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(Dossier basĂ© sur l’ouvrage anthologique Le Leadership, prĂ©facĂ© par Franck Riboud)

La Harvard Business Review rĂ©Ă©dite rĂ©guliĂšrement certains articles devenus aujourd’hui des « classiques ». Ceux-ci remontent parfois jusqu’aux annĂ©es 70, mais sont pour la plupart toujours riches d’enseignement. Cette sĂ©lection de huit d’entre eux, traduite et compilĂ©e par Nouveaux Horizon, s’attache, Ă  travers les tĂ©moignages de divers experts, Ă  dessiner les contours de la notion de leadership, et rappelle s’il Ă©tait besoin qu’il y a autant de maniĂšres de concevoir le leadership qu’il y a de leaders et d’entreprises, et les nombreuses leçons que l’on peut en tirer s’adaptent sans peine au cabinet-entreprise tel qu’il est indispensable de le concevoir aujourd’hui.

I. Profession manager : mythes et rĂ©alitĂ© (Henry Mintzberg)

Henry Mintzberg, professeur d’études de management, titulaire de la chaire Cleghorn, Ă  1’universitĂ© canadienne McGill Ă  MontrĂ©al et professeur d’organisation Ă  I’INSEAD de Fontainebleau, a consacrĂ© ses recherches Ă  la nature et aux styles de travail du manager, ainsi qu’aux formes d’organisation et au processus de formation de la stratĂ©gie. L’article rĂ©fĂ©rencĂ© prĂ©sente une analyse approfondie de la fonction managĂ©riale. PubliĂ©e Ă  l’origine en 1975, cette Ă©tude pose la question suivante : « En quoi consiste le travail des managers ? »

Les mythes Ă  l’épreuve des faits

L’auteur puise dans sa propre recherche et dans d’autres Ă©tudes pour prĂ©senter des faits qui dĂ©mentent les quatre mythes qui entourent le travail du manager, mais ne rĂ©sistent pas Ă  l’examen soigneux des faits :

Mythe n° 1 : le management est un plan méthodique et réfléchi.

La rĂ©alitĂ© : toutes les Ă©tudes dĂ©montrent que les managers travaillent sans rĂ©pit, que leurs activitĂ©s se caractĂ©risent par la briĂšvetĂ©, la diversitĂ© et la discontinuitĂ©, et qu’ils sont par ailleurs essentiellement tournĂ©s vers l’action.

Les faits : L’étude des agendas de 160 cadres moyens et supĂ©rieurs britanniques a dĂ©montrĂ© qu’ils parvenaient Ă  travailler sans interruption pendant une demi-heure et plus, environ une fois tous les deux jours. Sur le nombre des contacts verbaux que les managers de cette Ă©tude Ă©changeaient, 93 % s’organisaient sur une base informelle. Seul 1 % du temps de ces cadres Ă©tait consacrĂ© Ă  des tournĂ©es d’inspection, sans limite de durĂ©e. Seul un Ă©change verbal sur 368 ne concernait pas une question spĂ©cifique et pouvait donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme relevant de la planification gĂ©nĂ©rale.

Il semble qu’un manager soit toujours tenaillĂ© entre ce qu’il voudrait faire et ce qu’il peut faire. Lorsque les managers doivent planifier, c’est implicitement qu’ils le font, dans le contexte de leur activitĂ© quotidienne, plutĂŽt que par quelque processus abstrait pour lequel l’entreprise se rĂ©serverait deux semaines de retraite Ă  la montagne. Les plans des managers Ă©tudiĂ©s semblaient n’exister nulle part ailleurs que dans leur tĂȘte, sous la forme d’intentions flexibles quoi que relativement prĂ©cises. ExceptĂ© dans la littĂ©rature classique qui lui est consacrĂ©e, le management ne produit pas de planificateurs rĂ©flĂ©chis : les managers se contentent de rĂ©pondre Ă  des stimuli et sont conditionnĂ©s, par leur travail, Ă  prĂ©fĂ©rer l’action immĂ©diate Ă  l’action diffĂ©rĂ©e.

Mythe n° 2 : le manager efficace n’a pas d’obligations rĂ©guliĂšres Ă  remplir.

La rĂ©alitĂ© ; le travail d’un manager comporte un certain nombre d’obligations rĂ©guliĂšres, incluant rites et cĂ©rĂ©monies, nĂ©gociations et traitement des informations informelles qui relient l’organisation Ă  son environnement.

Les faits : Ne recommande-t-on pas sans cesse aux chefs d’entreprise de passer plus de temps Ă  planifier ou dĂ©lĂ©guer et moins de temps Ă  voir les clients ou nĂ©gocier les contrats, missions qui aprĂšs tout ne sont pas les siennes ? Pour reprendre une analogie rĂ©pandue, le bon manager, comme le bon metteur en scĂšne, prĂ©pare tout soigneusement Ă  l’avance, puis s’assoit dans son fauteuil pour rĂ©pondre Ă©ventuellement aux situations imprĂ©vues. Mais lĂ  encore, cette sĂ©duisante abstraction ne tient simplement pas la route. Une Ă©tude sur le travail des dirigeants de petites et moyennes entreprises montre qu’ils effectuent des activitĂ©s routiniĂšres parce qu’ils manquent de moyens d’embauche suffisants pour recruter un personnel spĂ©cialisĂ© et disposent d’une main d’Ɠuvre tellement mince, qu’une seule absence nĂ©cessite qu’ils comblent eux-mĂȘmes la lacune ainsi crĂ©Ă©e. Une Ă©tude sur des chefs d’équipe de vente et une autre sur des directeurs gĂ©nĂ©raux suggĂšre qu’il entre naturellement dans leur mission de recevoir les clients importants, et de s’assurer ainsi leur fidĂ©litĂ©. L’un de ces cadres, qui ne plaisantait qu’à moitiĂ©, dĂ©crit mĂȘme le manager comme la personne qui reçoit les visiteurs afin que les autres puissent continuer Ă  travailler. 

