Partager

La France est connue pour la complexitĂ© de son administration. On surnomme notre systĂšme : le « millefeuille administratif Â». Un jeu de mots ironique, bien sĂ»r, et qui fait rarement rire, car beaucoup de dĂ©cisions arbitraires y sont indigestes, tandis que les dĂ©marches y sont trĂšs floues, pour les utilisateurs.

Retrouvez dans cet article :

Introduction

I – Le contrat Madelin & le professionnel exerçant en libĂ©ral

II – Le dispositif Madelin : une autoroute Ă  pĂ©age

  • Un cas d’école
  • La boucle est bouclĂ©e
  • Zoom sur les assurances

III – La lĂ©galitĂ© ne rĂ©pond pas toujours Ă  la justice

Le cas particulier des chirurgiens-dentistes (et des sage-femmes) : la CARCDSF

Conclusion

Introduction

L’univers lĂ©gal et juridique est censĂ© mettre en relation les dispositions des lĂ©gislateurs, d’un cĂŽtĂ©, et les bĂ©nĂ©ficiaires des lois de l’autre. Cette rĂ©fĂ©rence aux multiples couches du systĂšme administratif, met en Ă©vidence le fait que la transparence n’y est pas de mise ; tout y est ramifiĂ© et superposĂ©, formant un ensemble tellement complexe qu’il semble codĂ©.

Pour le travailleur libĂ©ral, qui a la tĂąche (s’il ne veut pas se faire avaler par ce monstre des profondeurs), de se renseigner, et de comprendre Ă  quoi reviennent ses obligations et comment sont dĂ©fendus ses droits, entrer dans le millefeuille administratif revient Ă  descendre dans un labyrinthe qui comporte plusieurs Ă©tages. Chaque couche supĂ©rieure cache un Ă©tage infĂ©rieur, plus opaque. On en arrive au point que mĂȘme ce qui doit nous protĂ©ger peut nous nuire. Ce qu’on nous accorde d’une main, on nous le retire de l’autre, avant qu’on ait eu le temps de comprendre comment.

Il s’agit d’un constat que peuvent dresser les libĂ©raux, bien souvent. Tout rĂ©cemment encore, nous avons dĂ©couvert un dĂ©tour du labyrinthe dont il est difficile de croire qu’il fasse partie du monde rĂ©el. C’est pourtant le cas. Il y a donc un abysse, parfois, entre ce qui est lĂ©gal et ce qui est juste, et il y a une diffĂ©rence Ă©norme entre la façon dont sont traitĂ©s, dans notre systĂšme, les travailleurs salariĂ©s et les travailleurs non-salariĂ©s.

Cet article intĂ©ressera particuliĂšrement ces derniers, les professionnels exerçant en libĂ©ral, les professionnels de santĂ©, et en l’occurrence, les chirurgiens-dentistes.

Penchons-nous ensemble sur ce cas d’école. Loin des images lyriques choisies en introduction, la situation que nous allons Ă©tudier tĂ©moigne d’un quotidien extrĂȘmement rude, aux prises avec les rouages d’un systĂšme abusif, qui questionne tous les jours nos capacitĂ©s d’honnĂȘtetĂ©, quand on nous expose sans arrĂȘt Ă  des issues qui n’en sont pas, qui sont des trompe-l’Ɠil au contraire, des illusions pour nous faire croire que le chemin est droit devant nous
 jusqu’à ce qu’on se prenne, de plein fouet, le mur sur lequel il est peint.

I – Le contrat Madelin & le professionnel exerçant en libĂ©ral

Commençons par un rappel. Le contrat « Madelin Â», dispositif de la loi Ă©ponyme, est un ensemble d’offres permettant aux travailleurs non-salariĂ©s de prĂ©tendre Ă  une dĂ©fiscalisation.

Il existe des contrats Madelin « retraite Â», des contrats « prĂ©voyance Â», et des contrats « mutuelle Â». 

  • Un contrat de retraite Madelin est censĂ© aider le travailleur non salariĂ© Ă  se constituer une retraite complĂ©mentaire.
  • Un contrat de prĂ©voyance Madelin est censĂ© lui assurer un revenu en cas de perte d’activitĂ©.
  • Un contrat de mutuelle Madelin doit l’aider Ă  complĂ©ter les remboursements de l’assurance maladie.
 Dans le cadre de ce dispositif, le travailleur non salarié peut déduire de son revenu imposable les cotisations des contrats Madelin auxquels il a souscrit. 
Ø  L’article 154 bis du code des impĂŽts le spĂ©cifie. 

