(Dossier basé sur l’ouvrage anthologique Le must de la stratégie, préfacé par Gabriel Joseph-Dezaize)
Outre le magazine bimestriel, l’univers Harvard Business Review France comprend des carnets qui proposent aux cadres et aux dirigeants des conseils de management rapides et simples à mettre en œuvre, des livres de référence et des numéros spéciaux, les musts, qui déclinent une thématique en plusieurs articles rédigés par les meilleurs experts en management, RH ou stratégie. Ce premier volet de la série des Cahiers est ainsi consacré à un sujet crucial pour toutes les entreprises en quête de sens dans un monde turbulent : la stratégie. Les articles sélectionnés pour ce « must » sont huit incontournables pour guider votre réflexion et préciser vos choix stratégiques, toujours aisément applicables à l’entreprise-cabinet, rédigés par les meilleurs spécialistes de la question, depuis la question fondamentale et finalement pas si simple « Qu’est-ce que la stratégie ? » jusqu’à sa mise en œuvre.
VII. Transformer une grande stratégie en grande performance (Mankins & Steele)
Michael C. Mankins est l’ancien directeur associé du bureau de San Francisco de Marakon Associates, un cabinet de conseil international en stratégi, et également co-auteur de The Value imperative : Managing for Superior Shareholder Returns (Free Press, 1994). Richard Steele, ex-associé du bureau new-yorkais de la société Marakon, est devenu partenaire principal du cabinet de conseil en management SYPartners.
En règle générale, les entreprises ne concrétisent que 60 % environ de la valeur potentielle de leur stratégie, en raison de failles et de défauts dans la planification et l’exécution. En identifiant ces failles et défaut, puis en suivant à la lettre sept règles simples, vous pouvez faire bien mieux que cela.
L’écart entre stratégie et performance
À l’automne 2004, le cabinet, Marakon Associates, où officiaient Mankins et Steele, a réalisé un sondage en partenariat avec l’Economist Intelligence Unit (EIU) auprès des cadres supérieurs de 197 entreprises dans le monde dont les ventes sont supérieures à 500 millions de dollars. Ils voulaient comprendre comment les entreprises réussissent à traduire leur stratégie en performance. Concrètement, comment parviennent-elles à atteindre les projections financières affichées dans leurs plans stratégiques ? Et, quand elles échouent, quelles en sont les causes les plus courantes et quelles sont les mesures les plus efficaces pour réduire l’écart entre stratégie et performance ? Les résultats ont été aussi révélateurs qu’inquiétants.
Alors que les dirigeants interrogés se battent sur des marchés et des zones géographiques très différents, nombreuses sont les préoccupations qu’ils partagent en matière de planification et d’exécution. La quasi-totalité d’entre eux a du mal à réaliser les performances financières attendues dans le cadre de leurs plans à long terme. En outre, les procédés qu’ils emploient pour élaborer ces plans et mesurer la performance ne leur permettent pas de discerner si l’écart entre stratégie et performance est dû à une mauvaise planification, à une mauvaise exécution, aux deux, ou ni à l’une ni à l’autre. Plus précisément, ils ont relevé que :
– Les entreprises mesurent rarement leur performance par rapport Ă leurs plans Ă long terme.
Selon leur expérience, moins de 15 % des entreprises ont pris l’habitude de revenir en arrière et de comparer régulièrement les résultats de l’entreprise avec les prévisions de performances annoncées dans les plans stratégiques des exercices précédents. Par conséquent, les dirigeants ne peuvent pas savoir facilement si les projections qui sous-tendent leurs décisions en matière d’investissement de capitaux et de gestion du portefeuille d’actifs prédisent une performance réelle. Plus important encore, ils risquent de créer la même asymétrie entre les résultats et les prévisions quand ils prendront de nouvelles décisions d’investissement. Le fait que si peu d’entreprises surveillent régulièrement l’écart entre performances réelles et performances prévisionnelles peut contribuer à expliquer pourquoi tant de sociétés semblent gaspiller de l’argent, en continuant de financer des stratégies perdantes plutôt que de rechercher de nouvelles et meilleures options.
– Les rĂ©sultats des plans pluriannuels correspondent rarement aux projections.