Les recherches sur la circulation de l’information montrent Ă©galement que les managers jouent un rĂŽle important dans le contrĂŽle des informations non officielles en provenance de l’extĂ©rieur (la plupart n’étant connues que d’eux seuls, en raison de leur statut) et leur diffusion auprĂšs du personnel.

Mythe n°3 : le cadre supĂ©rieur a besoin d’une information globale systĂ©matisĂ©e

La rĂ©alitĂ© : les managers prĂ©fĂšrent de loin l’information orale (coups de tĂ©lĂ©phone, rĂ©unions…), aux documents Ă©crits.

Les faits : Il n’y a pas si longtemps, dans les ouvrages de management, il n’était partout question que de systĂšme d’information total ou systĂšme intĂ©grĂ© de gestion (SIG). ConformĂ©ment Ă  l’image classique du manager perchĂ© au sommet d’une structure hiĂ©rarchique et rĂ©glementĂ©e, ce personnage de littĂ©rature Ă©tait censĂ© recevoir toutes les informations importantes d’un SIG gĂ©ant. Mais rapidement, comme le prĂ©voyait Mintzberg, les managers ont tout simplement cessĂ© d’utiliser ces systĂšmes gĂ©ants. Il suffit de regarder la façon dont les managers traitent en rĂ©alitĂ© l’information pour comprendre pourquoi. Selon deux Ă©tudes britanniques, les managers passent en moyenne 66 % et 80 % de leur temps en communication orale. Dans l’étude de Mintzberg, concernant cinq PDG amĂ©ricains, ce chiffre Ă©tait de 78 %.

Les cinq dirigeants observĂ©s traitaient le courrier comme une corvĂ©e Ă  expĂ©dier. L’un d’eux vint, par exemple, un samedi matin traiter 142 lettres en l’espace de trois heures seulement, histoire de s’en dĂ©barrasser. Ce mĂȘme manager jeta un coup d’Ɠil au premier courrier substantiel reçu de la semaine, une Ă©tude de coĂ»t classique, qu’il mit de cĂŽtĂ© en disant : « Je ne les regarde jamais ». Ces mĂȘmes cinq dirigeants traitĂšrent immĂ©diatement 2 des 40 rapports de routine reçus pendant les cinq semaines que dura l’étude et 4 pĂ©riodiques parmi les 104 auxquels ils Ă©taient abonnĂ©s. Ils survolaient la plupart de ces pĂ©riodiques en quelques secondes, un peu comme un rituel. En tout et pour tout, ces dirigeants d’entreprises de taille respectable envoyĂšrent 25 courriers de leur propre initiative (autrement dit pas en rĂ©ponse Ă  quelque chose) en l’espace de ces 25 jours d’observation.

L’analyse des courriers reçus rĂ©vĂ©la d’autres dĂ©tails intĂ©ressants : seuls 13 % s’avĂ©raient d’une utilitĂ© prĂ©cise et immĂ©diate. Ce qui ajoute une nouvelle piĂšce au tableau : en fait, une part minime du courrier apporte une information brĂ»lante et actuelle (le mouvement d’un concurrent, l’humeur du lĂ©gislateur…). C’est pourtant ce type d’information qui pousse les managers Ă  agir, Ă  interrompre une rĂ©union ou Ă  chambouler leur emploi du temps, et ce plus encore avec la multiplication actuelle des moyens de communication (emails, mobiles…)

Autre dĂ©couverte intĂ©ressante et qui n’a pas changĂ© : les managers semblent valoriser les informations « officieuses », et particuliĂšrement les rumeurs et autres conjectures. Pourquoi ? En raison de leur actualitĂ© et de leur pertinence : la rumeur d’aujourd’hui peut devenir la rĂ©alitĂ© de demain. Le manager qui rate un coup de fil rĂ©vĂ©lant que le plus gros client de la sociĂ©tĂ© a Ă©tĂ© vu en train de jouer au golf avec un concurrent peut constater la chute brutale de ses ventes dans le prochain rapport trimestriel. Mais alors, il est trop tard.

Pour nuancer la valeur de l’information officielle, historique et globale des SIG, il suffit de penser à deux des principales fonctions de l’information, à savoir :

  • DĂ©tecter les problĂšmes ou les opportunitĂ©s
  • Élaborer des modĂšles (du fonctionnement du systĂšme budgĂ©taire de l’entreprise, des comportements des consommateurs, de la maniĂšre dont les changements Ă©conomiques affectent l’entreprise…).