Pour rĂ©sumer, en tant que chirurgien-dentiste exerçant en libĂ©ral, si vous voulez dĂ©duire de vos revenus imposables les assurances de prĂ©voyance ou de perte d’exploitation, par exemple, que vous payez rĂ©ellement, vous avez obligation de souscrire Ă  un contrat Madelin. 

Si vous ne le faites pas, cette déduction sera impossible.

II – Le dispositif Madelin : une autoroute Ă  pĂ©age

Il faut maintenant braquer la loupe sur ce qui se passe une fois qu’on a compris le point prĂ©cĂ©dent.

Si le professionnel libĂ©ral chirurgien-dentiste veut allĂ©ger la charge trĂšs lourde des assurances qu’il est obligĂ© de contracter, en dĂ©duisant le montant de ses cotisations de son BNC (bĂ©nĂ©fice non-commercial), il doit entrer dans le dispositif Madelin.

Mais que se passe-t-il, Ă  partir de lĂ  ? Admettons que, pour un mois donnĂ©, un de nos confrĂšres dĂ©clare un chiffre d’affaires Ă©quivalent Ă  zĂ©ro. Est-ce qu’il va, pour autant, pour le compte du mois en question, cesser de payer son assurance prĂ©voyance, par exemple ? Non. Il devra s’en acquitter, tout comme d’un certain nombre d’autres charges, d’autant plus lourdes qu’elles sont cumulĂ©es. Bien entendu, c’est aussi le cas du chirurgien-dentiste qui gĂ©nĂšre un chiffre d’affaires positif.

Un cas d’école

RĂ©cemment, l’un de nos confrĂšres examinait attentivement ses dĂ©clarations URSSAF. Nous l’appellerons le docteur Holmes, car il a eu la prudence de vĂ©rifier des Ă©lĂ©ments qui semblaient clairs, et qui, en fait, ne l’étaient pas, et se sont rĂ©vĂ©lĂ©s ĂȘtre des indices pour dĂ©mĂȘler la situation qu’il a dĂ©couverte.

Le docteur Holmes analysait, sur ses relevĂ©s URSSAF, les sommes prĂ©levĂ©es, et quelque chose lui a alors sautĂ© aux yeux : les montants n’en Ă©taient pas corrects. Ils semblaient incorrects, en tous cas. Plus exactement, la base de calcul Ă©tait erronĂ©e. Dans un premier temps, prenons un exemple non chiffrĂ©, pour nous focaliser sur la mĂ©canique des choses :

  • Le chiffre d’affaires de notre confrĂšre Ă©tait « Â».
  • Son rĂ©sultat Ă©tait « Â» (c’était donc son revenu : ce qu’il percevait rĂ©ellement. X aurait dĂ» ĂȘtre la base de la taxation appliquĂ©e par l’URSSAF).
  • La base de la taxation URSSAF, elle, Ă©tait un nombre incomprĂ©hensible : « XY Â». Un nombre supĂ©rieur au rĂ©sultat « X Â», dont le docteur Holmes ne comprenait pas la provenance.

Évidemment, notre confrĂšre a rĂ©agi. Il a joint, directement par tĂ©lĂ©phone, les services de l’URSSAF dont il dĂ©pend.

Une fois en ligne, il a exposé la situation.

— Pourquoi le montant de mes cotisations est-il si Ă©levĂ© ? Je ne comprends pas le rapport entre ces derniĂšres et l’argent que je touche rĂ©ellement.

— Monsieur, vous ĂȘtes taxĂ© sur la base du montant « XY Â» (montant plus Ă©levĂ© que les revenus du docteur Holmes, donc).

— C’est ce qui pose problĂšme ! Mes revenus s’élĂšvent Ă  « X Â» (montant exact des revenus « taxables Â»), en rĂ©alitĂ©.

— Ah, oui, effectivement. Vous avez raison.

Notre confrĂšre savait qu’il avait raison, puisqu’il avait les chiffres sous les yeux, mais surtout, parce qu’il savait bien quel Ă©tait son chiffre d’affaires, quelles Ă©taient ses charges, et quel Ă©tait son rĂ©sultat ! Son interlocuteur est restĂ© silencieux un moment, puis il a repris :

— Vous avez raison, vos revenus sont Ă©gaux Ă  « X Â», docteur Holmes, mais nous vous taxons tout de mĂȘme sur « XY Â».

Cette dĂ©claration Ă©tait incohĂ©rente. Si le chiffre d’affaires du docteur Holmes Ă©tait de 50 (« Z Â») et son rĂ©sultat, de 10 (« X Â»), il pouvait s’attendre Ă  ce que l’URSSAF le taxe sur ces 10. Et pourtant, on Ă©tait en train de lui dire nettement que cette taxation s’appliquait sur une base de 13 : le fameux « XY Â» incomprĂ©hensible. En clair, l’URSSAF le taxait sur une somme que le docteur Holmes n’avait pas rĂ©ellement perçue !