Lorsque les sociétés mesurent leur performance par rapport aux projections sur un certain nombre d’années, on observe en général un phénomène que l’un de leurs clients a décrit comme une série de « stores vénitiens en diagonale » : mises les unes à côté des autres, les projections de performance annuelles ressemblent à des stores vénitiens suspendus en diagonale. Si les affaires vont assez bien, le point bas de chaque « store » annuel peut être situé un peu plus haut que celui de l’exercice précédent, mais il est rare que la performance corresponde à la projection de l’exercice précédent, ce qui conduit évidemment, d’année en année, à une sous-performance par rapport au plan.
Le phénomène des stores vénitiens crée un certain nombre de problèmes connexes.
Premièrement, comme les prévisions financières du plan ne sont pas fiables, le top management ne peut pas approuver sereinement les investissements en fonction de la planification stratégique. Par conséquent, développement de la stratégie et allocation des ressources sont dissociés et le plan annuel d’opérations (ou le budget) finit par conduire les investissements et la stratégie de l’entreprise à long terme. Deuxièmement, la gestion du portefeuille d’actifs déraille. Sans prévisions financières crédibles, la direction générale ne peut pas savoir si une activité donnée a plus de valeur pour l’entreprise et ses actionnaires que pour d’éventuels acheteurs. Ainsi, les activités qui détruisent de la valeur pour les actionnaires restent trop longtemps dans le portefeuille dans l’espoir que leur performance finira par se rétablir, tandis que celles qui créent de la valeur manquent cruellement de capital et de ressources. Troisièmement, de médiocres prévisions financières compliquent le dialogue avec la communauté des investisseurs. En effet, pour éviter d’être à court de capitaux à la fin du trimestre, le directeur financier et le responsable des relations avec les investisseurs imposent souvent des « provisions pour imprévus » ou une « marge de sécurité » en plus de la prévision produite en consolidant les plans de la business unit. Comme ces provisions pour imprévus sont aussi souvent fausses que justes, les mauvaises prévisions financières risquent de porter préjudice à la réputation de l’entreprise auprès des analystes et des investisseurs.
– Beaucoup de valeur est perdue en chemin.
Compte tenu de la médiocrité des prévisions financières de la plupart des plans stratégiques, il n’est pas surprenant que beaucoup d’entreprises ne parviennent pas à réaliser la valeur potentielle de leurs stratégies. Cette étude montre qu’en moyenne la plupart des stratégies ne concrétisent que 63 % de leur potentiel de performance financière. Et plus d’un tiers des dirigeants interrogés pensaient que ce chiffre était inférieur à 50 %. Autrement dit, si le top management parvenait à réaliser l’intégralité du potentiel de sa stratégie actuelle, la valeur pourrait passer de 60 % à 100 % !
Le graphique ci-dessous montre la perte de performance moyenne établie selon les notes que les managers interrogés dans le cadre de leur recherche ont données aux problèmes spécifiques intervenus lors de la mise en œuvre des processus de planification et d’exécution :
On le voit, l’écart entre stratégie et performance peut être imputé à la conjugaison de plusieurs facteurs, comme des plans mal formulés, des ressources mal exploitées, des ruptures dans les circuits de communication ou une responsabilité limitée vis-à -vis des résultats. En clair, le top management commence par une stratégie qui, selon lui, va générer un certain niveau de performance financière et de la valeur au fil du temps (100 %, comme indiqué dans l’encadré). Mais, selon les dirigeants interrogés, l’incapacité à allouer les bonnes ressources au bon endroit et au bon moment réduit de près de 7,5 % la valeur potentielle de la stratégie. Une communication de mauvaise qualité en fait perdre environ 5,2 %, une planification médiocre 4,5 %, des responsabilités floues 4,1 %, et ainsi de suite. Bien entendu, ces estimations sont le reflet de l’expérience moyenne des dirigeants sondés et peuvent ne pas être représentatives de chaque entreprise ou de chaque stratégie. Néanmoins, elles mettent bien l’accent sur les problématiques sur lesquelles les dirigeants doivent se concentrer lors de l’analyse des procédés de l’entreprise en vue de planifier et d’exécuter leurs stratégies.