L’expĂ©rience semble montrer que ce n’est pas Ă  l’aide de l’information abstraite et synthĂ©tique produite par les SIG qu’un manager identifie les crĂ©neaux de dĂ©cision ou qu’il conçoit des modĂšles, mais grĂące Ă  des donnĂ©es fragmentaires et concrĂštes.

La prĂ©dilection des managers pour l’information orale appelle deux remarques importantes. Cela signifie premiĂšrement que cette information est en bonne partie stockĂ©e dans le cerveau de quelques-uns. Ce n’est qu’une fois Ă©crite qu’elle est enregistrĂ©e dans les dossiers de l’organisation. Or les cadres notent rarement, semble-t-il, les renseignements qu’ils dĂ©tiennent. Aussi les banques de donnĂ©es stratĂ©giques des organisations ne se trouvent pas dans la mĂ©moire de leurs ordinateurs mais dans celle de leurs managers. DeuxiĂšmement, l’usage intensif qu’ils font de la communication orale, explique pourquoi ils sont souvent rĂ©ticents Ă  dĂ©lĂ©guer les tĂąches. Il ne s’agit pas en effet de transmettre un dossier Ă  un subordonnĂ©, mais de prendre la peine de « dĂ©charger leur mĂ©moire Â», autrement dit expliquer tout ce qu’ils savent sur le sujet. Or cela peut demander tellement de temps, qu’il peut sembler plus facile de faire le travail soi-mĂȘme. Les managers se condamnent donc eux-mĂȘmes, par leur propre systĂšme d’information, au dilemme de la dĂ©lĂ©gation : tout faire eux-mĂȘmes ou dĂ©lĂ©guer Ă  des subordonnĂ©s moins bien informĂ©s.

Mythe n°4 : le management est devenu une science et une profession.

La rĂ©alitĂ© : Quel que soit le sens qu’on donne aux mots science et profession, cette affirmation est pratiquement toujours fausse. Il suffit d’observer briĂšvement n’importe quel manager pour abandonner aussitĂŽt l’idĂ©e qu’il pratique une science. Toutefois la situation a drastiquement Ă©voluĂ© depuis la rĂ©daction de l’article, et si les faits contredisent souvent le mythe, l’effort dans le sens de la formation et de la mise en Ɠuvre de procĂ©dures ou protocoles systĂ©matiques, semblent en tout cas tendre Ă  nuancer le propos de Mintzberg.

Les faits : Si l’on regarde objectivement la rĂ©alitĂ© du travail des managers, nous constatons que leur mission est Ă©minemment complexe et ardue. Ils sont surchargĂ©s d’obligations qu’ils peuvent nĂ©anmoins difficilement dĂ©lĂ©guer. Ils sont donc conduits Ă  se surmener et Ă  effectuer un bon nombre de tĂąches de maniĂšre superficielle. BriĂšvetĂ©, morcellement, communication verbale, caractĂ©risent leur travail. Et cependant, ce sont ces caractĂ©ristiques mĂȘmes qui ont motivĂ© les chercheurs scientifiques Ă  tenter d’amĂ©liorer celui-ci. C’est pourquoi leurs efforts ont essentiellement portĂ© sur les fonctions spĂ©cialisĂ©es de l’organisation, lĂ  oĂč il Ă©tait le plus facile d’analyser les procĂ©dures et de quantifier l’information.

Mais la pression qui pĂšse sur les managers ne fait que s’accentuer. LĂ  oĂč prĂ©cĂ©demment ceux-ci n’avaient Ă  rĂ©pondre qu’à leur direction ou au propriĂ©taire de l’entreprise, voire Ă  personne s’ils portaient cette double casquette, ils doivent aujourd’hui faire face Ă  des subordonnĂ©s, obĂ©issant Ă  des processus dĂ©mocratiques, qui rĂ©duisent sans cesse la libertĂ© d’émettre des ordres sans donner d’explication, ainsi qu’à un nombre croissant d’acteurs extĂ©rieurs (groupements de consommateurs, pouvoirs publics, etc.) qu’ils doivent Ă©galement prendre en considĂ©ration. Si bien qu’ils ne savent plus oĂč se tourner pour trouver de l’aide. Mais le premier pas avant de pouvoir leur apporter un quelconque soutien, est de dĂ©terminer en quoi consiste exactement leur travail.

Retour à une définition de base du travail managérial

RĂŽles de relation

Trois des rÎles du manager découlent directement de son autorité formelle et impliquent des relations essentielles.

Tout d’abord le rĂŽle de reprĂ©sentant : en tant que responsable d’une organisation ou d’une unitĂ©, tout manager doit s’acquitter de certaines obligations sociales. Le prĂ©sident accueillera les personnages officiels en visite. Le contremaĂźtre assistera au mariage d’un de ses ouvriers. Le directeur de ventes invitera un client important Ă  dĂ©jeuner.

Les managers Ă©tudiĂ©s consacraient 12 % de leurs Ă©changes Ă  ce genre d’activitĂ©s mondaines ; 17 % du courrier qu’ils recevaient consistaient en marques de reconnaissance et en demandes liĂ©es Ă  leur statut. Ainsi par exemple, une lettre sollicitait d’un PDG la fourniture de marchandises gratuites pour un Ă©lĂšve handicapĂ©. Ces missions de reprĂ©sentation ont parfois un caractĂšre de routine et n’impliquent pas de communications ou de dĂ©cisions sĂ©rieuses. Elles sont malgrĂ© tout importantes pour le bon fonctionnement d’une organisation et ne sauraient ĂȘtre nĂ©gligĂ©es.

