(Dossier basé sur
lâouvrage anthologique Le Leadership, prĂ©facĂ© par Franck Riboud)
La Harvard Business
Review rĂ©Ă©dite rĂ©guliĂšrement certains articles devenus aujourdâhui des «
classiques ». Ceux-ci remontent parfois jusquâaux annĂ©es 70, mais sont pour la
plupart toujours riches dâenseignement. Cette sĂ©lection de huit dâentre eux,
traduite et compilĂ©e par Nouveaux Horizon, sâattache, Ă travers les tĂ©moignages
de divers experts, Ă dessiner les contours de la notion de leadership, et
rappelle sâil Ă©tait besoin quâil y a autant de maniĂšres de concevoir le
leadership quâil y a de leaders et dâentreprises, et les nombreuses leçons que
lâon peut en tirer sâadaptent sans peine au cabinet-entreprise tel quâil est
indispensable de le concevoir aujourdâhui.
I. Profession
manager : mythes et réalité (Henry Mintzberg)
Henry Mintzberg , professeur dâĂ©tudes de management, titulaire de la chaire Cleghorn, Ă 1âuniversitĂ© canadienne McGill Ă MontrĂ©al et professeur dâorganisation Ă IâINSEAD de Fontainebleau, a consacrĂ© ses recherches Ă la nature et aux styles de travail du manager, ainsi quâaux formes dâorganisation et au processus de formation de la stratĂ©gie. Lâarticle rĂ©fĂ©rencĂ© prĂ©sente une analyse approfondie de la fonction managĂ©riale. PubliĂ©e Ă lâorigine en 1975, cette Ă©tude pose la question suivante : « En quoi consiste le travail des managers ? »
Les mythes Ă lâĂ©preuve des faits
Lâauteur puise dans sa propre recherche et dans dâautres Ă©tudes pour prĂ©senter des faits qui dĂ©mentent les quatre mythes qui entourent le travail du manager , mais ne rĂ©sistent pas Ă lâexamen soigneux des faits :
Mythe n° 1 : le management est un plan
méthodique et réfléchi.
La réalité : toutes les études démontrent
que les managers travaillent sans répit, que leurs activités se caractérisent
par la briĂšvetĂ©, la diversitĂ© et la discontinuitĂ©, et quâils sont par ailleurs
essentiellement tournĂ©s vers lâaction.
Les
faits : LâĂ©tude des agendas de 160 cadres moyens et supĂ©rieurs
britanniques a dĂ©montrĂ© quâils parvenaient Ă travailler sans interruption
pendant une demi-heure et plus, environ une fois tous les deux jours. Sur le
nombre des contacts verbaux que les managers de cette Ă©tude Ă©changeaient, 93 %
sâorganisaient sur une base informelle. Seul 1 % du temps de ces cadres Ă©tait
consacrĂ© Ă des tournĂ©es dâinspection, sans limite de durĂ©e. Seul un Ă©change
verbal sur 368 ne concernait pas une question spĂ©cifique et pouvait donc ĂȘtre
considéré comme relevant de la planification générale.
Il
semble quâun manager soit toujours tenaillĂ© entre ce quâil voudrait faire et ce
quâil peut faire. Lorsque les managers doivent planifier, câest implicitement
quâils le font, dans le contexte de leur activitĂ© quotidienne, plutĂŽt que par
quelque processus abstrait pour lequel lâentreprise se rĂ©serverait deux
semaines de retraite à la montagne. Les plans des managers étudiés semblaient
nâexister nulle part ailleurs que dans leur tĂȘte, sous la forme dâintentions
flexibles quoi que relativement précises. Excepté dans la littérature classique
qui lui est consacrée, le management ne produit pas de planificateurs réfléchis :
les managers se contentent de répondre à des stimuli et sont conditionnés, par
leur travail, Ă prĂ©fĂ©rer lâaction immĂ©diate Ă lâaction diffĂ©rĂ©e.
Mythe n° 2 : le manager efficace nâa pas
dâobligations rĂ©guliĂšres Ă remplir.
La rĂ©alitĂ© ; le travail dâun manager
comporte un certain nombre dâobligations rĂ©guliĂšres, incluant rites et
cérémonies, négociations et traitement des informations informelles qui relient
lâorganisation Ă son environnement.
Les
faits : Ne recommande-t-on pas sans cesse aux chefs dâentreprise de passer
plus de temps à planifier ou déléguer et moins de temps à voir les clients ou
négocier les contrats, missions qui aprÚs tout ne sont pas les siennes ? Pour
reprendre une analogie répandue, le bon manager, comme le bon metteur en scÚne,
prĂ©pare tout soigneusement Ă lâavance, puis sâassoit dans son fauteuil pour
répondre éventuellement aux situations imprévues. Mais là encore, cette
séduisante abstraction ne tient simplement pas la route. Une étude sur le
travail des dirigeants de petites et moyennes entreprises montre quâils
effectuent des activitĂ©s routiniĂšres parce quâils manquent de moyens dâembauche
suffisants pour recruter un personnel spĂ©cialisĂ© et disposent dâune main dâĆuvre
tellement mince, quâune seule absence nĂ©cessite quâils comblent eux-mĂȘmes la
lacune ainsi crĂ©Ă©e. Une Ă©tude sur des chefs dâĂ©quipe de vente et une autre sur
des directeurs gĂ©nĂ©raux suggĂšre quâil entre naturellement dans leur mission de
recevoir les clients importants, et de sâassurer ainsi leur fidĂ©litĂ©. Lâun de
ces cadres, qui ne plaisantait quâĂ moitiĂ©, dĂ©crit mĂȘme le manager comme la
personne qui reçoit les visiteurs afin que les autres puissent continuer Ă
travailler.
Les
recherches sur la circulation de lâinformation montrent Ă©galement que les
managers jouent un rĂŽle important dans le contrĂŽle des informations non
officielles en provenance de lâextĂ©rieur (la plupart nâĂ©tant connues que dâeux
seuls, en raison de leur statut) et leur diffusion auprĂšs du personnel.
Mythe n°3 : le cadre supérieur a besoin
dâune information globale systĂ©matisĂ©e
La
rĂ©alitĂ© : les managers prĂ©fĂšrent de loin lâinformation orale (coups de
tĂ©lĂ©phone, rĂ©unions…), aux documents Ă©crits.
Les
faits : Il nây a pas si longtemps, dans les ouvrages de management, il nâĂ©tait
partout question que de systĂšme
dâinformation total ou systĂšme intĂ©grĂ© de gestion (SIG).
ConformĂ©ment Ă lâimage classique du manager perchĂ© au sommet dâune structure
hiérarchique et réglementée, ce personnage de littérature était censé recevoir
toutes les informations importantes dâun SIG gĂ©ant. Mais rapidement, comme le
prĂ©voyait Mintzberg, les managers ont tout simplement cessĂ© dâutiliser ces
systÚmes géants. Il suffit de regarder la façon dont les managers traitent en
rĂ©alitĂ© lâinformation pour comprendre pourquoi. Selon deux Ă©tudes britanniques,
les managers passent en moyenne 66 % et 80 % de leur temps en communication
orale. Dans lâĂ©tude de Mintzberg, concernant cinq PDG amĂ©ricains, ce chiffre Ă©tait
de 78 %.
Les
cinq dirigeants observés traitaient le courrier comme une corvée à expédier.
Lâun dâeux vint, par exemple, un samedi matin traiter 142 lettres en lâespace
de trois heures seulement, histoire de sâen dĂ©barrasser. Ce mĂȘme manager jeta
un coup dâĆil au premier courrier substantiel reçu de la semaine, une Ă©tude de
coĂ»t classique, quâil mit de cĂŽtĂ© en disant : « Je ne les regarde jamais ». Ces
mĂȘmes cinq dirigeants traitĂšrent immĂ©diatement 2 des 40 rapports de routine
reçus pendant les cinq semaines que dura lâĂ©tude et 4 pĂ©riodiques parmi les 104
auxquels ils étaient abonnés. Ils survolaient la plupart de ces périodiques en
quelques secondes, un peu comme un rituel. En tout et pour tout, ces dirigeants
dâentreprises de taille respectable envoyĂšrent 25 courriers de leur propre
initiative (autrement dit pas en rĂ©ponse Ă quelque chose) en lâespace de ces 25
jours dâobservation.
Lâanalyse
des courriers reçus rĂ©vĂ©la dâautres dĂ©tails intĂ©ressants : seuls 13 %
sâavĂ©raient dâune utilitĂ© prĂ©cise et immĂ©diate. Ce qui ajoute une nouvelle
piĂšce au tableau : en fait, une part minime du courrier apporte une information
brĂ»lante et actuelle (le mouvement dâun concurrent, lâhumeur du
lĂ©gislateur…). Câest pourtant ce type dâinformation qui pousse les managers Ă
agir, à interrompre une réunion ou à chambouler leur emploi du temps, et ce
plus encore avec la multiplication actuelle des moyens de communication
(emails, mobiles…)
Autre
dĂ©couverte intĂ©ressante et qui nâa pas changĂ© : les managers semblent valoriser
les informations « officieuses », et particuliÚrement les rumeurs et autres
conjectures. Pourquoi ? En raison de leur actualité et de leur pertinence : la
rumeur dâaujourdâhui peut devenir la rĂ©alitĂ© de demain. Le manager qui rate un
coup de fil révélant que le plus gros client de la société a été vu en train de
jouer au golf avec un concurrent peut constater la chute brutale de ses ventes
dans le prochain rapport trimestriel. Mais alors, il est trop tard.
Pour
nuancer la valeur de lâinformation officielle, historique et globale des SIG,
il suffit de penser Ă deux des principales fonctions de lâinformation, Ă savoir
:
Détecter les problÚmes ou les opportunités
Ălaborer des modĂšles (du fonctionnement du systĂšme budgĂ©taire de lâentreprise, des comportements des consommateurs, de la maniĂšre dont les changements Ă©conomiques affectent lâentreprise…).