– Le top management passe souvent Ă cĂ´tĂ© des goulots d’étranglement qui entravent la performance.
En raison des processus que la plupart des entreprises utilisent pour élaborer les plans, répartir leurs ressources et assurer le suivi de la performance, le top management a du mal à déterminer si l’écart entre stratégie et performance découle d’une mauvaise planification, d’une mauvaise exécution, des deux, ou ni de l’une, ni de l’autre. Comme de nombreux plans intègrent des projections trop ambitieuses, les entreprises analysent souvent les mauvaises performances en se disant : « Encore une de ces prévisions basées sur une hypothèse de redressement miraculeux. » Et quand les plans sont réalistes et que les résultats ne sont pas au rendez-vous, les dirigeants ne reçoivent que peu de signaux d’alerte. Ils n’ont souvent aucun moyen de savoir si les actions cruciales ont été menées à bien comme prévu, si les ressources ont été employées en temps et en heure et si les concurrents ont réagi comme escompté, etc. Malheureusement, sans information claire permettant de savoir comment et pourquoi le résultat escompté n’a pas été atteint, il est quasiment impossible pour le top management de prendre les mesures correctives qui s’imposent.
– L’écart entre stratĂ©gie et performance favorise une culture de la sous-performance.
Dans de nombreuses entreprises, les problèmes de planification et d’exécution sont renforcés voire amplifiés par un changement de culture insidieux. Ce changement se produit de façon subtile mais rapide, et une fois qu’il a pris racine, il est très difficile à inverser. Tout d’abord, si les plans sont irréalistes, toute l’organisation s’attendra à ce qu’ils ne soient tout simplement pas accomplis. Puis, au fur et à mesure que l’hypothèse se vérifie, ne pas tenir ses promesses de performance devient la norme. Alors les engagements cessent d’être des promesses contraignantes avec des conséquences réelles. Plutôt que de faire leur maximum pour que les engagements soient tenus, les managers cherchent à se protéger des éventuelles retombées d’un échec qu’ils attendent et considèrent comme inévitable. Ils passent leur temps à brouiller les pistes plutôt qu’à identifier les actions qui permettraient d’améliorer la performance. L’organisation devient moins critique et moins honnête intellectuellement vis-à -vis de ses propres défaillances. Par conséquent, elle perd sa capacité à « performer ».
Combler l’écart qui sépare la stratégie de la performance
Aussi béant que soit le fossé qui sépare la stratégie de la performance dans la plupart des entreprises, les dirigeants peuvent le combler. Un grand nombre d’entreprises très performantes ont trouvé les moyens de concrétiser une plus grande partie du potentiel de leur stratégie. Au lieu de se concentrer, pour réduire l’écart, sur l’amélioration de leurs processus de planification et d’exécution séparément, ces entreprises travaillent sur les deux facteurs de l’équation, en élevant les normes qui servent à la fois à la planification et à l’exécution et en créant des liens clairs entre les deux.
Le travail des auteurs avec nombre de ces entreprises suggèrent qu’elles suivent sept règles à appliquer à la planification et à l’exécution. Respecter ces règles leur permet d’évaluer objectivement les défauts de performance et de déterminer s’ils sont dus à la stratégie, au plan, à l’exécution, ou aux capacités des employés. Et les règles qui leur permettent de repérer les problèmes à temps les aident aussi à éviter les insuffisances de performance dès le départ. Ces règles peuvent sembler simples, même évidentes, mais lorsqu’elles sont suivies à la lettre et de manière collective, elles peuvent influer à la fois sur la qualité de la stratégie d’une entreprise et sur sa capacité à obtenir des résultats satisfaisants.
Règle 1 : Faire simple et concret.
Dans la plupart des entreprises, la stratégie est un concept très abstrait, souvent confondu avec la vision ou l’aspiration, et qui ne se communique pas ni ne se traduit aisément en actions. Mais sans une idée claire de la direction empruntée par l’entreprise et des raisons qui l’y poussent, les niveaux hiérarchiques inférieurs de l’organisation ne peuvent pas mettre en œuvre des plans réalisables. En bref, le lien entre la stratégie et la performance ne peut être établi car la stratégie elle-même n’est pas suffisamment concrète.