Les managers sont responsables du travail des membres de leur Ă©quipe. Leurs actions dans ce domaine correspondent au rĂŽle de leader. Certaines de ces actions dĂ©coulent directement de ce rĂŽle. Ainsi, dans la plupart des organisations, les managers sont habituellement chargĂ©s du recrutement et de la formation de leur personnel. À cela s’ajoute l’exercice indirect du rĂŽle de leader. Par exemple, tout manager doit motiver et encourager ses salariĂ©s, et parvenir Ă  concilier leurs besoins avec les objectifs de l’organisation. Pratiquement tous les contacts que les salariĂ©s ont avec leur manager visent Ă  obtenir des indices sur ce qu’il attend d’eux : « Est-ce qu’il m’approuve ? » « Qu’espĂšre-t-il de cette consigne ? » etc. C’est dans le rĂŽle de leader que l’influence des managers apparaĂźt le plus clairement. L’autoritĂ© dont ils jouissent leur donne un grand pouvoir ; c’est principalement dans ce rĂŽle qu’ils dĂ©montreront leur capacitĂ© ou non Ă  l’exercer.

La littĂ©rature consacrĂ©e au management a toujours reconnu le rĂŽle de leader, notamment dans ses aspects en relation avec la motivation. Elle a en revanche rarement soulignĂ© son rĂŽle d’agent de liaison, dans lequel le manager Ă©tablit des contacts en dehors de la chaĂźne verticale de commande. C’est un fait mis en Ă©vidence dans pratiquement chaque Ă©tude consacrĂ©e au travail des managers que ceux-ci passent autant de temps avec leurs pairs et autres personnes en dehors de leur unitĂ© qu’avec leurs subordonnĂ©s, et, chose surprenante, trĂšs peu avec leurs propres supĂ©rieurs.

Dans une enquĂȘte effectuĂ©e par Rosemary Stewart sur l’agenda de managers d’entreprises britanniques, les 160 cadres moyens et supĂ©rieurs qu’elle a Ă©tudiĂ©s passaient 47 % de leur temps avec leurs collĂšgues, 41 % avec des gens de l’extĂ©rieur, contre seulement 12 % avec leurs supĂ©rieurs. Dans l’étude de Robert Guest portant sur des contremaĂźtres amĂ©ricains, les chiffres Ă©taient de 44 %, 46 % et 10 % respectivement. Quant aux managers de l’étude, 44 % de leurs contacts avaient lieu avec des personnes extĂ©rieures, 48 % avec leurs subordonnĂ©s, et 7 % avec leurs directeurs et membres du conseil d’administration. Les contacts de ces cinq managers concernaient une variĂ©tĂ© incroyable de gens subordonnĂ©s : clients, associĂ©s, fournisseurs, homologues, reprĂ©sentants des pouvoirs publics ou des syndicats…

Rîles d’information

En vertu des nombreux contacts personnels qu’il entretient avec ses subordonnĂ©s et tout un rĂ©seau de relations, le manager apparaĂźt comme le centre nĂ©vralgique au sein de son unitĂ©. Il n’est peut-ĂȘtre pas au courant de tout mais il est gĂ©nĂ©ralement mieux informĂ© que ses subordonnĂ©s.

Les Ă©tudes montrent que cela s’applique aussi bien au chef de gang qu’au prĂ©sident d’une nation. Dans son livre consacrĂ© aux groupes humains, (The human group), et notamment aux gangs, George Homans nous en donne la raison. Parce que le chef se situe au centre des flux d’information, toutes les nouvelles convergent vers lui au sein de sa bande ; de plus il est en contact Ă©troit avec d’autres chefs de gang, c’est pourquoi il est toujours mieux informĂ© qu’aucun membre de son groupe Quant au prĂ©sident, Richard Neustadt remarque, par exemple, que la maniĂšre dont Roosevelt recueillait l’information relevait de la pure compĂ©tition : « â€œIl vous appelait dans son bureau”, me dit un jour l’un de ses collaborateurs, “et vous demandait de vous renseigner sur telle ou telle affaire compliquĂ©e. Et lorsque vous reveniez, aprĂšs deux jours d’enquĂȘte laborieuse, pour lui livrer le morceau juteux que vous aviez dĂ©nichĂ© dans quelque coin obscur, c’est alors que vous vous rendiez compte qu’il connaissait dĂ©jĂ  toute l’histoire et mĂȘme certains dĂ©tails qui vous avaient Ă©chappĂ©. D’oĂč il tenait ses informations, la plupart du temps il n’en disait rien, mais lorsqu’il vous avait fait le coup une fois ou deux, vous deveniez trĂšs prudent quant Ă  votre propre information.”»

Il n’est pas bien difficile de voir d’oĂč Roosevelt « tenait ses informations », si l’on considĂšre les liens entre rĂŽles de relation et rĂŽles d’information. Par son autoritĂ©, tout manager a un accĂšs officiel et privilĂ©giĂ© Ă  tous les membres du personnel. En outre, son rĂŽle de liaison avec l’extĂ©rieur lui fournit une information qui fait souvent dĂ©faut Ă  ses subordonnĂ©s. Beaucoup de ses contacts ont lieu avec d’autres managers de mĂȘme rang, qui sont eux-mĂȘmes des centres nĂ©vralgiques au sein de leur organisation. C’est ainsi que le manager peut dĂ©velopper une banque de donnĂ©es considĂ©rable.

