ils sont réellement, sans les idéaliser ou les diaboliser, mais en identifiant lesquelles des « 7 réalités qui tuent » les animent : envie, conformisme, rigidité, nombrilisme, paresse, versatilité, agressivité passive sont tous des traits de caractère présents en chacun de nous en diverses proportions et qui influent bien plus que nous l’admettons sur l’ensemble de nos décisions et comportements relationnels.
4 stratégies pour acquérir l’intelligence relationnelle
Faire parler son travail : Lorsqu’on est confronté à des pressions ou des manœuvres au sein de son groupe, il faut garder la tête froide et refuser de se laisser consumer par la mesquinerie. En restant concentré et laissant votre travail parler pour vous, vous continuerez à apprendre tout en vous distinguant de ceux qui parlent beaucoup mais n’accomplissent rien.
Se donner l’image qui convient : Il ne faut pas voir les notions de “personnage” et de “masque” sociaux comme de l’hypocrise ou de la manipulation. Ce sont des phénomènes normaux et inévitables dans l’arène sociale, il est donc juste d’en tenir compte et de l’utiliser à son avantage, en affichant une personnalité attirante et fiable.
Se voir tel que les autres nous voient : Nous avons tous des défauts sociaux (trop bavard, impatient, inattentif…) qui vont d’inoffensifs à potentiellement désastreux. Il est important de faire taire notre ego et de les reconnaître, pour pouvoir les garder sous contrôle voire en faire une force, une spécificité, ou les neutraliser, par l’humour ou l’humilité.
Supporter la bêtise : Lorsqu’on a à faire avec des personnes que nous considérons comme des imbéciles ou à des réactions que nous trouvons stupides, il est important de se souvenir que nous aussi avons parfois des réactions ou habitudes que d’autres trouvent stupides. En reconnaissant ce travers et sa subjectivité, on évite la tâche vaine de tenter de les changer et on apprend à les tolérer, voire à s’en amuser avec bienveillance ou, à tout le moins, indifférence.
La phase créative-active
5. Redimensionner son esprit en devenant créatif-actif
Ce que Greene nous en dit : Au fur et à mesure que l’on acquiert des compétences et que l’on intègre les règles de son milieu, on souhaite devenir plus autonome et suivre davantage ses propres inclinations. Les obstacles qui empêchent cette dynamique créative naturelle de s’épanouir ne relèvent pas d’un manque de talent, mais d’une attitude inadaptée. Quand on s’inquiète inutilement, on a tendance à adopter des opinions toutes faites, en s’intégrant au groupe et en appliquant les procédures que l’on a apprises. Mais c’est le contraire de ce à quoi on doit tendre. En sortant de la phase d’apprentissage, il faut devenir plus audacieux. Au lieu d’être satisfait de ce que l’on connaît, on doit étendre le champ de son savoir à des domaines voisins et nourrir son esprit pour qu’il crée de nouvelles associations entre des idées différentes. On doit prendre des risques et étudier les problèmes sous tous les angles possibles. En acquérant une pensée plus souple, on parvient à distinguer des aspects de plus en plus divers de la réalité. Au bout du compte, on se retourne contre les règles mêmes que l’on a intégrées en les reformulant à sa convenance. C’est cette liberté qui conduit aux sommets du pouvoir.
Ce qu’on en retient :
Comme Mozart, qui après vingt ans d’apprentissage et d’impression de ne jouer et de ne composer, même à la perfection, que la « musique des autres », se brouilla avec son entourage et se livra corps et âme à sa passion de l’opéra, il s’agit de se libérer des routines acquises et de laisser libre cours à son audace.
3 étapes pour cheminer dans le processus créatif
Première étape : la tâche créative
La tâche sur laquelle vous choisissez de travailler doit avoir un côté obsessionnel. Chez Mozart, ce n’était pas la musique en général, mais l’opéra. C’est l’engagement affectif dans ce que vous faites qui déterminera votre succès. Avec un intérêt aussi viscéral, vous pouvez survivre à tous les échecs, à de longs mois de travail fastidieux, à la difficulté indissociable de l’action créatrice. Vous pouvez ignorer ceux qui sèment le doute et la critique. Vous vous sentez personnellement impliqué dans la résolution du problème et vous ne connaissez pas le repos tant que ce n’est pas fait.