LâexpĂ©rience
semble montrer que ce nâest pas Ă lâaide de lâinformation abstraite et
synthĂ©tique produite par les SIG quâun manager identifie les crĂ©neaux de
dĂ©cision ou quâil conçoit des modĂšles, mais grĂące Ă des donnĂ©es fragmentaires
et concrĂštes.
La
prĂ©dilection des managers pour lâinformation orale appelle deux remarques
importantes. Cela signifie premiĂšrement que cette information est en bonne
partie stockĂ©e dans le cerveau de quelques-uns. Ce nâest quâune fois Ă©crite
quâelle est enregistrĂ©e dans les dossiers de lâorganisation. Or les cadres
notent rarement, semble-t-il, les renseignements quâils dĂ©tiennent. Aussi les
banques de données stratégiques des organisations ne se trouvent pas dans la
mémoire de leurs ordinateurs mais dans celle de leurs managers. DeuxiÚmement,
lâusage intensif quâils font de la communication orale, explique pourquoi ils
sont souvent rĂ©ticents Ă dĂ©lĂ©guer les tĂąches. Il ne sâagit pas en effet de
transmettre un dossier à un subordonné, mais de prendre la peine de « décharger
leur mĂ©moire », autrement dit expliquer tout ce quâils savent sur le
sujet. Or cela peut demander tellement de temps, quâil peut sembler plus facile
de faire le travail soi-mĂȘme. Les managers se condamnent donc eux-mĂȘmes, par
leur propre systĂšme dâinformation, au dilemme de la dĂ©lĂ©gation : tout faire eux-mĂȘmes
ou déléguer à des subordonnés moins bien informés.
Mythe n°4 : le management est devenu une
science et une profession.
La
rĂ©alitĂ© : Quel que soit le sens quâon donne aux mots science et profession , cette affirmation est pratiquement toujours
fausse. Il suffit dâobserver briĂšvement nâimporte quel manager pour abandonner
aussitĂŽt lâidĂ©e quâil pratique une science. Toutefois la situation a
drastiquement Ă©voluĂ© depuis la rĂ©daction de lâarticle, et si les faits
contredisent souvent le mythe, lâeffort dans le sens de la formation et de la
mise en Ćuvre de procĂ©dures ou protocoles systĂ©matiques, semblent en tout cas
tendre Ă nuancer le propos de Mintzberg.
Les faits : Si lâon regarde
objectivement la réalité du travail des managers, nous constatons que leur
mission est Ă©minemment complexe et ardue. Ils sont surchargĂ©s dâobligations
quâils peuvent nĂ©anmoins difficilement dĂ©lĂ©guer. Ils sont donc conduits Ă se
surmener et Ă effectuer un bon nombre de tĂąches de maniĂšre superficielle.
BriÚveté, morcellement, communication verbale, caractérisent leur travail. Et
cependant, ce sont ces caractĂ©ristiques mĂȘmes qui ont motivĂ© les chercheurs
scientifiques Ă tenter dâamĂ©liorer celui-ci. Câest pourquoi leurs efforts ont
essentiellement portĂ© sur les fonctions spĂ©cialisĂ©es de lâorganisation, lĂ oĂč
il Ă©tait le plus facile dâanalyser les procĂ©dures et de quantifier lâinformation.
Mais
la pression qui pĂšse sur les managers ne fait que sâaccentuer. LĂ oĂč
prĂ©cĂ©demment ceux-ci nâavaient Ă rĂ©pondre quâĂ leur direction ou au
propriĂ©taire de lâentreprise, voire Ă personne sâils portaient cette double
casquette, ils doivent aujourdâhui faire face Ă des subordonnĂ©s, obĂ©issant Ă
des processus dĂ©mocratiques, qui rĂ©duisent sans cesse la libertĂ© dâĂ©mettre des
ordres sans donner dâexplication, ainsi quâĂ un nombre croissant dâacteurs
extĂ©rieurs (groupements de consommateurs, pouvoirs publics, etc.) quâils
doivent Ă©galement prendre en considĂ©ration. Si bien quâils ne savent plus oĂč se
tourner pour trouver de lâaide. Mais le premier pas avant de pouvoir leur
apporter un quelconque soutien, est de déterminer en quoi consiste exactement leur
travail.
Retour
à une définition de base du travail managérial
RĂŽles de
relation
Trois
des rÎles du manager découlent directement de son autorité formelle et
impliquent des relations essentielles.
Tout
dâabord le rĂŽle de reprĂ©sentant :
en tant que responsable dâune organisation ou dâune unitĂ©, tout manager
doit sâacquitter de certaines obligations sociales. Le prĂ©sident accueillera
les personnages officiels en visite. Le contremaĂźtre assistera au mariage dâun
de ses ouvriers. Le directeur de ventes invitera un client important Ă
déjeuner.
Les
managers Ă©tudiĂ©s consacraient 12 % de leurs Ă©changes Ă ce genre dâactivitĂ©s
mondaines ; 17 % du courrier quâils recevaient consistaient en marques de
reconnaissance et en demandes liées à leur statut. Ainsi par exemple, une
lettre sollicitait dâun PDG la fourniture de marchandises gratuites pour un
élÚve handicapé. Ces missions de représentation ont parfois un caractÚre de
routine et nâimpliquent pas de communications ou de dĂ©cisions sĂ©rieuses. Elles
sont malgrĂ© tout importantes pour le bon fonctionnement dâune organisation et
ne sauraient ĂȘtre nĂ©gligĂ©es.
Les managers sont responsables du travail des membres de leur Ă©quipe . Leurs actions dans ce domaine correspondent au rĂŽle de leader . Certaines de ces actions dĂ©coulent directement de ce rĂŽle. Ainsi, dans la plupart des organisations, les managers sont habituellement chargĂ©s du recrutement et de la formation de leur personnel. Ă cela sâajoute lâexercice indirect du rĂŽle de leader. Par exemple, tout manager doit motiver et encourager ses salariĂ©s, et parvenir Ă concilier leurs besoins avec les objectifs de lâorganisation. Pratiquement tous les contacts que les salariĂ©s ont avec leur manager visent Ă obtenir des indices sur ce quâil attend dâeux : « Est-ce quâil mâapprouve ? » « QuâespĂšre-t-il de cette consigne ? » etc. Câest dans le rĂŽle de leader que lâinfluence des managers apparaĂźt le plus clairement. LâautoritĂ© dont ils jouissent leur donne un grand pouvoir ; câest principalement dans ce rĂŽle quâils dĂ©montreront leur capacitĂ© ou non Ă lâexercer.
La
littérature consacrée au management a toujours reconnu le rÎle de leader,
notamment dans ses aspects en relation avec la motivation. Elle a en revanche
rarement soulignĂ© son rĂŽle dâagent de
liaison , dans lequel le manager Ă©tablit des contacts en dehors de la chaĂźne
verticale de commande. Câest un fait mis en Ă©vidence dans pratiquement chaque
étude consacrée au travail des managers que ceux-ci passent autant de temps
avec leurs pairs et autres personnes en dehors de leur unitĂ© quâavec leurs
subordonnés, et, chose surprenante, trÚs peu avec leurs propres supérieurs.
Dans
une enquĂȘte effectuĂ©e par Rosemary Stewart sur lâagenda de managers
dâentreprises britanniques, les 160 cadres moyens et supĂ©rieurs quâelle a
étudiés passaient 47 % de leur temps avec leurs collÚgues, 41 % avec des gens
de lâextĂ©rieur, contre seulement 12 % avec leurs supĂ©rieurs. Dans lâĂ©tude de
Robert Guest portant sur des contremaßtres américains, les chiffres étaient de
44 %, 46 % et 10 % respectivement. Quant aux managers de lâĂ©tude, 44 % de leurs
contacts avaient lieu avec des personnes extérieures, 48 % avec leurs
subordonnés, et 7 % avec leurs directeurs et membres du conseil
dâadministration. Les contacts de ces cinq managers concernaient une variĂ©tĂ©
incroyable de gens subordonnés : clients, associés, fournisseurs,
homologues, reprĂ©sentants des pouvoirs publics ou des syndicats…
RĂŽles
dâinformation
En
vertu des nombreux contacts personnels quâil entretient avec ses subordonnĂ©s et
tout un réseau de relations, le manager apparaßt comme le centre névralgique au
sein de son unitĂ©. Il nâest peut-ĂȘtre pas au courant de tout mais il est
généralement mieux informé que ses subordonnés.
Les
Ă©tudes montrent que cela sâapplique aussi bien au chef de gang quâau prĂ©sident
dâune nation. Dans son livre consacrĂ© aux groupes humains, (The human group ), et notamment aux
gangs, George Homans nous en donne la raison. Parce que le chef se situe au
centre des flux dâinformation, toutes les nouvelles convergent vers lui au sein
de sa bande ; de plus il est en contact Ă©troit avec dâautres chefs de gang,
câest pourquoi il est toujours mieux informĂ© quâaucun membre de son groupe
Quant au président, Richard Neustadt remarque, par exemple, que la maniÚre dont
Roosevelt recueillait lâinformation relevait de la pure compĂ©tition : « âIl
vous appelait dans son bureauâ, me dit un jour lâun de ses collaborateurs, âet
vous demandait de vous renseigner sur telle ou telle affaire compliquée. Et
lorsque vous reveniez, aprĂšs deux jours dâenquĂȘte laborieuse, pour lui livrer
le morceau juteux que vous aviez dĂ©nichĂ© dans quelque coin obscur, câest alors
que vous vous rendiez compte quâil connaissait dĂ©jĂ toute lâhistoire et mĂȘme
certains dĂ©tails qui vous avaient Ă©chappĂ©. DâoĂč il tenait ses informations, la
plupart du temps il nâen disait rien, mais lorsquâil vous avait fait le coup
une fois ou deux, vous deveniez trĂšs prudent quant Ă votre propre information.â»
Il
nâest pas bien difficile de voir dâoĂč Roosevelt « tenait ses informations », si
lâon considĂšre les liens entre rĂŽles de relation et rĂŽles dâinformation. Par
son autorité, tout manager a un accÚs officiel et privilégié à tous les membres
du personnel. En outre, son rĂŽle de liaison avec lâextĂ©rieur lui fournit une
information qui fait souvent défaut à ses subordonnés. Beaucoup de ses contacts
ont lieu avec dâautres managers de mĂȘme rang, qui sont eux-mĂȘmes des centres
nĂ©vralgiques au sein de leur organisation. Câest ainsi que le manager peut
développer une banque de données considérable.