Traiter l’information est un des rĂŽles-clĂ©s des managers. Ceux Ă©tudiĂ©s consacraient 40 % de leur temps d’échange Ă  des activitĂ©s exclusivement destinĂ©es Ă  la transmission d’information. 70 % du courrier qu’ils recevaient avaient une vocation purement informative (autrement dit ne constituaient pas des demandes d’intervention) En d’autres termes, on ne peut pas dire que les managers quittent les rĂ©unions ou raccrochent le tĂ©lĂ©phone pour se remettre au travail, car la communication est par essence leur travail. Trois rĂŽles distincts dĂ©crivent l’aspect informatif du travail managĂ©rial :

  • Dans son rĂŽle de pilote, le manager scrute sans cesse son environnement en quĂȘte d’informations, interrogeant ses contacts ou ses salariĂ©s, recevant des informations spontanĂ©es, en bonne partie grĂące Ă  son rĂ©seau de relations. Rappelons que la plupart des informations qu’il collecte dans son rĂŽle de pilote, lui parviennent oralement, sous forme de bruits de couloir, de rumeurs ou de spĂ©culations.
  • Dans son rĂŽle de diffuseur le manager passe des informations importantes Ă  ses salariĂ©s, qui autrement n’y auraient pas accĂšs. Lorsque la communication fait dĂ©faut entre ses subordonnĂ©s, le manager peut transmettre l’information d’une personne Ă  l’autre.
  • En tant que porte-parole, le manager rĂ©percute des informations Ă  l’extĂ©rieur de son unitĂ© : un PDG prononce un discours pour soutenir la cause de l’entreprise, ou un chef d’équipe suggĂšre Ă  un fournisseur de modifier un produit… En outre, en tant que porte-parole, tout manager doit informer et satisfaire les personnes qui exercent une forme d’influence ou de contrĂŽle sur son unitĂ©. Pour le contremaĂźtre, cela peut signifier simplement tenir le directeur d’usine informĂ© du flux de travail au sein de son atelier.

RÎles de décision

L’information n’est pas, bien entendu, une fin en soi ; elle ne fait que fournir les donnĂ©es nĂ©cessaires Ă  la prise de dĂ©cision. Étudier le travail du manager met en lumiĂšre son rĂŽle central dans le processus de dĂ©cision de son unitĂ©. En vertu de l’autoritĂ© que lui confĂšre son statut, seul le manager peut engager son unitĂ© Ă  adopter une nouvelle ligne de conduite, et en tant que centre nĂ©vralgique de celle-ci, lui seul possĂšde l’information complĂšte et actuelle pour prendre les dĂ©cisions qui vont guider la stratĂ©gie de son Ă©quipe. Les rĂŽles de dĂ©cision sont au nombre de quatre : entrepreneur, gestionnaire de crise, gestionnaire de ressources, et nĂ©gociateur.

En tant qu’entrepreneur, le manager cherche Ă  faire Ă©voluer son unitĂ© et Ă  l’adapter aux changements de l’environnement. Dans son rĂŽle de pilote, un dirigeant est toujours Ă  l’affĂ»t de concepts nouveaux. Lorsqu’une bonne idĂ©e surgit, il initie un projet de dĂ©veloppement qu’il supervise lui-mĂȘme ou qu’il dĂ©lĂšgue Ă  un membre de son Ă©quipe (en prĂ©cisant Ă©ventuellement si la proposition finale doit ĂȘtre soumise Ă  son approbation). Du point de vue des managers, ces projets de dĂ©veloppement prĂ©sentent deux caractĂ©ristiques intĂ©ressantes. Tout d’abord, ces projets n’impliquent pas une dĂ©cision unique, ni mĂȘme un ensemble cohĂ©rent de dĂ©cisions, mais apparaissent plutĂŽt comme une suite de petites dĂ©cisions et d’actions qui s’échelonnent au cours du temps. Les dirigeants semblent prolonger chaque projet de maniĂšre Ă  ce qu’il s’inscrive dans un emploi du temps chargĂ© et dĂ©cousu, et qu’ils puissent en comprendre progressivement les aspects complexes. Ensuite, les dirigeants Ă©tudiĂ©s supervisaient parfois pas moins de cinquante projets simultanĂ©ment. Certains concernaient des nouveaux produits ou procĂ©dĂ©s ; d’autres impliquaient des campagnes de publicitĂ©, l’amĂ©lioration de la situation financiĂšre, la rĂ©organisation d’un service dĂ©faillant, la rĂ©solution d’un problĂšme de motivation dans une division, l’informatisation de certaines opĂ©rations, des processus d’acquisition Ă  diffĂ©rents stades de dĂ©veloppement, etc. Les managers semblent tenir une sorte d’inventaire de l’évolution de ces projets et de leur stade de maturation. Tels des jongleurs, ils maintiennent un certain nombre de projets en suspens dans les airs. De temps en temps, l’un d’entre eux retombe, auquel ils donnent une nouvelle impulsion avant de le renvoyer en orbite. À un moment ou Ă  un autre, ils lancent de nouveaux projets et en abandonnent d’autres.