Pour mettre le processus de planification et d’exécution sur les rails, les entreprises performantes évitent les descriptions interminables d’objectifs ambitieux. Au contraire, elles utilisent un langage clair pour décrire leur plan d’action. Bob Diamond, directeur général de Barclays Capital, l’une des entreprises du secteur bancaire enregistrant la plus forte croissance et les meilleures performances en Europe, jusqu’en 2012, l’exprime de la façon suivante :
« Nous avons été très clairs à propos de ce que nous allions faire et de ce que nous ne ferions pas. Nous savions que nous ne voulions pas affronter les grandes banques d’investissement américaines. Nous avons déclaré que nous ne comptions pas nous lancer dans une telle confrontation et que nous nous tiendrions éloignés des segments peu rentables du marché des actions, mais que nous investirions au contraire pour nous positionner sur le marché de l’euro, sur le besoin croissant des emprunteurs d’effectuer des remboursements à taux fixe, et sur la fin de la loi Glass-Steagall. En veillant à ce que tout le monde connaisse la stratégie et ce qui faisait son originalité, nous avons pu consacrer plus de temps aux tâches essentielles à l’exécution de cette stratégie. »
En définissant clairement ce qu’est la stratégie et ce qu’elle n’est pas, des entreprises comme Barclays maintiennent tous leurs collaborateurs tournés dans la même direction. Plus important, ils sécurisent la performance que leurs concurrents perdent à cause de leur communication inefficace. Leur planification des ressources et des actions devient plus efficace et les responsabilités sont plus faciles à définir.
Règle 2 : Débattre des hypothèses, pas des prévisions.
Dans de nombreuses entreprises, le plan stratégique d’une business unit n’est presque rien de plus qu’un accord négocié – le résultat de tractations minutieuses avec la direction générale à propos des objectifs de performance et des prévisions financières. La planification, par conséquent, est surtout un exercice politique avec, d’un côté, les dirigeants de business unit qui réclament des prévisions de bénéfices à court terme moins ambitieuses (pour obtenir des primes annuelles plus élevées) et, de l’autre, un top management qui requiert des projections à long terme (pour satisfaire le conseil d’administration et d’autres parties prenantes externes). Sans surprise, les prévisions auxquelles aboutissent ces négociations sous-estiment presque toujours ce que chaque unité peut fournir à court terme et surestiment ce qui peut raisonnablement être attendu à long terme. Ce qui correspond à ces fameuses hypothèses de redressement miraculeux (graphique en crosses de hockey ou en « stores vénitiens »), auxquelles les P-DG ne sont que trop habitués.
Même dans les entreprises où la planification est coupée des préoccupations politiques que sont l’évaluation et la rémunération de la performance, l’approche utilisée pour générer des projections financières comporte souvent des a priori intrinsèques. De fait, les projections financières sont souvent réalisées de façon totalement indépendante des départements marketing ou stratégie. Le service financier de l’unité prépare une prévision très détaillée poste par poste dont les hypothèses à court terme peuvent être réalistes, voire prudentes, mais dont les hypothèses à long terme n’ont quasiment rien de tangible. Par exemple, les prévisions de recettes sont généralement fondées sur des estimations brutes des prix moyens, de la croissance du marché et des parts de marché détenues par la société. Les projections de coûts à long terme et des besoins en fonds de roulement s’appuient sur une hypothèse de gains de productivité annuels opportunément liés, peut-être, à une restructuration de l’entreprise. Le top management a du mal à y voir clair dans ces prévisions. Chaque poste peut être complètement justifiable, mais le plan d’ensemble et les projections trahissent manifestement une idée préconçue de croissance qui les rend impropres à la conduite de l’exécution d’une stratégie. Les entreprises performantes ont une conception radicalement différente de la planification. Elles veulent que leurs prévisions pilotent le travail qu’elles effectuent réellement. Pour cela, elles doivent veiller à ce que les hypothèses sur lesquelles reposent leurs plans à long terme reflètent à la fois les réalités économiques de leurs marchés et les performances de l’entreprise vis-à -vis de ses concurrents.