Traiter
lâinformation est un des rĂŽles-clĂ©s des managers. Ceux Ă©tudiĂ©s consacraient 40
% de leur temps dâĂ©change Ă des activitĂ©s exclusivement destinĂ©es Ă la
transmission dâinformation. 70 % du courrier quâils recevaient avaient une
vocation purement informative (autrement dit ne constituaient pas des demandes
dâintervention) En dâautres termes, on ne peut pas dire que les managers
quittent les réunions ou raccrochent le téléphone pour se remettre au travail,
car la communication est par essence leur travail. Trois rĂŽles distincts
dĂ©crivent lâaspect informatif du travail managĂ©rial :
Dans son rĂŽle de pilote , le manager scrute sans cesse son environnement en quĂȘte dâinformations, interrogeant ses contacts ou ses salariĂ©s, recevant des informations spontanĂ©es, en bonne partie grĂące Ă son rĂ©seau de relations. Rappelons que la plupart des informations quâil collecte dans son rĂŽle de pilote , lui parviennent oralement, sous forme de bruits de couloir, de rumeurs ou de spĂ©culations.
Dans son rĂŽle de diffuseur le manager passe des informations importantes Ă ses salariĂ©s, qui autrement nây auraient pas accĂšs. Lorsque la communication fait dĂ©faut entre ses subordonnĂ©s, le manager peut transmettre lâinformation dâune personne Ă lâautre.
En tant que porte-parole , le manager rĂ©percute des informations Ă lâextĂ©rieur de son unitĂ© : un PDG prononce un discours pour soutenir la cause de lâentreprise, ou un chef dâĂ©quipe suggĂšre Ă un fournisseur de modifier un produit… En outre, en tant que porte-parole , tout manager doit informer et satisfaire les personnes qui exercent une forme dâinfluence ou de contrĂŽle sur son unitĂ©. Pour le contremaĂźtre, cela peut signifier simplement tenir le directeur dâusine informĂ© du flux de travail au sein de son atelier.
RĂŽles
de décision
Lâinformation
nâest pas, bien entendu, une fin en soi ; elle ne fait que fournir les
donnĂ©es nĂ©cessaires Ă la prise de dĂ©cision. Ătudier le travail du manager met
en lumiÚre son rÎle central dans le processus de décision de son unité. En
vertu de lâautoritĂ© que lui confĂšre son statut, seul le manager peut engager
son unité à adopter une nouvelle ligne de conduite, et en tant que centre
nĂ©vralgique de celle-ci, lui seul possĂšde lâinformation complĂšte et actuelle
pour prendre les décisions qui vont guider la stratégie de son équipe. Les
rÎles de décision sont au nombre de quatre : entrepreneur, gestionnaire de
crise, gestionnaire de ressources, et négociateur.
En tant quâentrepreneur , le manager cherche Ă faire Ă©voluer son unitĂ© et Ă lâadapter aux changements de lâenvironnement. Dans son rĂŽle de pilote, un dirigeant est toujours Ă lâaffĂ»t de concepts nouveaux. Lorsquâune bonne idĂ©e surgit, il initie un projet de dĂ©veloppement quâil supervise lui-mĂȘme ou quâil dĂ©lĂšgue Ă un membre de son Ă©quipe (en prĂ©cisant Ă©ventuellement si la proposition finale doit ĂȘtre soumise Ă son approbation). Du point de vue des managers, ces projets de dĂ©veloppement prĂ©sentent deux caractĂ©ristiques intĂ©ressantes. Tout dâabord, ces projets nâimpliquent pas une dĂ©cision unique, ni mĂȘme un ensemble cohĂ©rent de dĂ©cisions, mais apparaissent plutĂŽt comme une suite de petites dĂ©cisions et dâactions qui sâĂ©chelonnent au cours du temps. Les dirigeants semblent prolonger chaque projet de maniĂšre Ă ce quâil sâinscrive dans un emploi du temps chargĂ© et dĂ©cousu, et quâils puissent en comprendre progressivement les aspects complexes. Ensuite, les dirigeants Ă©tudiĂ©s supervisaient parfois pas moins de cinquante projets simultanĂ©ment . Certains concernaient des nouveaux produits ou procĂ©dĂ©s ; dâautres impliquaient des campagnes de publicitĂ©, lâamĂ©lioration de la situation financiĂšre, la rĂ©organisation dâun service dĂ©faillant, la rĂ©solution dâun problĂšme de motivation dans une division, lâinformatisation de certaines opĂ©rations, des processus dâacquisition Ă diffĂ©rents stades de dĂ©veloppement, etc. Les managers semblent tenir une sorte dâinventaire de lâĂ©volution de ces projets et de leur stade de maturation. Tels des jongleurs, ils maintiennent un certain nombre de projets en suspens dans les airs. De temps en temps, lâun dâentre eux retombe, auquel ils donnent une nouvelle impulsion avant de le renvoyer en orbite. Ă un moment ou Ă un autre, ils lancent de nouveaux projets et en abandonnent dâautres.
Alors que le rĂŽle dâentrepreneur montre le manager en tant quâinitiateur volontaire du changement, il arrive des moments oĂč celui-ci est imposĂ© par les circonstances, câest lĂ que le gestionnaire de crise dĂ©crit le manager en tant quâacteur involontaire du changement, rĂ©pondant Ă lâurgence. Ici, le changement Ă©chappe Ă son contrĂŽle. Les contraintes dâune situation sont trop sĂ©rieuses pour ĂȘtre ignorĂ©es, une grĂšve menace, un gros client transfĂšre sa clientĂšle ou fait faillite, un fournisseur fait faux bond etc. : quel que soit le problĂšme, il est obligĂ© dâagir. Leonard Sayles, auteur dâintĂ©ressantes recherches sur le travail du manager, compare celui-ci Ă un chef dâorchestre, qui dirige une symphonie et doit assurer lâharmonie de lâensemble, tout en traitant les problĂšmes des musiciens ou toute autre perturbation extĂ©rieure. Le manager passe en effet un temps considĂ©rable Ă rĂ©soudre des problĂšmes imprĂ©vus et urgents . Nulle organisation nâest jamais si bien gĂ©rĂ©e et « certifiĂ©e », quâelle puisse prĂ©tendre anticiper tous les alĂ©as dâun environnement dominĂ© par lâincertitude. Une perturbation nâarrive pas seulement parce quâun mauvais manager ne mesure la gravitĂ© dâune situation que lorsquâelle devient critique, mais parce quâun bon manager ne peut prĂ©voir toutes les consĂ©quences de ses actes.
Le gestionnaire de ressources constitue
le troisiĂšme rĂŽle de dĂ©cision du manager. Câest ce dernier en effet qui dĂ©cide
qui aura quoi. Et la ressource la plus importante quâil doit allouer est sans
doute son temps. Avoir accĂšs au manager câest avoir accĂšs au centre de
décision, au centre névralgique du service. Le manager définit aussi la
structure de son unitĂ©, le schĂ©ma de relations, lâorganigramme selon lequel les
activités sont réparties et coordonnées.
En
tant que responsable de lâaffectation des ressources, câest Ă©galement le
manager qui autorise les dĂ©cisions importantes de son unitĂ© avant leur mise en Ćuvre.
Exercer ce pouvoir lui permet de veiller à la cohérence des décisions, tandis
que le fragmenter favorise un processus de décision et une stratégie décousus.
Le
fait que le manager entérine les décisions de son unité a plusieurs
consĂ©quences importantes. Tout dâabord, malgrĂ© lâusage rĂ©pandu des procĂ©dures
de budgétisation, programmant un ensemble de dépenses, Mintzberg a constaté que
les dirigeants autorisaient de nombreuses décisions de maniÚre informelle.
Apparemment, de nombreux projets ne peuvent pas attendre ou ne permettent pas
la quantification des coĂ»ts et des bĂ©nĂ©fices que requiert lâĂ©tablissement dâun
budget. De plus, les dirigeants de lâĂ©tude se trouvaient confrontĂ©s Ă des choix
dâune extrĂȘme complexitĂ©. Ils devaient mesurer lâimpact que telle dĂ©cision
aurait sur les autres projets et sur la stratĂ©gie de lâorganisation. Ils
devaient sâassurer que la dĂ©cision serait acceptable par ceux qui influaient sur
les destinĂ©es de lâorganisation, et que les ressources engagĂ©es ne seraient pas
dépassées. Ils devaient estimer les coûts et les bénéfices ainsi que la
faisabilité du projet proposé. Ils devaient également planifier les activités
dans le temps et en évaluer la durée. Voilà tout ce que signifiait la simple
approbation de la dĂ©cision de quelquâun dâautre. En mĂȘme temps, diffĂ©rer la
dĂ©cision pouvait compromettre le projet, tandis quâune approbation rapide
pouvait passer pour de la légÚreté, et un rejet trop prompt risquait de
décourager le collaborateur qui avait passé des mois à le peaufiner. Une
solution commune consiste Ă choisir la bonne personne plutĂŽt que la bonne
proposition â. Ainsi, le manager autorise les projets prĂ©sentĂ©s par les gens en
qui il a confiance. Mais il nâest pas toujours possible de contourner le
problĂšme de cette maniĂšre.
Le
dernier rÎle de décision est celui de négociateur . Les managers
consacrent un temps non nĂ©gligeable Ă la nĂ©gociation : le prĂ©sident dâune
Ă©quipe de football Ă©tudie le transfert dâune superstar, le PDG dâune entreprise
amĂšne le personnel Ă trouver un compromis Ă la grĂšve, le contremaĂźtre discute
une revendication avec un dĂ©lĂ©guĂ© syndical… Toutes ces formes de nĂ©gociation interne
sont partie intĂ©grante du travail dâun manager, car lui seul dĂ©tient le pouvoir
dâengager les ressources de lâorganisation en temps rĂ©el et lâinformation
pertinente que requiĂšrent dâimportantes tractations.