Deux avertissements cependant : en premier lieu, la tâche que vous vous fixez doit être réaliste. Pour réaliser votre but, il vous faudra peut-être apprendre quelques nouvelles choses, mais vous devez avoir la maîtrise de vos bases et posséder une connaissance du domaine suffisamment solide pour que votre esprit puisse se concentrer sur les thèmes les plus avancés.
En second lieu, il faut renoncer à tout espoir de confort et de sécurité. Les efforts créatifs sont par nature risqués. Si vous vous inquiétez de ce que vont penser les autres ou des conséquences sur la place que vous occupez dans le groupe, si vous pratiquez l’autocensure en fonction des conventions en vigueur, les idées dont vous accoucherez seront ternes et molles. Si vous avez peur de l’échec, ou d’une période d’instabilité mentale et financière, votre manque de confiance se retrouvera dans les résultats. Pensez comme un explorateur : vous ne découvrirez rien de nouveau si vous refusez de quitter la côte.
Deuxième étape : les stratégies de création
L’esprit est comme un muscle qui s’atrophie s’il n’est pas utilisé. Il y a deux causes à cela : premièrement, nous préférons cultiver toujours les mêmes pensées et la même façon de réfléchir car cela nous donne un sentiment de permanence et de familiarité. Le fait de pratiquer les mêmes méthodes nous épargne bien des efforts. Deuxièmement, plus nous progressons dans la tâche créatrice, moins nous tenons compte d’éventuelles alternatives et points de vue différents. Cette tendance au laisser-aller est universelle, mieux vaut ne pas l’ignorer. Son seul antidote est de mettre en place des stratégies qui libèrent l’esprit et notamment :
– Cultiver la capacitĂ© nĂ©gative, c’est-Ă -dire accueillir et supporter l’incertitude lorsque nous nous enferrons dans l’habitude
– Laisser place Ă la sĂ©rendipitĂ©, c’est-Ă -dire Ă l’aptitude Ă percevoir les dĂ©couvertes inattendues et Ă en tirer le meilleur, comme Pasteur le fit pour le vaccin contre la rage en utilisant un phĂ©nomène dĂ©couvert par hasard
– Faire alterner la provenance de nos pensĂ©es entre ce que nous percevons et nos pensĂ©es profondes, c’est-Ă -dire accorder autant de valeur Ă l’empirisme qu’à la pensĂ©e purement thĂ©orique, et les confronter
– Changer de point de vue, en tentant toujours de percevoir problèmes et rĂ©flexions sous diffĂ©rents angles, du gĂ©nĂ©ral au dĂ©tail, du prĂ©sent Ă l’absent, du pourquoi au comment.
– Revenir aux formes primales de l’intelligence, en pensant plus loin que le langage et en tenant compte du non verbal, du visuel, du perçu.
Troisième étape : la percée créative
Quand nous nous consacrons de façon obsessionnelle à la résolution d’un seul problème, nous nous y étouffons jusqu’à parvenir à un point de blocage. Nous nous disons que tout cela ne mène à rien. Des moments pareils signalent au cerveau qu’il doit s’abandonner pour une période aussi longue que nécessaire, et la plupart des gens créatifs acceptent cela. Quand nous lâchons prise, les idées et leurs associations continuent à mûrir dans notre subconscient. Une fois délivré de la sensation d’étouffement, le cerveau peut revenir au sentiment initial de passion et de vivacité, puissamment renforcé par la somme de travail fourni. Le cerveau peut alors parvenir à une synthèse nouvelle, qui demeurait inaccessible tant que la concentration restait à son paroxysme. Le secret est de rendre ce processus conscient en admettant l’importance et l’utilité de la frustration et des obstacles rencontrés.
Certains de ces obstacles nous menacent d’ailleurs de l’intérieur : complaisance, dépendance (envers nos mentors par exemple), impatience, égotisme, inflexibilité sont autant de pièges à éviter dans la phase créative-active.
9 stratégies pour renforcer la phase créative-active
La voix authentique : Le plus grand obstacle à la créativité est l’impatience. Mais pour trouver son propre langage, encore faut-il en maîtriser le vocabulaire d’origine. Quiconque passe dix ans à s’imprégner des techniques et des règles de son domaine, les explore, les répète, et les personnalise, trouve nécessairement à exprimer sa voix de façon authentique.