Alors que le rĂŽle d’entrepreneur montre le manager en tant qu’initiateur volontaire du changement, il arrive des moments oĂč celui-ci est imposĂ© par les circonstances, c’est lĂ  que le gestionnaire de crise dĂ©crit le manager en tant qu’acteur involontaire du changement, rĂ©pondant Ă  l’urgence. Ici, le changement Ă©chappe Ă  son contrĂŽle. Les contraintes d’une situation sont trop sĂ©rieuses pour ĂȘtre ignorĂ©es, une grĂšve menace, un gros client transfĂšre sa clientĂšle ou fait faillite, un fournisseur fait faux bond etc. : quel que soit le problĂšme, il est obligĂ© d’agir. Leonard Sayles, auteur d’intĂ©ressantes recherches sur le travail du manager, compare celui-ci Ă  un chef d’orchestre, qui dirige une symphonie et doit assurer l’harmonie de l’ensemble, tout en traitant les problĂšmes des musiciens ou toute autre perturbation extĂ©rieure. Le manager passe en effet un temps considĂ©rable Ă  rĂ©soudre des problĂšmes imprĂ©vus et urgents. Nulle organisation n’est jamais si bien gĂ©rĂ©e et « certifiĂ©e », qu’elle puisse prĂ©tendre anticiper tous les alĂ©as d’un environnement dominĂ© par l’incertitude. Une perturbation n’arrive pas seulement parce qu’un mauvais manager ne mesure la gravitĂ© d’une situation que lorsqu’elle devient critique, mais parce qu’un bon manager ne peut prĂ©voir toutes les consĂ©quences de ses actes.

Le gestionnaire de ressources constitue le troisiĂšme rĂŽle de dĂ©cision du manager. C’est ce dernier en effet qui dĂ©cide qui aura quoi. Et la ressource la plus importante qu’il doit allouer est sans doute son temps. Avoir accĂšs au manager c’est avoir accĂšs au centre de dĂ©cision, au centre nĂ©vralgique du service. Le manager dĂ©finit aussi la structure de son unitĂ©, le schĂ©ma de relations, l’organigramme selon lequel les activitĂ©s sont rĂ©parties et coordonnĂ©es.

En tant que responsable de l’affectation des ressources, c’est Ă©galement le manager qui autorise les dĂ©cisions importantes de son unitĂ© avant leur mise en Ɠuvre. Exercer ce pouvoir lui permet de veiller Ă  la cohĂ©rence des dĂ©cisions, tandis que le fragmenter favorise un processus de dĂ©cision et une stratĂ©gie dĂ©cousus.

Le fait que le manager entĂ©rine les dĂ©cisions de son unitĂ© a plusieurs consĂ©quences importantes. Tout d’abord, malgrĂ© l’usage rĂ©pandu des procĂ©dures de budgĂ©tisation, programmant un ensemble de dĂ©penses, Mintzberg a constatĂ© que les dirigeants autorisaient de nombreuses dĂ©cisions de maniĂšre informelle. Apparemment, de nombreux projets ne peuvent pas attendre ou ne permettent pas la quantification des coĂ»ts et des bĂ©nĂ©fices que requiert l’établissement d’un budget. De plus, les dirigeants de l’étude se trouvaient confrontĂ©s Ă  des choix d’une extrĂȘme complexitĂ©. Ils devaient mesurer l’impact que telle dĂ©cision aurait sur les autres projets et sur la stratĂ©gie de l’organisation. Ils devaient s’assurer que la dĂ©cision serait acceptable par ceux qui influaient sur les destinĂ©es de l’organisation, et que les ressources engagĂ©es ne seraient pas dĂ©passĂ©es. Ils devaient estimer les coĂ»ts et les bĂ©nĂ©fices ainsi que la faisabilitĂ© du projet proposĂ©. Ils devaient Ă©galement planifier les activitĂ©s dans le temps et en Ă©valuer la durĂ©e. VoilĂ  tout ce que signifiait la simple approbation de la dĂ©cision de quelqu’un d’autre. En mĂȘme temps, diffĂ©rer la dĂ©cision pouvait compromettre le projet, tandis qu’une approbation rapide pouvait passer pour de la lĂ©gĂšretĂ©, et un rejet trop prompt risquait de dĂ©courager le collaborateur qui avait passĂ© des mois Ă  le peaufiner. Une solution commune consiste Ă  choisir la bonne personne plutĂŽt que la bonne proposition ‘. Ainsi, le manager autorise les projets prĂ©sentĂ©s par les gens en qui il a confiance. Mais il n’est pas toujours possible de contourner le problĂšme de cette maniĂšre.

Le dernier rĂŽle de dĂ©cision est celui de nĂ©gociateur. Les managers consacrent un temps non nĂ©gligeable Ă  la nĂ©gociation : le prĂ©sident d’une Ă©quipe de football Ă©tudie le transfert d’une superstar, le PDG d’une entreprise amĂšne le personnel Ă  trouver un compromis Ă  la grĂšve, le contremaĂźtre discute une revendication avec un dĂ©lĂ©guĂ© syndical… Toutes ces formes de nĂ©gociation interne sont partie intĂ©grante du travail d’un manager, car lui seul dĂ©tient le pouvoir d’engager les ressources de l’organisation en temps rĂ©el et l’information pertinente que requiĂšrent d’importantes tractations.