Intégrer
tous les rĂŽles
Il
devrait apparaßtre clairement maintenant que ces dix rÎles ne sont pas aisément
séparables. Selon la terminologie des psychologues, ils forment une gestalt, un
tout intĂ©grĂ©. On ne peut extraire aucun de ces rĂŽles sans modifier lâensemble.
Ici se trouve une des clés aux problÚmes posés par le management en équipe.
Deux ou trois personnes ne peuvent se partager une responsabilité managériale
que si elles sont capables dâagir comme une seule entitĂ©. Cela signifie
quâelles ne peuvent se rĂ©partir les dix rĂŽles Ă©voquĂ©s plus haut quâĂ condition
de soigneusement les réintégrer en une seule fonction. La difficulté majeure
rĂ©side dans les rĂŽles dâinformation si elles ne parviennent pas Ă partager
toute lâinformation managĂ©riale â laquelle, avons-nous dit, est essentiellement
orale â lâĂ©quipe de management sâeffondre, On ne peut pas scinder
arbitrairement les rĂŽles du manager, en fonctions internes ou externes par
exemple, car lâinformation en provenance de ces deux sources sâapplique aux
mĂȘmes dĂ©cisions.
Vers
un management plus efficace
Cette
description de leur travail devrait se révéler en soi plus utile aux managers
que nâimporte quelle prescription quâils pourraient en dĂ©duire. En dâautres
termes, la compĂ©tence dâun manager
dĂ©pend en grande partie de la comprĂ©hension quâil a de son travail. Ses performances seront donc
influencées par la maniÚre dont il interprÚte et dont il répond aux exigences
et aux contradictions de sa fonction. Ainsi les managers qui prennent le temps
de rĂ©flĂ©chir Ă la nature de leur travail ont-ils plus de chances dâĂȘtre
efficaces.
Mintzberg examine de plus prĂšs trois types de prĂ©occupation. Pour lâessentiel, les impasses du management â le dilemme de la dĂ©lĂ©gation, la banque de donnĂ©es centralisĂ©e dans un seul cerveau, la difficultĂ© de travailler avec les gestionnaires scientifiques â tiennent Ă la nature verbale de son information. Or il est dangereux de stocker celle-ci dans la mĂ©moire des managers, car lorsquâils sâen vont, ils lâemportent avec eux. De plus, lorsque la communication laisse Ă dĂ©sirer avec les subordonnĂ©s, ceux-ci restent sous-informĂ©s.
Les
managers doivent donc trouver des moyens systématiques de partager les
informations importantes : mises au point réguliÚres avec les
personnes-clĂ©s de lâĂ©quipe, enregistrement hebdomadaire des donnĂ©es, maintien Ă
jour dâun agenda commun, ou autres mĂ©thodes similaires peuvent aider
considĂ©rablement Ă sortir de ces impasses. Le temps passĂ© Ă diffuser lâinformation
sera largement compensé au moment de prendre les décisions. Certains opposeront
sans doute à ces procédés la question de la confidentialité. à ceux-là ,
Mintzberg suggĂšre de mesurer les risques de diffuser une information
privilĂ©giĂ©e contre le bĂ©nĂ©fice dâavoir des subordonnĂ©s capables de prendre des
décisions efficaces.
Sâil
y a un thĂšme qui sert de leitmotiv Ă cet article, câest que les contraintes de
sa fonction poussent le manager Ă prendre en charge trop de travail, Ă
encourager les interruptions, Ă rĂ©pondre rapidement Ă chaque sollicitation, Ă
rechercher le concret et Ă©viter lâabstraction, Ă prendre des dĂ©cisions par
petits bouts, et à tout faire abruptement. Le manager se voit donc au défi de ne pas céder à la superficialité et
dâaccorder toute son attention aux questions qui la mĂ©ritent, en prenant le
recul nĂ©cessaire afin dâavoir une vue dâensemble. En effet, bien quâun manager efficace doive rĂ©gler rapidement de
nombreux problĂšmes de tous ordres, le danger est de traiter chaque question de
la mĂȘme maniĂšre (câest-Ă -dire abruptement) et de ne jamais tirer des faits
concrets et des informations Ă©parses qui lui parviennent, une image globale de
son univers. Pour construire une telle image, les managers peuvent confronter
leurs propres modÚles à ceux des spécialistes. Le manager confronté à une
situation complexe peut tirer profit dâun contact Ă©troit avec les analystes en
gestion de son organisation ou de son secteur. Car ils ont quelque chose que le
manager nâa pas : du temps pour sonder les questions complexes. Une relation de
travail efficace suppose de résoudre ce Mintzberg appelle le « dilemme de la
planification » : le manager possĂšde lâinformation et lâautoritĂ© ; les
analystes ont le temps et les outils. Une bonne collaboration entre les deux
demande au premier dâapprendre Ă partager lâinformation, et aux seconds de
savoir sâadapter aux besoins du manager. Pour le consultant, sâadapter signifie
abandonner un peu le souci de lâĂ©lĂ©gance au profit de la rapiditĂ© et de la
flexibilité des méthodes. Les analystes peuvent aider le manager à planifier
son temps, fournir des données analytiques, coordonner des projets, développer
des modÚles pour faciliter la prise de décision, mettre sur pied des plans
dâurgence pour remĂ©dier aux crises prĂ©visibles, et faire une analyse expĂ©ditive
et grossiĂšre de celles quâil nâest pas possible dâanticiper. Mais il ne peut y
avoir de coopĂ©ration si les analystes restent en dehors du canal dâinformation
managérial.
Pour le manager le dĂ©fi est ici de parvenir Ă
maĂźtriser son temps en faisant de ses devoirs des avantages et de ses
aspirations des devoirs.Dâune
part, les managers doivent passer tant de temps à se décharger de leurs devoirs
que sâils les envisageaient seulement de cette maniĂšre, ils ne laisseraient aucune
marque dans lâentreprise. Les managers que boude la rĂ©ussite imputent leur
Ă©chec Ă leurs nombreuses contraintes. Tandis quâun dirigeant efficace les
transforme en avantages (un discours donne lâoccasion dâappuyer une cause, une
rĂ©union lâopportunitĂ© de restructurer un dĂ©partement dĂ©faillant, la visite dâun
client ou dâun confrĂšre une chance dâapprendre des informations sur la
profession…). Dâautre part, le manager libĂšre du temps pour faire des choses
que lui juge importantes, en les changeant en devoirs. Le temps libre se crée,
il ne sâautogĂ©nĂšre pas. EspĂ©rer trouver le temps de mĂ©diter ou de faire de la
prévision à long terme, revient à espérer que les pressions du travail
cesseront un jour. Les cadres qui veulent innover initient des projets et imposent
aux autres de leur en rendre compte. Ceux qui ont besoin de certaines
informations extérieures établissent des réseaux qui les tiendront
automatiquement informés. Quant à ceux qui doivent faire la tournée de leur
usine, ils en profitent pour manifester leur engagement.
Mintzberg
conclut sur quelques mots Ă propos de la formation des managers. Il soulignait
Ă lâĂ©poque de lâarticle que les instituts de management avaient fait un travail
remarquable en formant des spĂ©cialistes de lâorganisation, gestionnaires
scientifiques, analystes du marché, comptables et spécialistes du développement
des organisations, mais que dans lâensemble, on ne pouvait pas dire quâils
aient formé des managers. Visionnaire, il affirmait alors que les écoles de
management commenceraient Ă former sĂ©rieusement des managers lorsquâelles
accorderaient la mĂȘme place Ă lâenseignement pratique quâĂ lâenseignement
thĂ©orique. Lâenseignement cognitif est dĂ©tachĂ© et informatif, comme le fait de
lire un livre ou dâĂ©couter un cours. Certes, le futur manager doit assimiler un
bon nombre de connaissances importantes, mais un savoir théorique ne formera
pas plus un manager quâil ne forme un athlĂšte Ă la natation. Ce dernier se
noiera dĂšs quâil plongera dans lâeau, si son instructeur ne lâa jamais sorti de
la salle de cours, afin quâil se mouille, et puisse juger de ses performances.
En dâautres termes, on acquiert une compĂ©tence grĂące Ă la pratique et Ă
lâĂ©valuation de nos performances, quâil sâagisse de situations rĂ©elles ou
simulĂ©es. Si les Ă©coles de management ont progressĂ© sur lâĂ©valuation pratique des
compĂ©tences utiles aux managers et ont dĂ©veloppĂ© notamment lâalternance et le
systĂšme de stages, le propos peut ĂȘtre rĂ©actualisĂ© par le manque de formation
spécifique au management et au leadership en dehors des secteurs commerciaux,
et notamment dans le cursus universitaire des professions médicales et
paramédicales qui continuent de négliger cet aspect majeur du métier de
mĂ©decin, de dentiste, dâinfirmier libĂ©ral…
La
fonction de manager implique un grand nombre de compétences : développer des
relations avec ses pairs, conduire des négociations, motiver ses subordonnés,
rĂ©soudre des conflits, Ă©tablir des rĂ©seaux dâinformation pour collecter puis
diffuser lâinformation, prendre des dĂ©cisions dans un contexte dominĂ© par
lâincertitude, distribuer des ressources… Il nây a pas selon Mintzberg de
travail plus essentiel Ă notre sociĂ©tĂ© que celui de manager, car câest lui qui
détermine si nos institutions sociales nous servent véritablement ou si elles
gaspillent nos ressources et nos talents, et parce quâil sâintĂšgre Ă la plupart
des formes dâactivitĂ©, y compris en milieu mĂ©dical. Il est temps de dĂ©barrasser
la fonction de manager du folklore qui lâentoure et de son cantonnement aux
secteurs commerciaux, et de lâĂ©tudier dans tous les secteurs dâactivitĂ©s avec
rĂ©alisme si lâon veut entreprendre la tĂąche difficile de lâamĂ©liorer partout.