La moisson abondante :Mieux vaut se pencher sur dix faits insolites, dont un seul conduira à une grande découverte, qu’étudier vingt idées porteuses de succès, mais aux conséquences insignifiantes. Soyez vigilant, toujours à la recherche d’une anomalie exceptionnelle.
L’intelligence mécanique : Au bout du compte, c’est par la maîtrise supérieure du métier que vous l’emporterez, et non avec des arguments commerciaux. La maîtrise technique (même dans le domaine des idées) est une forme supérieure de créativité.
Les pouvoirs naturels : Donnez à l’imagination le temps de rêver et de vagabonder, pour démarrer de façon floue et totalement ouverte. Laissez le projet s’associer à des émotions puissantes, qui surgissent naturellement quand vous vous concentrez sur vos idées. Il est toujours facile de préciser ces dernières ultérieurement et de rendre le projet de plus en plus réaliste et rationnel. Mais si dès le début, vous vous sentez soumis aux pressions du financement, de la concurrence, de l’avis du premier venu, vous bloquez les capacités d’association du cerveau et effacez de cette tâche toute trace de joie.
Le champ libre : ne confondez pas nouveauté avec spontanéité échevelée. Rien n’apparaît plus rapidement répétitif et lassant que l’expression libre, quand elle n’est pas fondée sur la réalité et la discipline. Apportez à votre idée nouvelle toute la connaissance que vous avez de votre domaine, en vous donnant le champ libre pour implanter quelque chose de neuf mais cohérent.
Le haut de gamme : Votre projet du moment doit toujours être inscrit dans quelque chose de plus grand : une question plus vaste, un objectif à long terme. Dès que votre travail commence à vous étouffer, reprenez de l’altitude et rappelez-vous le but initial. En vous remettant continuellement dans le contexte général, vous éviterez de vous enliser dans la technique pour la technique.
Le détournement évolutionniste : La véritable créativité est inscrite dans nos gènes, issue de notre ouverture d’esprit et de notre adaptabilité en tant qu’espèce. Quand nous tombons sur quelque chose de nouveau, il nous faut être capables de l’étudier sous différents angles et d’y discerner le potentiel caché en plus de ce qui est évident, comme le faisaient nos ancêtres.
La pensée redimensionnée :Ne nous pressons pas. Privilégions l’approche globale. Observons notre objet d’étude sous autant d’angles possibles, donnant à notre pensée des dimensions nouvelles. Sachons que les parties d’un tout réagissent les unes sur les autres, et ne sauraient être totalement séparées.
L’alchimie de la créativité et de l’inconscient : Pour penser de façon créative, il faut explorer activement les parties inconscientes et contradictoires de notre personnalité et rechercher des tensions et des contradictions analogues dans le monde en général.
La Maîtrise
6. Fusionner l’intuitif et le rationnel : la maîtrise
Ce que Greene nous en dit : Nous avons tous accès à une forme d’intelligence qui nous permet de mieux voir le monde, de prévoir les tendances et de réagir avec agilité et précision en toutes circonstances. Cette intelligence se cultive en s’immergeant dans un domaine d’étude et en restant fidèle à ses propres inclinations, aussi incongru que cela paraisse à nos contemporains. Par immersion intense pendant de longues années, nous intégrons et nous acquérons une perception intuitive des éléments complexes de notre domaine. Quand nous avons cette perception intuitive des processus rationnels, nous élargissons les limites de notre esprit et de notre potentiel et nous touchons au cœur secret de la vie même. Nous obtenons des pouvoirs comparables avec la force et la vitesse instinctive des animaux, mais couronnés par la conscience humaine. Notre cerveau est fait pour ça, et il nous conduit naturellement à ce type d’intelligence si nous suivons nos inclinations jusqu’au bout.