Séparer la phase d’élaboration des hypothèses de celle des projections financières contribue à établir le dialogue entre la direction de l’entreprise et la business unit sur la base de la réalité économique. Les unités ne peuvent se dissimuler derrière des détails fallacieux et la direction générale ne peut exiger que des objectifs irréalistes soient atteints. Qui plus est, la discussion basée sur les faits qui résulte de ce type d’approche renforce la confiance entre les dirigeants de l’entreprise et chaque unité, et élimine les obstacles à une exécution rapide et efficace. « Quand vous disposez d’une compréhension fine des principes fondamentaux et des facteurs de performance, déclare Bob Diamond, vous pouvez alors vous mettre en retrait et vous n’avez pas à gérer les détails. L’équipe sait sur quels problèmes elle doit travailler, lesquels me signaler et à quelles problématiques nous devons nous attaquer tous ensemble. »
Règle 3 : Utiliser un cadre rigoureux, parler un langage commun.
Pour être productif, le dialogue entre la direction de l’entreprise et les unités à propos des tendances du marché et des hypothèses doit être mené dans un cadre rigoureux. Le cadre spécifique utilisé comme base pour élaborer ses plans stratégiques n’est pas si important, l’essentiel étant que ce cadre participe à l’établissement d’un langage commun propice au dialogue entre la direction générale et les unités, un langage que les équipes chargées de la stratégie, du marketing et des finances comprennent et utilisent toutes. Sans un cadre rigoureux pour faire le lien durablement entre la performance d’une entreprise sur ses marchés et sa performance financière, il est très difficile pour le top management de vérifier si les projections financières qui accompagnent le plan stratégique d’une unité sont raisonnables et réalisables. Par conséquent, la direction ne peut savoir avec certitude si un manque de performance est dû à une mauvaise exécution ou à un plan irréaliste et sans fondement.
Règle 4 : Discuter de l’allocation des ressources en amont.
Les entreprises peuvent élaborer des prévisions plus réalistes et des plans plus facilement applicables si elles discutent dès le départ de l’échelle et du calendrier de déploiement des ressources essentielles. Chez Cisco Systems, par exemple, une équipe transversale examine dès la phase de planification à quel niveau et à quel moment les ressources doivent être déployées. L’équipe rencontre régulièrement le P-DG, le directeur administratif et financier, le vice-président des opérations et les autres membres de l’équipe de direction de Cisco afin de discuter de leurs conclusions et de faire des recommandations. Une fois qu’un accord est conclu sur la répartition des ressources et son calendrier à l’échelle des unités, ces éléments sont intégrés au plan à deux ans de l’entreprise. Ensuite, Cisco surveille, tous les mois, le déploiement effectif des ressources dans chaque unité (ainsi que ses performances) pour s’assurer que tout se passe comme prévu par la feuille de route et que celle-ci produit les résultats escomptés.
Règle 5 : Définir clairement les priorités.
Pour réussir à exécuter n’importe quelle stratégie, les dirigeants doivent prendre des milliers de décisions tactiques et les mettre en œuvre. Mais toutes les méthodes ne se valent pas. Dans la plupart des cas, il faut prendre quelques mesures clés au bon moment et de la bonne façon pour atteindre la performance attendue. Les entreprises leaders sur leurs marchés font en sorte que ces priorités soient sans équivoque afin que chaque manager ait une idée claire de la direction vers laquelle il doit orienter ses efforts.
Lewis Campbell, P-DG de Textron jusqu’en 2009, résumait l’approche de sa société de la façon suivante : « Tout le monde a besoin de se dire : “Si je n’ai qu’une heure de travail devant moi, voici ce sur quoi je vais me concentrer.” Notre méthode pour atteindre un objectif clarifie les responsabilités et les priorités de chacun. » Le géant pharmaceutique suisse Roche va même jusqu’à transformer ses business plans en contrats de performance détaillés, qui spécifient clairement les étapes nécessaires et les risques qui doivent être pris en considération pour réaliser les plans. Ces contrats comprennent tous un « programme d’exécution » qui répertorie les cinq à dix priorités essentielles ayant le plus d’impact sur les performances.