Intégrer tous les rÎles

Il devrait apparaĂźtre clairement maintenant que ces dix rĂŽles ne sont pas aisĂ©ment sĂ©parables. Selon la terminologie des psychologues, ils forment une gestalt, un tout intĂ©grĂ©. On ne peut extraire aucun de ces rĂŽles sans modifier l’ensemble. Ici se trouve une des clĂ©s aux problĂšmes posĂ©s par le management en Ă©quipe. Deux ou trois personnes ne peuvent se partager une responsabilitĂ© managĂ©riale que si elles sont capables d’agir comme une seule entitĂ©. Cela signifie qu’elles ne peuvent se rĂ©partir les dix rĂŽles Ă©voquĂ©s plus haut qu’à condition de soigneusement les rĂ©intĂ©grer en une seule fonction. La difficultĂ© majeure rĂ©side dans les rĂŽles d’information si elles ne parviennent pas Ă  partager toute l’information managĂ©riale – laquelle, avons-nous dit, est essentiellement orale — l’équipe de management s’effondre, On ne peut pas scinder arbitrairement les rĂŽles du manager, en fonctions internes ou externes par exemple, car l’information en provenance de ces deux sources s’applique aux mĂȘmes dĂ©cisions.

Vers un management plus efficace

Cette description de leur travail devrait se rĂ©vĂ©ler en soi plus utile aux managers que n’importe quelle prescription qu’ils pourraient en dĂ©duire. En d’autres termes, la compĂ©tence d’un manager dĂ©pend en grande partie de la comprĂ©hension qu’il a de son travail. Ses performances seront donc influencĂ©es par la maniĂšre dont il interprĂšte et dont il rĂ©pond aux exigences et aux contradictions de sa fonction. Ainsi les managers qui prennent le temps de rĂ©flĂ©chir Ă  la nature de leur travail ont-ils plus de chances d’ĂȘtre efficaces.

Mintzberg examine de plus prĂšs trois types de prĂ©occupation. Pour l’essentiel, les impasses du management – le dilemme de la dĂ©lĂ©gation, la banque de donnĂ©es centralisĂ©e dans un seul cerveau, la difficultĂ© de travailler avec les gestionnaires scientifiques – tiennent Ă  la nature verbale de son information. Or il est dangereux de stocker celle-ci dans la mĂ©moire des managers, car lorsqu’ils s’en vont, ils l’emportent avec eux. De plus, lorsque la communication laisse Ă  dĂ©sirer avec les subordonnĂ©s, ceux-ci restent sous-informĂ©s.

 Les managers doivent donc trouver des moyens systĂ©matiques de partager les informations importantes : mises au point rĂ©guliĂšres avec les personnes-clĂ©s de l’équipe, enregistrement hebdomadaire des donnĂ©es, maintien Ă  jour d’un agenda commun, ou autres mĂ©thodes similaires peuvent aider considĂ©rablement Ă  sortir de ces impasses. Le temps passĂ© Ă  diffuser l’information sera largement compensĂ© au moment de prendre les dĂ©cisions. Certains opposeront sans doute Ă  ces procĂ©dĂ©s la question de la confidentialitĂ©. À ceux-lĂ , Mintzberg suggĂšre de mesurer les risques de diffuser une information privilĂ©giĂ©e contre le bĂ©nĂ©fice d’avoir des subordonnĂ©s capables de prendre des dĂ©cisions efficaces.

S’il y a un thĂšme qui sert de leitmotiv Ă  cet article, c’est que les contraintes de sa fonction poussent le manager Ă  prendre en charge trop de travail, Ă  encourager les interruptions, Ă  rĂ©pondre rapidement Ă  chaque sollicitation, Ă  rechercher le concret et Ă©viter l’abstraction, Ă  prendre des dĂ©cisions par petits bouts, et Ă  tout faire abruptement. Le manager se voit donc au dĂ©fi de ne pas cĂ©der Ă  la superficialitĂ© et d’accorder toute son attention aux questions qui la mĂ©ritent, en prenant le recul nĂ©cessaire afin d’avoir une vue d’ensemble. En effet, bien qu’un manager efficace doive rĂ©gler rapidement de nombreux problĂšmes de tous ordres, le danger est de traiter chaque question de la mĂȘme maniĂšre (c’est-Ă -dire abruptement) et de ne jamais tirer des faits concrets et des informations Ă©parses qui lui parviennent, une image globale de son univers. Pour construire une telle image, les managers peuvent confronter leurs propres modĂšles Ă  ceux des spĂ©cialistes. Le manager confrontĂ© Ă  une situation complexe peut tirer profit d’un contact Ă©troit avec les analystes en gestion de son organisation ou de son secteur. Car ils ont quelque chose que le manager n’a pas : du temps pour sonder les questions complexes. Une relation de travail efficace suppose de rĂ©soudre ce Mintzberg appelle le « dilemme de la planification » : le manager possĂšde l’information et l’autoritĂ© ; les analystes ont le temps et les outils. Une bonne collaboration entre les deux demande au premier d’apprendre Ă  partager l’information, et aux seconds de savoir s’adapter aux besoins du manager. Pour le consultant, s’adapter signifie abandonner un peu le souci de l’élĂ©gance au profit de la rapiditĂ© et de la flexibilitĂ© des mĂ©thodes. Les analystes peuvent aider le manager Ă  planifier son temps, fournir des donnĂ©es analytiques, coordonner des projets, dĂ©velopper des modĂšles pour faciliter la prise de dĂ©cision, mettre sur pied des plans d’urgence pour remĂ©dier aux crises prĂ©visibles, et faire une analyse expĂ©ditive et grossiĂšre de celles qu’il n’est pas possible d’anticiper. Mais il ne peut y avoir de coopĂ©ration si les analystes restent en dehors du canal d’information managĂ©rial.