Leadership et management selon la Harvard Business Review
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(Dossier basĂ© sur lâouvrage anthologique Le Leadership, prĂ©facĂ© par Franck Riboud)
La Harvard Business Review rĂ©Ă©dite rĂ©guliĂšrement certains articles devenus aujourdâhui des « classiques ». Ceux-ci remontent parfois jusquâaux annĂ©es 70, mais sont pour la plupart toujours riches dâenseignement. Cette sĂ©lection de huit dâentre eux, traduite et compilĂ©e par Nouveaux Horizon, sâattache, Ă travers les tĂ©moignages de divers experts, Ă dessiner les contours de la notion de leadership, et rappelle sâil Ă©tait besoin quâil y a autant de maniĂšres de concevoir le leadership quâil y a de leaders et dâentreprises, et les nombreuses leçons que lâon peut en tirer sâadaptent sans peine au cabinet-entreprise tel quâil est indispensable de le concevoir aujourdâhui.
I. Profession manager : mythes et réalité (Henry Mintzberg)
Henry Mintzberg, professeur dâĂ©tudes de management, titulaire de la chaire Cleghorn, Ă 1âuniversitĂ© canadienne McGill Ă MontrĂ©al et professeur dâorganisation Ă IâINSEAD de Fontainebleau, a consacrĂ© ses recherches Ă la nature et aux styles de travail du manager, ainsi quâaux formes dâorganisation et au processus de formation de la stratĂ©gie. Lâarticle rĂ©fĂ©rencĂ© prĂ©sente une analyse approfondie de la fonction managĂ©riale. PubliĂ©e Ă lâorigine en 1975, cette Ă©tude pose la question suivante : « En quoi consiste le travail des managers ? »
Les mythes Ă lâĂ©preuve des faits
Lâauteur puise dans sa propre recherche et dans dâautres Ă©tudes pour prĂ©senter des faits qui dĂ©mentent les quatre mythes qui entourent le travail du manager, mais ne rĂ©sistent pas Ă lâexamen soigneux des faits :
Mythe n° 1 : le management est un plan méthodique et réfléchi.
La rĂ©alitĂ© : toutes les Ă©tudes dĂ©montrent que les managers travaillent sans rĂ©pit, que leurs activitĂ©s se caractĂ©risent par la briĂšvetĂ©, la diversitĂ© et la discontinuitĂ©, et quâils sont par ailleurs essentiellement tournĂ©s vers lâaction.
Les faits : LâĂ©tude des agendas de 160 cadres moyens et supĂ©rieurs britanniques a dĂ©montrĂ© quâils parvenaient Ă travailler sans interruption pendant une demi-heure et plus, environ une fois tous les deux jours. Sur le nombre des contacts verbaux que les managers de cette Ă©tude Ă©changeaient, 93 % sâorganisaient sur une base informelle. Seul 1 % du temps de ces cadres Ă©tait consacrĂ© Ă des tournĂ©es dâinspection, sans limite de durĂ©e. Seul un Ă©change verbal sur 368 ne concernait pas une question spĂ©cifique et pouvait donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme relevant de la planification gĂ©nĂ©rale.
Il semble quâun manager soit toujours tenaillĂ© entre ce quâil voudrait faire et ce quâil peut faire. Lorsque les managers doivent planifier, câest implicitement quâils le font, dans le contexte de leur activitĂ© quotidienne, plutĂŽt que par quelque processus abstrait pour lequel lâentreprise se rĂ©serverait deux semaines de retraite Ă la montagne. Les plans des managers Ă©tudiĂ©s semblaient nâexister nulle part ailleurs que dans leur tĂȘte, sous la forme dâintentions flexibles quoi que relativement prĂ©cises. ExceptĂ© dans la littĂ©rature classique qui lui est consacrĂ©e, le management ne produit pas de planificateurs rĂ©flĂ©chis : les managers se contentent de rĂ©pondre Ă des stimuli et sont conditionnĂ©s, par leur travail, Ă prĂ©fĂ©rer lâaction immĂ©diate Ă lâaction diffĂ©rĂ©e.
Mythe n° 2 : le manager efficace nâa pas dâobligations rĂ©guliĂšres Ă remplir.
La rĂ©alitĂ© ; le travail dâun manager comporte un certain nombre dâobligations rĂ©guliĂšres, incluant rites et cĂ©rĂ©monies, nĂ©gociations et traitement des informations informelles qui relient lâorganisation Ă son environnement.
Les faits : Ne recommande-t-on pas sans cesse aux chefs dâentreprise de passer plus de temps Ă planifier ou dĂ©lĂ©guer et moins de temps Ă voir les clients ou nĂ©gocier les contrats, missions qui aprĂšs tout ne sont pas les siennes ? Pour reprendre une analogie rĂ©pandue, le bon manager, comme le bon metteur en scĂšne, prĂ©pare tout soigneusement Ă lâavance, puis sâassoit dans son fauteuil pour rĂ©pondre Ă©ventuellement aux situations imprĂ©vues. Mais lĂ encore, cette sĂ©duisante abstraction ne tient simplement pas la route. Une Ă©tude sur le travail des dirigeants de petites et moyennes entreprises montre quâils effectuent des activitĂ©s routiniĂšres parce quâils manquent de moyens dâembauche suffisants pour recruter un personnel spĂ©cialisĂ© et disposent dâune main dâĆuvre tellement mince, quâune seule absence nĂ©cessite quâils comblent eux-mĂȘmes la lacune ainsi crĂ©Ă©e. Une Ă©tude sur des chefs dâĂ©quipe de vente et une autre sur des directeurs gĂ©nĂ©raux suggĂšre quâil entre naturellement dans leur mission de recevoir les clients importants, et de sâassurer ainsi leur fidĂ©litĂ©. Lâun de ces cadres, qui ne plaisantait quâĂ moitiĂ©, dĂ©crit mĂȘme le manager comme la personne qui reçoit les visiteurs afin que les autres puissent continuer Ă travailler.
Les recherches sur la circulation de lâinformation montrent Ă©galement que les managers jouent un rĂŽle important dans le contrĂŽle des informations non officielles en provenance de lâextĂ©rieur (la plupart nâĂ©tant connues que dâeux seuls, en raison de leur statut) et leur diffusion auprĂšs du personnel.
Mythe n°3 : le cadre supĂ©rieur a besoin dâune information globale systĂ©matisĂ©e
La rĂ©alitĂ© : les managers prĂ©fĂšrent de loin lâinformation orale (coups de tĂ©lĂ©phone, rĂ©unions…), aux documents Ă©crits.
Les faits : Il nây a pas si longtemps, dans les ouvrages de management, il nâĂ©tait partout question que de systĂšme dâinformation total ou systĂšme intĂ©grĂ© de gestion (SIG). ConformĂ©ment Ă lâimage classique du manager perchĂ© au sommet dâune structure hiĂ©rarchique et rĂ©glementĂ©e, ce personnage de littĂ©rature Ă©tait censĂ© recevoir toutes les informations importantes dâun SIG gĂ©ant. Mais rapidement, comme le prĂ©voyait Mintzberg, les managers ont tout simplement cessĂ© dâutiliser ces systĂšmes gĂ©ants. Il suffit de regarder la façon dont les managers traitent en rĂ©alitĂ© lâinformation pour comprendre pourquoi. Selon deux Ă©tudes britanniques, les managers passent en moyenne 66 % et 80 % de leur temps en communication orale. Dans lâĂ©tude de Mintzberg, concernant cinq PDG amĂ©ricains, ce chiffre Ă©tait de 78 %.
Les cinq dirigeants observĂ©s traitaient le courrier comme une corvĂ©e Ă expĂ©dier. Lâun dâeux vint, par exemple, un samedi matin traiter 142 lettres en lâespace de trois heures seulement, histoire de sâen dĂ©barrasser. Ce mĂȘme manager jeta un coup dâĆil au premier courrier substantiel reçu de la semaine, une Ă©tude de coĂ»t classique, quâil mit de cĂŽtĂ© en disant : « Je ne les regarde jamais ». Ces mĂȘmes cinq dirigeants traitĂšrent immĂ©diatement 2 des 40 rapports de routine reçus pendant les cinq semaines que dura lâĂ©tude et 4 pĂ©riodiques parmi les 104 auxquels ils Ă©taient abonnĂ©s. Ils survolaient la plupart de ces pĂ©riodiques en quelques secondes, un peu comme un rituel. En tout et pour tout, ces dirigeants dâentreprises de taille respectable envoyĂšrent 25 courriers de leur propre initiative (autrement dit pas en rĂ©ponse Ă quelque chose) en lâespace de ces 25 jours dâobservation.
Lâanalyse des courriers reçus rĂ©vĂ©la dâautres dĂ©tails intĂ©ressants : seuls 13 % sâavĂ©raient dâune utilitĂ© prĂ©cise et immĂ©diate. Ce qui ajoute une nouvelle piĂšce au tableau : en fait, une part minime du courrier apporte une information brĂ»lante et actuelle (le mouvement dâun concurrent, lâhumeur du lĂ©gislateur…). Câest pourtant ce type dâinformation qui pousse les managers Ă agir, Ă interrompre une rĂ©union ou Ă chambouler leur emploi du temps, et ce plus encore avec la multiplication actuelle des moyens de communication (emails, mobiles…)
Autre dĂ©couverte intĂ©ressante et qui nâa pas changĂ© : les managers semblent valoriser les informations « officieuses », et particuliĂšrement les rumeurs et autres conjectures. Pourquoi ? En raison de leur actualitĂ© et de leur pertinence : la rumeur dâaujourdâhui peut devenir la rĂ©alitĂ© de demain. Le manager qui rate un coup de fil rĂ©vĂ©lant que le plus gros client de la sociĂ©tĂ© a Ă©tĂ© vu en train de jouer au golf avec un concurrent peut constater la chute brutale de ses ventes dans le prochain rapport trimestriel. Mais alors, il est trop tard.