Notre confrĂšre a demandĂ© des explications, et la rĂ©ponse qu’on lui a donnĂ©e est telle qu’elle vaut d’ĂȘtre encadrĂ©e :

 Â« Monsieur, nous avons conscience que vous gagnez 10. Cependant, nous majorons votre revenu de rĂ©fĂ©rence, car vous ĂȘtes entrĂ© dans le dispositif Madelin. Â» 

L’URSSAF rĂ©incorpore dans les rĂ©sultats des chirurgiens-dentistes des sommes fictives, pour ensuite, les taxer sur cette base. Le prĂ©texte de cette manipulation ? Nous sommes entrĂ©s dans le dispositif Madelin, qui nous permet de prĂ©tendre Ă  une dĂ©fiscalisation. Autant dire que nous sommes taxĂ©s sur des flux de trĂ©sorerie non perçus. Imposer les gens sur des sommes d’argent qui ont servi Ă  les protĂ©ger et qu’ils n’ont jamais touchĂ©es, comment qualifier cela ? Est-ce que ce ne serait pas usurier ? C’est Ă  craindre


La boucle est bouclée

RĂ©sumons. Si, chirurgien-dentiste, nous ne voulons pas que la base de calcul de nos charges sociales et d’URSSAF soit majorĂ©e, supĂ©rieure Ă  nos rĂ©sultats rĂ©els, alors nous devons sortir du dispositif Madelin. Seulement, hors du dispositif Madelin, nous ne pouvons pas dĂ©duire le montant des assurances de notre BNC, et ce dernier est tellement lourd, que si on ne le dĂ©duit pas, il devient difficile de prĂ©tendre Ă  un niveau de vie de qualitĂ©.

Soyons clair, encore une fois. MĂȘme si vous n’avez aucun chiffre d’affaires Ă  dĂ©clarer, si votre chiffre d’affaires est nul, vous ĂȘtes tenu d’ĂȘtre assurĂ©. Les assurances sont obligatoires. En tant que chirurgien-dentiste, il vous faut souscrire Ă  une assurance de perte d’exploitation, Ă  une garantie pour le matĂ©riel dans lequel vous avez investi, ainsi de suite, Ă©tant donnĂ© que les banques demandent qu’on soit assurĂ©, pour nous accorder n’importe quel financement, pour conclure n’importe quel plan de leasing, par exemple, et ainsi de suite.

Zoom sur les assurances

Dans la majoritĂ© des cas, ces mĂȘmes assurances, dont nous venons de parler, font tout pour s’échapper lorsque le moment est venu pour quelqu’un de les faire jouer. Elles cherchent Ă  se soustraire au paiement des sommes pour lesquelles vous les avez contractĂ©es.

D’aucuns nous ont rapportĂ© que les assureurs peuvent aller jusqu’à multiplier les expertises sur un seul et mĂȘme dossier, jusqu’à ce que qu’un expert dĂ©cĂšle quelque chose qui leur permettra de se retirer


Dans notre systĂšme, des personnes qui travaillent en libĂ©ral sont payĂ©es une misĂšre, et taxĂ©es Ă  outrance. Il peut arriver que les assurances qu’elles ont payĂ©es pendant des annĂ©es ne les suivent pas, aux pires moments de leur vie. En nous rapportant son cas, le docteur Holmes tĂ©moignait avoir cĂŽtoyĂ© des personnes qui ont dĂ» Ă©couler l’argent laborieusement mis de cĂŽtĂ© pendant toute une vie d’activitĂ© pour payer leurs propres soins. Cela, pour faire face Ă  des maladies aussi graves que le cancer. Pourquoi ? Parce que, dans des cas comme les leurs, l’invocation Ă  l’assurance de prĂ©voyance n’a pas « fonctionnĂ© Â».

À cĂŽtĂ© de cela, vous rĂ©alisez que l’on vous taxe sur le montant de ces mĂȘmes assurances, sous le prĂ©texte que vous ĂȘtes prĂ©tendument favorisĂ© par une remise fiscale grĂące au dispositif Madelin, censĂ© vous aider Ă  supporter vos charges en allĂ©geant vos impĂŽts.

 Aujourd’hui, en France, le lĂ©gislateur a contraint l’ensemble des professions libĂ©rales, avec la loi Madelin, Ă  payer des cotisations de retraite et d’URSSAF supplĂ©mentaires, sur la base de flux d’argent qui n’ont pas Ă©tĂ© perçus. 