Ce qu’on en retient :
D’Einstein à Proust, tous les grands maîtres d’une discipline décrivent la même sensation de vision supérieure. Ils parviennent à saisir en un éclair l’entièreté d’une situation grâce à une image ou une idée, ou à une combinaison des deux. Ils font alors l’expérience de ce qu’est la puissance de l’intuition. Curieusement, cette forme d’intelligence est soit ignorée, soit attribuée au génie et à la génétique, soit enfin écartée comme relevant des domaines de la mystique ou de l’occulte. Certains cherchent même à discréditer de façon générale ce type de pouvoir, affirmant que les maîtres exagèrent leur expérience et que cette « vision supérieure » doit être une forme de pensée rationnelle, cartésienne, soit un peu plus rapide que les autres, soit tout bonnement miraculeuse. Elle est pourtant à la fois le signe et la condition sine qua non de la maîtrise. Et lorsqu’elle ne vient pas spontanément, certaines stratégies peuvent permettre de s’en approcher et surtout, d’atteindre le « facteur x », cette décision unique qui va faire basculer la vision vers son accomplissement.
Stratégies pour atteindre la vraie maîtrise
Être branché sur son milieu — les pouvoirs primaux : La capacité à se connecter à son environnement est la forme de maîtrise la plus primale et peut-être la plus puissante que le cerveau puisse atteindre. Les outils virtuels que nous utilisons aujourd’hui doivent rester cela, des outils, et ne pas abrutir notre cerveau ni nos sens.
Jouer sur ses points forts — la concentration ultime : La maîtrise est comme la natation : il est trop difficile de s’en approcher lorsque nous créons notre propre résistance ou que nous nageons à contre-courant. Il faut connaître ses points forts et abonder dans leur sens.
Se transformer par la pratique — le développement du doigté : Quand on acquiert une technique complexe, on est tenu de maîtriser une série d’automatismes qui se complètent les uns les autres. Chaque fois qu’une action devient automatique, l’esprit se libère pour se focaliser sur quelque chose de plus élevé. À la fin du processus, quand nous n’avons plus de techniques de base à apprendre, le cerveau a assimilé une quantité inouïe d’informations qui se sont gravées dans notre système nerveux. L’ensemble des tâches est désormais intégré en nous et nos gestes s’enchaînent parfaitement.
Intégrer les détails — la force vitale : La plupart des gens n’ont pas la patience d’assimiler les nuances minutieuses qui font intrinsèquement partie de leur travail. Ils veulent simplement obtenir des effets superficiels, et faire sensation. Leur travail trahit leur manque d’attention aux détails : il n’établit pas de lien profond avec le public, il est peu convaincant. S’il attire l’attention, c’est de façon fugace. Nous devons considérer ce que nous produisons comme ayant une vie et une présence en soi, vibrante et viscérale. Un personnage de roman par exemple ne prend vie pour le lecteur que si l’auteur s’est donné le mal d’imaginer les détails de son tempérament. En considérant notre travail comme quelque chose de vivant, notre chemin vers la maîtrise consiste à étudier et intégrer ces détails de façon universelle.
Élargir son champ visuel — la perspective globale : Dans tout environnement concurrentiel où il y a des gagnants et des perdants, la personne qui a la perspective la plus large, la plus globale l’emporte, parce qu’elle est capable de prendre du recul en gardant à l’esprit la portée universelle de son travail et pas seulement son influence immédiate et ses résultats.
Se soumettre à l’autre — le retournement de perspective : on ne peut jamais refaire exactement l’expérience de quelqu’un d’autre. Mais la source primale de l’intelligence humaine est le développement des neurones miroirs qui nous donnent la capacité de nous mettre à la place de l’autre et d’imaginer son expérience, autrement dit la véritable empathie. En le côtoyant en permanence et en essayant de penser à travers lui, on améliore la perception de son point de vue, élargissant encore ainsi le nôtre.
Greene conclut sur les notions de synthèse des savoirs et d’homme universel. Certains aspects des technologies modernes nous offrent des moyens inédits pour établir des liens entre les domaines et les idées. Les barrières artificielles dressées entre les arts et les sciences peuvent se dissoudre sous l’ardeur à connaître et à exprimer notre réalité commune. De toutes les façons possibles, il faut s’efforcer de faire partie de ce processus d’universalisation et d’étendre ses connaissances à des branches de plus en plus diverses. Nous en serons récompensés par la richesse des idées qui naîtront au fil de cette quête.