Pour nuancer la valeur de lâinformation officielle, historique et globale des SIG, il suffit de penser Ă deux des principales fonctions de lâinformation, Ă savoir :
LâexpĂ©rience semble montrer que ce nâest pas Ă lâaide de lâinformation abstraite et synthĂ©tique produite par les SIG quâun manager identifie les crĂ©neaux de dĂ©cision ou quâil conçoit des modĂšles, mais grĂące Ă des donnĂ©es fragmentaires et concrĂštes.
La prĂ©dilection des managers pour lâinformation orale appelle deux remarques importantes. Cela signifie premiĂšrement que cette information est en bonne partie stockĂ©e dans le cerveau de quelques-uns. Ce nâest quâune fois Ă©crite quâelle est enregistrĂ©e dans les dossiers de lâorganisation. Or les cadres notent rarement, semble-t-il, les renseignements quâils dĂ©tiennent. Aussi les banques de donnĂ©es stratĂ©giques des organisations ne se trouvent pas dans la mĂ©moire de leurs ordinateurs mais dans celle de leurs managers. DeuxiĂšmement, lâusage intensif quâils font de la communication orale, explique pourquoi ils sont souvent rĂ©ticents Ă dĂ©lĂ©guer les tĂąches. Il ne sâagit pas en effet de transmettre un dossier Ă un subordonnĂ©, mais de prendre la peine de « dĂ©charger leur mĂ©moire », autrement dit expliquer tout ce quâils savent sur le sujet. Or cela peut demander tellement de temps, quâil peut sembler plus facile de faire le travail soi-mĂȘme. Les managers se condamnent donc eux-mĂȘmes, par leur propre systĂšme dâinformation, au dilemme de la dĂ©lĂ©gation : tout faire eux-mĂȘmes ou dĂ©lĂ©guer Ă des subordonnĂ©s moins bien informĂ©s.
Mythe n°4 : le management est devenu une science et une profession.
La rĂ©alitĂ© : Quel que soit le sens quâon donne aux mots science et profession, cette affirmation est pratiquement toujours fausse. Il suffit dâobserver briĂšvement nâimporte quel manager pour abandonner aussitĂŽt lâidĂ©e quâil pratique une science. Toutefois la situation a drastiquement Ă©voluĂ© depuis la rĂ©daction de lâarticle, et si les faits contredisent souvent le mythe, lâeffort dans le sens de la formation et de la mise en Ćuvre de procĂ©dures ou protocoles systĂ©matiques, semblent en tout cas tendre Ă nuancer le propos de Mintzberg.
Les faits : Si lâon regarde objectivement la rĂ©alitĂ© du travail des managers, nous constatons que leur mission est Ă©minemment complexe et ardue. Ils sont surchargĂ©s dâobligations quâils peuvent nĂ©anmoins difficilement dĂ©lĂ©guer. Ils sont donc conduits Ă se surmener et Ă effectuer un bon nombre de tĂąches de maniĂšre superficielle. BriĂšvetĂ©, morcellement, communication verbale, caractĂ©risent leur travail. Et cependant, ce sont ces caractĂ©ristiques mĂȘmes qui ont motivĂ© les chercheurs scientifiques Ă tenter dâamĂ©liorer celui-ci. Câest pourquoi leurs efforts ont essentiellement portĂ© sur les fonctions spĂ©cialisĂ©es de lâorganisation, lĂ oĂč il Ă©tait le plus facile dâanalyser les procĂ©dures et de quantifier lâinformation.
Mais la pression qui pĂšse sur les managers ne fait que sâaccentuer. LĂ oĂč prĂ©cĂ©demment ceux-ci nâavaient Ă rĂ©pondre quâĂ leur direction ou au propriĂ©taire de lâentreprise, voire Ă personne sâils portaient cette double casquette, ils doivent aujourdâhui faire face Ă des subordonnĂ©s, obĂ©issant Ă des processus dĂ©mocratiques, qui rĂ©duisent sans cesse la libertĂ© dâĂ©mettre des ordres sans donner dâexplication, ainsi quâĂ un nombre croissant dâacteurs extĂ©rieurs (groupements de consommateurs, pouvoirs publics, etc.) quâils doivent Ă©galement prendre en considĂ©ration. Si bien quâils ne savent plus oĂč se tourner pour trouver de lâaide. Mais le premier pas avant de pouvoir leur apporter un quelconque soutien, est de dĂ©terminer en quoi consiste exactement leur travail.
Retour à une définition de base du travail managérial
RĂŽles de relation
Trois des rÎles du manager découlent directement de son autorité formelle et impliquent des relations essentielles.
Tout dâabord le rĂŽle de reprĂ©sentant : en tant que responsable dâune organisation ou dâune unitĂ©, tout manager doit sâacquitter de certaines obligations sociales. Le prĂ©sident accueillera les personnages officiels en visite. Le contremaĂźtre assistera au mariage dâun de ses ouvriers. Le directeur de ventes invitera un client important Ă dĂ©jeuner.
Les managers Ă©tudiĂ©s consacraient 12 % de leurs Ă©changes Ă ce genre dâactivitĂ©s mondaines ; 17 % du courrier quâils recevaient consistaient en marques de reconnaissance et en demandes liĂ©es Ă leur statut. Ainsi par exemple, une lettre sollicitait dâun PDG la fourniture de marchandises gratuites pour un Ă©lĂšve handicapĂ©. Ces missions de reprĂ©sentation ont parfois un caractĂšre de routine et nâimpliquent pas de communications ou de dĂ©cisions sĂ©rieuses. Elles sont malgrĂ© tout importantes pour le bon fonctionnement dâune organisation et ne sauraient ĂȘtre nĂ©gligĂ©es.
Les managers sont responsables du travail des membres de leur Ă©quipe. Leurs actions dans ce domaine correspondent au rĂŽle de leader. Certaines de ces actions dĂ©coulent directement de ce rĂŽle. Ainsi, dans la plupart des organisations, les managers sont habituellement chargĂ©s du recrutement et de la formation de leur personnel. Ă cela sâajoute lâexercice indirect du rĂŽle de leader. Par exemple, tout manager doit motiver et encourager ses salariĂ©s, et parvenir Ă concilier leurs besoins avec les objectifs de lâorganisation. Pratiquement tous les contacts que les salariĂ©s ont avec leur manager visent Ă obtenir des indices sur ce quâil attend dâeux : « Est-ce quâil mâapprouve ? » « QuâespĂšre-t-il de cette consigne ? » etc. Câest dans le rĂŽle de leader que lâinfluence des managers apparaĂźt le plus clairement. LâautoritĂ© dont ils jouissent leur donne un grand pouvoir ; câest principalement dans ce rĂŽle quâils dĂ©montreront leur capacitĂ© ou non Ă lâexercer.
La littĂ©rature consacrĂ©e au management a toujours reconnu le rĂŽle de leader, notamment dans ses aspects en relation avec la motivation. Elle a en revanche rarement soulignĂ© son rĂŽle dâagent de liaison, dans lequel le manager Ă©tablit des contacts en dehors de la chaĂźne verticale de commande. Câest un fait mis en Ă©vidence dans pratiquement chaque Ă©tude consacrĂ©e au travail des managers que ceux-ci passent autant de temps avec leurs pairs et autres personnes en dehors de leur unitĂ© quâavec leurs subordonnĂ©s, et, chose surprenante, trĂšs peu avec leurs propres supĂ©rieurs.
Dans une enquĂȘte effectuĂ©e par Rosemary Stewart sur lâagenda de managers dâentreprises britanniques, les 160 cadres moyens et supĂ©rieurs quâelle a Ă©tudiĂ©s passaient 47 % de leur temps avec leurs collĂšgues, 41 % avec des gens de lâextĂ©rieur, contre seulement 12 % avec leurs supĂ©rieurs. Dans lâĂ©tude de Robert Guest portant sur des contremaĂźtres amĂ©ricains, les chiffres Ă©taient de 44 %, 46 % et 10 % respectivement. Quant aux managers de lâĂ©tude, 44 % de leurs contacts avaient lieu avec des personnes extĂ©rieures, 48 % avec leurs subordonnĂ©s, et 7 % avec leurs directeurs et membres du conseil dâadministration. Les contacts de ces cinq managers concernaient une variĂ©tĂ© incroyable de gens subordonnĂ©s : clients, associĂ©s, fournisseurs, homologues, reprĂ©sentants des pouvoirs publics ou des syndicats…
RĂŽles dâinformation
En vertu des nombreux contacts personnels quâil entretient avec ses subordonnĂ©s et tout un rĂ©seau de relations, le manager apparaĂźt comme le centre nĂ©vralgique au sein de son unitĂ©. Il nâest peut-ĂȘtre pas au courant de tout mais il est gĂ©nĂ©ralement mieux informĂ© que ses subordonnĂ©s.
Les Ă©tudes montrent que cela sâapplique aussi bien au chef de gang quâau prĂ©sident dâune nation. Dans son livre consacrĂ© aux groupes humains, (The human group), et notamment aux gangs, George Homans nous en donne la raison. Parce que le chef se situe au centre des flux dâinformation, toutes les nouvelles convergent vers lui au sein de sa bande ; de plus il est en contact Ă©troit avec dâautres chefs de gang, câest pourquoi il est toujours mieux informĂ© quâaucun membre de son groupe Quant au prĂ©sident, Richard Neustadt remarque, par exemple, que la maniĂšre dont Roosevelt recueillait lâinformation relevait de la pure compĂ©tition : « âIl vous appelait dans son bureauâ, me dit un jour lâun de ses collaborateurs, âet vous demandait de vous renseigner sur telle ou telle affaire compliquĂ©e. Et lorsque vous reveniez, aprĂšs deux jours dâenquĂȘte laborieuse, pour lui livrer le morceau juteux que vous aviez dĂ©nichĂ© dans quelque coin obscur, câest alors que vous vous rendiez compte quâil connaissait dĂ©jĂ toute lâhistoire et mĂȘme certains dĂ©tails qui vous avaient Ă©chappĂ©. DâoĂč il tenait ses informations, la plupart du temps il nâen disait rien, mais lorsquâil vous avait fait le coup une fois ou deux, vous deveniez trĂšs prudent quant Ă votre propre information.â»
Il nâest pas bien difficile de voir dâoĂč Roosevelt « tenait ses informations », si lâon considĂšre les liens entre rĂŽles de relation et rĂŽles dâinformation. Par son autoritĂ©, tout manager a un accĂšs officiel et privilĂ©giĂ© Ă tous les membres du personnel. En outre, son rĂŽle de liaison avec lâextĂ©rieur lui fournit une information qui fait souvent dĂ©faut Ă ses subordonnĂ©s. Beaucoup de ses contacts ont lieu avec dâautres managers de mĂȘme rang, qui sont eux-mĂȘmes des centres nĂ©vralgiques au sein de leur organisation. Câest ainsi que le manager peut dĂ©velopper une banque de donnĂ©es considĂ©rable.