III – La lĂ©galitĂ© ne rĂ©pond pas toujours Ă  la justice

Les Droits de l’Homme nous rappellent que nous sommes tous Ă©gaux. Dans la pratique, sur bien des plans, ce n’est pas le cas. Un systĂšme qui se rĂ©clame de ce principe supĂ©rieur, lui-mĂȘme, propage un autre fonctionnement, et implique des disparitĂ©s. MĂȘme sans remonter aussi haut, en se basant sur la seule hiĂ©rarchie des normes, il apparaĂźt Ă©vident qu’on ne puisse pas demander Ă  des gens de produire des sommes d’argent qu’ils n’ont pas perçues ! Et pourtant, dans le cadre dont nous venons d’établir l’existence, non seulement cela se pratique, mais encore, c’est lĂ©gal, ça a Ă©tĂ© votĂ©, et c’est appliquĂ© Ă  toutes les professions libĂ©rales françaises. Lesquelles ne sont pas au courant, dans l’extrĂȘme majoritĂ© des cas.

Le docteur Holmes a demandĂ© Ă  ses services comptables de valider ou d’invalider l’assertion de l’URSSAF : c’est ce qu’ils ont fait, en validant cette assertion.

Il a Ă©galement demandĂ© Ă  l’URSSAF de produire un document qui expose ce qu’il paie exactement, dans ce cas, et qui dĂ©taille sur quelle base les montants sont calculĂ©s, et pourquoi. Les services de l’URSSAF se sont pliĂ©s mais, si l’on en croit le docteur Holmes, le document produit est incomprĂ©hensible.

Le cas particulier des chirurgiens-dentistes (et des sage-femmes) : la CARCDSF

Nous avons fait, tout au long de cet article, un zoom sur l’environnement administratif français, qui, s’il est sĂ©curisant sous certains aspects, est dĂ©routant, voire inique, sous d’autres angles, en ce qu’il reflĂšte des dispositions lĂ©gales qui ne rĂ©pondent pas aux principes de justice censĂ©s nous gouverner.

Nous avons donc vu de quelle maniĂšre ces dispositions lĂ©gales sont appliquĂ©es et comment l’on nous force la main (osons le mot) pour entrer dans le cadre Madelin. Ce mĂȘme cadre permet Ă  des organismes privĂ©s chargĂ©s de missions de service public, tels les URSSAF, de taxer les professionnels libĂ©raux sur la base de flux d’argent qu’ils ne perçoivent pas rĂ©ellement ; il le leur permet ou ne les en empĂȘche pas, ce qui revient au mĂȘme.

Cependant, les URSSAF ne sont pas les seuls organismes Ă  adopter cette pratique. Nous avons dĂ©couvert que la CARCDSF elle-mĂȘme, la renommĂ©e Caisse Autonome de Retraite des Chirurgiens-Dentistes et des Sage-Femmes, en faisait autant. Si cela n’est pas plus juste du cĂŽtĂ© de la CARCDSF que de l’URSSAF, cela signifie en outre que nous, chirurgiens-dentistes, sommes doublement ponctionnĂ©s Ă  titre illogique et injustifiĂ©.

Conclusion

Les assurances qui entrent dans le dispositif Madelin ne se chiffrent pas de l’ordre de 200 â‚Ź. Les montants en jeu sont au contraire trĂšs importants ; entre autres choses, les assurances couvrent les charges fixes en cas d’interruption d’activitĂ© : les salaires (y compris celui du praticien), le matĂ©riel, le loyer, les financements bancaires s’il y en a, les cotisations URSSAF et la caisse de retraite


Le docteur Holmes, par exemple, s’est acquittĂ© pendant de nombreuses annĂ©es de la perte d’exploitation, autant d’annĂ©es pendant lesquelles il a Ă©galement payĂ© des cotisations de caisse de retraite et d’URSSAF (chose dĂ©jĂ  discutable, car aberrante dans le contexte, et probablement abusive). AprĂšs quoi, il doit honorer des paiements de complĂ©ments sociaux et d’URSSAF, sur des sommes qu’il n’a pas perçues et qui, en poursuivant ce raisonnement, ne sont jamais garanties.

On nous avait promis des changements sur ces points, qui sont des questions critiques de l’exercice de notre profession. Ces changements n’ont pas eu lieu. Non seulement nous les attendons toujours mais, grĂące Ă  des exemples comme celui que nous venons d’analyser, nous rĂ©alisons une fois de plus que le systĂšme n’est pas transparent avec nous, ni en notre faveur. Il existe un mot pour dĂ©crire ce manque de transparence, qui appliquent des ponctions Ă  la fois cachĂ©es, injustifiĂ©es, et iniques. Ce mot, c’est « escroquerie Â», et nous devons malheureusement achever notre article sur sa note dĂ©sabusĂ©e.

Sources