Pour le manager le dĂ©fi est ici de parvenir Ă  maĂźtriser son temps en faisant de ses devoirs des avantages et de ses aspirations des devoirs.D’une part, les managers doivent passer tant de temps Ă  se dĂ©charger de leurs devoirs que s’ils les envisageaient seulement de cette maniĂšre, ils ne laisseraient aucune marque dans l’entreprise. Les managers que boude la rĂ©ussite imputent leur Ă©chec Ă  leurs nombreuses contraintes. Tandis qu’un dirigeant efficace les transforme en avantages (un discours donne l’occasion d’appuyer une cause, une rĂ©union l’opportunitĂ© de restructurer un dĂ©partement dĂ©faillant, la visite d’un client ou d’un confrĂšre une chance d’apprendre des informations sur la profession…). D’autre part, le manager libĂšre du temps pour faire des choses que lui juge importantes, en les changeant en devoirs. Le temps libre se crĂ©e, il ne s’autogĂ©nĂšre pas. EspĂ©rer trouver le temps de mĂ©diter ou de faire de la prĂ©vision Ă  long terme, revient Ă  espĂ©rer que les pressions du travail cesseront un jour. Les cadres qui veulent innover initient des projets et imposent aux autres de leur en rendre compte. Ceux qui ont besoin de certaines informations extĂ©rieures Ă©tablissent des rĂ©seaux qui les tiendront automatiquement informĂ©s. Quant Ă  ceux qui doivent faire la tournĂ©e de leur usine, ils en profitent pour manifester leur engagement.

Mintzberg conclut sur quelques mots Ă  propos de la formation des managers. Il soulignait Ă  l’époque de l’article que les instituts de management avaient fait un travail remarquable en formant des spĂ©cialistes de l’organisation, gestionnaires scientifiques, analystes du marchĂ©, comptables et spĂ©cialistes du dĂ©veloppement des organisations, mais que dans l’ensemble, on ne pouvait pas dire qu’ils aient formĂ© des managers. Visionnaire, il affirmait alors que les Ă©coles de management commenceraient Ă  former sĂ©rieusement des managers lorsqu’elles accorderaient la mĂȘme place Ă  l’enseignement pratique qu’à l’enseignement thĂ©orique. L’enseignement cognitif est dĂ©tachĂ© et informatif, comme le fait de lire un livre ou d’écouter un cours. Certes, le futur manager doit assimiler un bon nombre de connaissances importantes, mais un savoir thĂ©orique ne formera pas plus un manager qu’il ne forme un athlĂšte Ă  la natation. Ce dernier se noiera dĂšs qu’il plongera dans l’eau, si son instructeur ne l’a jamais sorti de la salle de cours, afin qu’il se mouille, et puisse juger de ses performances. En d’autres termes, on acquiert une compĂ©tence grĂące Ă  la pratique et Ă  l’évaluation de nos performances, qu’il s’agisse de situations rĂ©elles ou simulĂ©es. Si les Ă©coles de management ont progressĂ© sur l’évaluation pratique des compĂ©tences utiles aux managers et ont dĂ©veloppĂ© notamment l’alternance et le systĂšme de stages, le propos peut ĂȘtre rĂ©actualisĂ© par le manque de formation spĂ©cifique au management et au leadership en dehors des secteurs commerciaux, et notamment dans le cursus universitaire des professions mĂ©dicales et paramĂ©dicales qui continuent de nĂ©gliger cet aspect majeur du mĂ©tier de mĂ©decin, de dentiste, d’infirmier libĂ©ral…

La fonction de manager implique un grand nombre de compĂ©tences : dĂ©velopper des relations avec ses pairs, conduire des nĂ©gociations, motiver ses subordonnĂ©s, rĂ©soudre des conflits, Ă©tablir des rĂ©seaux d’information pour collecter puis diffuser l’information, prendre des dĂ©cisions dans un contexte dominĂ© par l’incertitude, distribuer des ressources… Il n’y a pas selon Mintzberg de travail plus essentiel Ă  notre sociĂ©tĂ© que celui de manager, car c’est lui qui dĂ©termine si nos institutions sociales nous servent vĂ©ritablement ou si elles gaspillent nos ressources et nos talents, et parce qu’il s’intĂšgre Ă  la plupart des formes d’activitĂ©, y compris en milieu mĂ©dical. Il est temps de dĂ©barrasser la fonction de manager du folklore qui l’entoure et de son cantonnement aux secteurs commerciaux, et de l’étudier dans tous les secteurs d’activitĂ©s avec rĂ©alisme si l’on veut entreprendre la tĂąche difficile de l’amĂ©liorer partout.