Traiter lâinformation est un des rĂŽles-clĂ©s des managers. Ceux Ă©tudiĂ©s consacraient 40 % de leur temps dâĂ©change Ă des activitĂ©s exclusivement destinĂ©es Ă la transmission dâinformation. 70 % du courrier quâils recevaient avaient une vocation purement informative (autrement dit ne constituaient pas des demandes dâintervention) En dâautres termes, on ne peut pas dire que les managers quittent les rĂ©unions ou raccrochent le tĂ©lĂ©phone pour se remettre au travail, car la communication est par essence leur travail. Trois rĂŽles distincts dĂ©crivent lâaspect informatif du travail managĂ©rial :
RÎles de décision
Lâinformation nâest pas, bien entendu, une fin en soi ; elle ne fait que fournir les donnĂ©es nĂ©cessaires Ă la prise de dĂ©cision. Ătudier le travail du manager met en lumiĂšre son rĂŽle central dans le processus de dĂ©cision de son unitĂ©. En vertu de lâautoritĂ© que lui confĂšre son statut, seul le manager peut engager son unitĂ© Ă adopter une nouvelle ligne de conduite, et en tant que centre nĂ©vralgique de celle-ci, lui seul possĂšde lâinformation complĂšte et actuelle pour prendre les dĂ©cisions qui vont guider la stratĂ©gie de son Ă©quipe. Les rĂŽles de dĂ©cision sont au nombre de quatre : entrepreneur, gestionnaire de crise, gestionnaire de ressources, et nĂ©gociateur.
En tant quâentrepreneur, le manager cherche Ă faire Ă©voluer son unitĂ© et Ă lâadapter aux changements de lâenvironnement. Dans son rĂŽle de pilote, un dirigeant est toujours Ă lâaffĂ»t de concepts nouveaux. Lorsquâune bonne idĂ©e surgit, il initie un projet de dĂ©veloppement quâil supervise lui-mĂȘme ou quâil dĂ©lĂšgue Ă un membre de son Ă©quipe (en prĂ©cisant Ă©ventuellement si la proposition finale doit ĂȘtre soumise Ă son approbation). Du point de vue des managers, ces projets de dĂ©veloppement prĂ©sentent deux caractĂ©ristiques intĂ©ressantes. Tout dâabord, ces projets nâimpliquent pas une dĂ©cision unique, ni mĂȘme un ensemble cohĂ©rent de dĂ©cisions, mais apparaissent plutĂŽt comme une suite de petites dĂ©cisions et dâactions qui sâĂ©chelonnent au cours du temps. Les dirigeants semblent prolonger chaque projet de maniĂšre Ă ce quâil sâinscrive dans un emploi du temps chargĂ© et dĂ©cousu, et quâils puissent en comprendre progressivement les aspects complexes. Ensuite, les dirigeants Ă©tudiĂ©s supervisaient parfois pas moins de cinquante projets simultanĂ©ment. Certains concernaient des nouveaux produits ou procĂ©dĂ©s ; dâautres impliquaient des campagnes de publicitĂ©, lâamĂ©lioration de la situation financiĂšre, la rĂ©organisation dâun service dĂ©faillant, la rĂ©solution dâun problĂšme de motivation dans une division, lâinformatisation de certaines opĂ©rations, des processus dâacquisition Ă diffĂ©rents stades de dĂ©veloppement, etc. Les managers semblent tenir une sorte dâinventaire de lâĂ©volution de ces projets et de leur stade de maturation. Tels des jongleurs, ils maintiennent un certain nombre de projets en suspens dans les airs. De temps en temps, lâun dâentre eux retombe, auquel ils donnent une nouvelle impulsion avant de le renvoyer en orbite. Ă un moment ou Ă un autre, ils lancent de nouveaux projets et en abandonnent dâautres.
Alors que le rĂŽle dâentrepreneur montre le manager en tant quâinitiateur volontaire du changement, il arrive des moments oĂč celui-ci est imposĂ© par les circonstances, câest lĂ que le gestionnaire de crise dĂ©crit le manager en tant quâacteur involontaire du changement, rĂ©pondant Ă lâurgence. Ici, le changement Ă©chappe Ă son contrĂŽle. Les contraintes dâune situation sont trop sĂ©rieuses pour ĂȘtre ignorĂ©es, une grĂšve menace, un gros client transfĂšre sa clientĂšle ou fait faillite, un fournisseur fait faux bond etc. : quel que soit le problĂšme, il est obligĂ© dâagir. Leonard Sayles, auteur dâintĂ©ressantes recherches sur le travail du manager, compare celui-ci Ă un chef dâorchestre, qui dirige une symphonie et doit assurer lâharmonie de lâensemble, tout en traitant les problĂšmes des musiciens ou toute autre perturbation extĂ©rieure. Le manager passe en effet un temps considĂ©rable Ă rĂ©soudre des problĂšmes imprĂ©vus et urgents. Nulle organisation nâest jamais si bien gĂ©rĂ©e et « certifiĂ©e », quâelle puisse prĂ©tendre anticiper tous les alĂ©as dâun environnement dominĂ© par lâincertitude. Une perturbation nâarrive pas seulement parce quâun mauvais manager ne mesure la gravitĂ© dâune situation que lorsquâelle devient critique, mais parce quâun bon manager ne peut prĂ©voir toutes les consĂ©quences de ses actes.
Le gestionnaire de ressources constitue le troisiĂšme rĂŽle de dĂ©cision du manager. Câest ce dernier en effet qui dĂ©cide qui aura quoi. Et la ressource la plus importante quâil doit allouer est sans doute son temps. Avoir accĂšs au manager câest avoir accĂšs au centre de dĂ©cision, au centre nĂ©vralgique du service. Le manager dĂ©finit aussi la structure de son unitĂ©, le schĂ©ma de relations, lâorganigramme selon lequel les activitĂ©s sont rĂ©parties et coordonnĂ©es.
En tant que responsable de lâaffectation des ressources, câest Ă©galement le manager qui autorise les dĂ©cisions importantes de son unitĂ© avant leur mise en Ćuvre. Exercer ce pouvoir lui permet de veiller Ă la cohĂ©rence des dĂ©cisions, tandis que le fragmenter favorise un processus de dĂ©cision et une stratĂ©gie dĂ©cousus.
Le fait que le manager entĂ©rine les dĂ©cisions de son unitĂ© a plusieurs consĂ©quences importantes. Tout dâabord, malgrĂ© lâusage rĂ©pandu des procĂ©dures de budgĂ©tisation, programmant un ensemble de dĂ©penses, Mintzberg a constatĂ© que les dirigeants autorisaient de nombreuses dĂ©cisions de maniĂšre informelle. Apparemment, de nombreux projets ne peuvent pas attendre ou ne permettent pas la quantification des coĂ»ts et des bĂ©nĂ©fices que requiert lâĂ©tablissement dâun budget. De plus, les dirigeants de lâĂ©tude se trouvaient confrontĂ©s Ă des choix dâune extrĂȘme complexitĂ©. Ils devaient mesurer lâimpact que telle dĂ©cision aurait sur les autres projets et sur la stratĂ©gie de lâorganisation. Ils devaient sâassurer que la dĂ©cision serait acceptable par ceux qui influaient sur les destinĂ©es de lâorganisation, et que les ressources engagĂ©es ne seraient pas dĂ©passĂ©es. Ils devaient estimer les coĂ»ts et les bĂ©nĂ©fices ainsi que la faisabilitĂ© du projet proposĂ©. Ils devaient Ă©galement planifier les activitĂ©s dans le temps et en Ă©valuer la durĂ©e. VoilĂ tout ce que signifiait la simple approbation de la dĂ©cision de quelquâun dâautre. En mĂȘme temps, diffĂ©rer la dĂ©cision pouvait compromettre le projet, tandis quâune approbation rapide pouvait passer pour de la lĂ©gĂšretĂ©, et un rejet trop prompt risquait de dĂ©courager le collaborateur qui avait passĂ© des mois Ă le peaufiner. Une solution commune consiste Ă choisir la bonne personne plutĂŽt que la bonne proposition â. Ainsi, le manager autorise les projets prĂ©sentĂ©s par les gens en qui il a confiance. Mais il nâest pas toujours possible de contourner le problĂšme de cette maniĂšre.
Le dernier rĂŽle de dĂ©cision est celui de nĂ©gociateur. Les managers consacrent un temps non nĂ©gligeable Ă la nĂ©gociation : le prĂ©sident dâune Ă©quipe de football Ă©tudie le transfert dâune superstar, le PDG dâune entreprise amĂšne le personnel Ă trouver un compromis Ă la grĂšve, le contremaĂźtre discute une revendication avec un dĂ©lĂ©guĂ© syndical… Toutes ces formes de nĂ©gociation interne sont partie intĂ©grante du travail dâun manager, car lui seul dĂ©tient le pouvoir dâengager les ressources de lâorganisation en temps rĂ©el et lâinformation pertinente que requiĂšrent dâimportantes tractations.
Intégrer tous les rÎles
Il devrait apparaĂźtre clairement maintenant que ces dix rĂŽles ne sont pas aisĂ©ment sĂ©parables. Selon la terminologie des psychologues, ils forment une gestalt, un tout intĂ©grĂ©. On ne peut extraire aucun de ces rĂŽles sans modifier lâensemble. Ici se trouve une des clĂ©s aux problĂšmes posĂ©s par le management en Ă©quipe. Deux ou trois personnes ne peuvent se partager une responsabilitĂ© managĂ©riale que si elles sont capables dâagir comme une seule entitĂ©. Cela signifie quâelles ne peuvent se rĂ©partir les dix rĂŽles Ă©voquĂ©s plus haut quâĂ condition de soigneusement les rĂ©intĂ©grer en une seule fonction. La difficultĂ© majeure rĂ©side dans les rĂŽles dâinformation si elles ne parviennent pas Ă partager toute lâinformation managĂ©riale â laquelle, avons-nous dit, est essentiellement orale â lâĂ©quipe de management sâeffondre, On ne peut pas scinder arbitrairement les rĂŽles du manager, en fonctions internes ou externes par exemple, car lâinformation en provenance de ces deux sources sâapplique aux mĂȘmes dĂ©cisions.
Vers un management plus efficace
Cette description de leur travail devrait se rĂ©vĂ©ler en soi plus utile aux managers que nâimporte quelle prescription quâils pourraient en dĂ©duire. En dâautres termes, la compĂ©tence dâun manager dĂ©pend en grande partie de la comprĂ©hension quâil a de son travail. Ses performances seront donc influencĂ©es par la maniĂšre dont il interprĂšte et dont il rĂ©pond aux exigences et aux contradictions de sa fonction. Ainsi les managers qui prennent le temps de rĂ©flĂ©chir Ă la nature de leur travail ont-ils plus de chances dâĂȘtre efficaces.
Mintzberg examine de plus prĂšs trois types de prĂ©occupation. Pour lâessentiel, les impasses du management â le dilemme de la dĂ©lĂ©gation, la banque de donnĂ©es centralisĂ©e dans un seul cerveau, la difficultĂ© de travailler avec les gestionnaires scientifiques â tiennent Ă la nature verbale de son information. Or il est dangereux de stocker celle-ci dans la mĂ©moire des managers, car lorsquâils sâen vont, ils lâemportent avec eux. De plus, lorsque la communication laisse Ă dĂ©sirer avec les subordonnĂ©s, ceux-ci restent sous-informĂ©s.
Les managers doivent donc trouver des moyens systĂ©matiques de partager les informations importantes : mises au point rĂ©guliĂšres avec les personnes-clĂ©s de lâĂ©quipe, enregistrement hebdomadaire des donnĂ©es, maintien Ă jour dâun agenda commun, ou autres mĂ©thodes similaires peuvent aider considĂ©rablement Ă sortir de ces impasses. Le temps passĂ© Ă diffuser lâinformation sera largement compensĂ© au moment de prendre les dĂ©cisions. Certains opposeront sans doute Ă ces procĂ©dĂ©s la question de la confidentialitĂ©. Ă ceux-lĂ , Mintzberg suggĂšre de mesurer les risques de diffuser une information privilĂ©giĂ©e contre le bĂ©nĂ©fice dâavoir des subordonnĂ©s capables de prendre des dĂ©cisions efficaces.
Sâil y a un thĂšme qui sert de leitmotiv Ă cet article, câest que les contraintes de sa fonction poussent le manager Ă prendre en charge trop de travail, Ă encourager les interruptions, Ă rĂ©pondre rapidement Ă chaque sollicitation, Ă rechercher le concret et Ă©viter lâabstraction, Ă prendre des dĂ©cisions par petits bouts, et Ă tout faire abruptement. Le manager se voit donc au dĂ©fi de ne pas cĂ©der Ă la superficialitĂ© et dâaccorder toute son attention aux questions qui la mĂ©ritent, en prenant le recul nĂ©cessaire afin dâavoir une vue dâensemble. En effet, bien quâun manager efficace doive rĂ©gler rapidement de nombreux problĂšmes de tous ordres, le danger est de traiter chaque question de la mĂȘme maniĂšre (câest-Ă -dire abruptement) et de ne jamais tirer des faits concrets et des informations Ă©parses qui lui parviennent, une image globale de son univers. Pour construire une telle image, les managers peuvent confronter leurs propres modĂšles Ă ceux des spĂ©cialistes. Le manager confrontĂ© Ă une situation complexe peut tirer profit dâun contact Ă©troit avec les analystes en gestion de son organisation ou de son secteur. Car ils ont quelque chose que le manager nâa pas : du temps pour sonder les questions complexes. Une relation de travail efficace suppose de rĂ©soudre ce Mintzberg appelle le « dilemme de la planification » : le manager possĂšde lâinformation et lâautoritĂ© ; les analystes ont le temps et les outils. Une bonne collaboration entre les deux demande au premier dâapprendre Ă partager lâinformation, et aux seconds de savoir sâadapter aux besoins du manager. Pour le consultant, sâadapter signifie abandonner un peu le souci de lâĂ©lĂ©gance au profit de la rapiditĂ© et de la flexibilitĂ© des mĂ©thodes. Les analystes peuvent aider le manager Ă planifier son temps, fournir des donnĂ©es analytiques, coordonner des projets, dĂ©velopper des modĂšles pour faciliter la prise de dĂ©cision, mettre sur pied des plans dâurgence pour remĂ©dier aux crises prĂ©visibles, et faire une analyse expĂ©ditive et grossiĂšre de celles quâil nâest pas possible dâanticiper. Mais il ne peut y avoir de coopĂ©ration si les analystes restent en dehors du canal dâinformation managĂ©rial.
Pour le manager le dĂ©fi est ici de parvenir Ă maĂźtriser son temps en faisant de ses devoirs des avantages et de ses aspirations des devoirs.Dâune part, les managers doivent passer tant de temps Ă se dĂ©charger de leurs devoirs que sâils les envisageaient seulement de cette maniĂšre, ils ne laisseraient aucune marque dans lâentreprise. Les managers que boude la rĂ©ussite imputent leur Ă©chec Ă leurs nombreuses contraintes. Tandis quâun dirigeant efficace les transforme en avantages (un discours donne lâoccasion dâappuyer une cause, une rĂ©union lâopportunitĂ© de restructurer un dĂ©partement dĂ©faillant, la visite dâun client ou dâun confrĂšre une chance dâapprendre des informations sur la profession…). Dâautre part, le manager libĂšre du temps pour faire des choses que lui juge importantes, en les changeant en devoirs. Le temps libre se crĂ©e, il ne sâautogĂ©nĂšre pas. EspĂ©rer trouver le temps de mĂ©diter ou de faire de la prĂ©vision Ă long terme, revient Ă espĂ©rer que les pressions du travail cesseront un jour. Les cadres qui veulent innover initient des projets et imposent aux autres de leur en rendre compte. Ceux qui ont besoin de certaines informations extĂ©rieures Ă©tablissent des rĂ©seaux qui les tiendront automatiquement informĂ©s. Quant Ă ceux qui doivent faire la tournĂ©e de leur usine, ils en profitent pour manifester leur engagement.
Mintzberg conclut sur quelques mots Ă propos de la formation des managers. Il soulignait Ă lâĂ©poque de lâarticle que les instituts de management avaient fait un travail remarquable en formant des spĂ©cialistes de lâorganisation, gestionnaires scientifiques, analystes du marchĂ©, comptables et spĂ©cialistes du dĂ©veloppement des organisations, mais que dans lâensemble, on ne pouvait pas dire quâils aient formĂ© des managers. Visionnaire, il affirmait alors que les Ă©coles de management commenceraient Ă former sĂ©rieusement des managers lorsquâelles accorderaient la mĂȘme place Ă lâenseignement pratique quâĂ lâenseignement thĂ©orique. Lâenseignement cognitif est dĂ©tachĂ© et informatif, comme le fait de lire un livre ou dâĂ©couter un cours. Certes, le futur manager doit assimiler un bon nombre de connaissances importantes, mais un savoir thĂ©orique ne formera pas plus un manager quâil ne forme un athlĂšte Ă la natation. Ce dernier se noiera dĂšs quâil plongera dans lâeau, si son instructeur ne lâa jamais sorti de la salle de cours, afin quâil se mouille, et puisse juger de ses performances. En dâautres termes, on acquiert une compĂ©tence grĂące Ă la pratique et Ă lâĂ©valuation de nos performances, quâil sâagisse de situations rĂ©elles ou simulĂ©es. Si les Ă©coles de management ont progressĂ© sur lâĂ©valuation pratique des compĂ©tences utiles aux managers et ont dĂ©veloppĂ© notamment lâalternance et le systĂšme de stages, le propos peut ĂȘtre rĂ©actualisĂ© par le manque de formation spĂ©cifique au management et au leadership en dehors des secteurs commerciaux, et notamment dans le cursus universitaire des professions mĂ©dicales et paramĂ©dicales qui continuent de nĂ©gliger cet aspect majeur du mĂ©tier de mĂ©decin, de dentiste, dâinfirmier libĂ©ral…
La fonction de manager implique un grand nombre de compĂ©tences : dĂ©velopper des relations avec ses pairs, conduire des nĂ©gociations, motiver ses subordonnĂ©s, rĂ©soudre des conflits, Ă©tablir des rĂ©seaux dâinformation pour collecter puis diffuser lâinformation, prendre des dĂ©cisions dans un contexte dominĂ© par lâincertitude, distribuer des ressources… Il nây a pas selon Mintzberg de travail plus essentiel Ă notre sociĂ©tĂ© que celui de manager, car câest lui qui dĂ©termine si nos institutions sociales nous servent vĂ©ritablement ou si elles gaspillent nos ressources et nos talents, et parce quâil sâintĂšgre Ă la plupart des formes dâactivitĂ©, y compris en milieu mĂ©dical. Il est temps de dĂ©barrasser la fonction de manager du folklore qui lâentoure et de son cantonnement aux secteurs commerciaux, et de lâĂ©tudier dans tous les secteurs dâactivitĂ©s avec rĂ©alisme si lâon veut entreprendre la tĂąche difficile de lâamĂ©liorer partout.
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