Règle 6 : Contrôler en permanence la performance.
Les cadres chevronnés savent presque instinctivement si une entreprise a demandé trop, trop peu ou juste assez de ressources pour atteindre ses objectifs. Ils acquièrent cette capacité au fil du temps, essentiellement de manière empirique. Les entreprises performantes utilisent le suivi de la performance en temps réel pour aider à accélérer ce processus empirique. Ils surveillent continuellement le déploiement des ressources et leurs résultats par rapport au plan, en se servant de feed-backs continus pour corriger les hypothèses de planification et réaffecter les ressources. Cette information en temps réel permet au top management de repérer et de remédier aux failles du plan et aux lacunes d’exécution (et d’éviter de confondre les unes avec les autres).
Le suivi continu de la performance est particulièrement important dans les secteurs d’activité très instables, dans lesquels les événements qui sont hors de notre contrôle peuvent mettre à mal la pertinence d’un plan. Pendant le mandat du P-DG Alan Mulally (jusqu’en 2006), l’équipe de direction de Boeing Commercial Airplanes (BCA) organisait des revues de performance hebdomadaires pour suivre les résultats de la division par rapport à son plan pluriannuel. En suivant le déploiement des ressources comme un indicateur avancé de l’efficacité d’exécution d’un plan, l’équipe de direction de BCA pouvait procéder à des corrections chaque semaine plutôt que d’attendre la parution des résultats trimestriels.
En outre, en contrôlant de façon proactive les principaux moteurs de la performance (comme les schémas d’affluence des passagers, le rendement de la compagnie aérienne, les facteurs de charge ou les nouvelles commandes d’avions), BCA est plus à même de développer et de prendre des contre-mesures efficaces lorsque les événements remettent en question ses plans. Pendant l’épidémie de SRAS fin 2002, par exemple, l’équipe de direction de BCA a pris des mesures pour atténuer les conséquences néfastes de la maladie sur le plan d’exploitation de l’entreprise une semaine seulement après son apparition. La baisse brutale du trafic aérien à Hong Kong, Singapour et d’autres pôles économiques asiatiques indiquait que le nombre de livraisons d’avions dans la région diminuerait peut-être de façon plus précipitée que prévue. Par conséquent, BCA a réduit ses plans de production à moyen terme (en remettant à plus tard la montée en cadence de certains programmes ou en accélérant l’arrêt de certains autres) et elle a ajusté son plan d’exploitation pluriannuel afin d’anticiper l’impact financier de l’événement.
Règle 7 : Récompenser et développer les capacités d’exécution.
Aucune liste de règles sur le sujet ne saurait être aboutie sans rappeler que les entreprises doivent motiver et faire évoluer leurs troupes. En fin de compte, aucun procédé ne peut être plus performant que les gens qui doivent le mettre en œuvre. Sans surprise, donc, la plupart des entreprises que nous avons étudiées ont insisté sur le fait que la sélection et l’évolution des équipes managériales étaient des ingrédients essentiels de leur réussite. Si améliorer les compétences du personnel d’une entreprise n’est pas chose aisée – cela prend souvent de nombreuses années – ces capacités, une fois acquises, conduisent à une planification et à une mise en œuvre de qualité supérieure pendant des décennies.
Pour Bob Diamond, de Barclays, rien n’est plus important que de « veiller à ce que [la société] ne recrute que des collaborateurs de haut vol ». Selon lui, « les coûts cachés de mauvaises décisions de recrutement sont énormes, c’est pourquoi, même si nous doublons de volume, en tant que dirigeants, nous insistons pour assumer la responsabilité de toutes les embauches. L’avis de vos pairs est le jugement le plus intransigeant, donc nous examinons réciproquement les candidats que nous envisageons de recruter et nous nous mettons les uns les autres au défi de placer la barre toujours plus haut ».
Il est tout aussi important de veiller à ce que les talents recrutés soient récompensés si leurs performances sont excellentes. Pour renforcer ses valeurs fondamentales de « clientèle », de « méritocratie », « d’équipe » et « d’intégrité », Barclays Capital dispose de systèmes de rémunération innovants qui « encadrent » les récompenses. Les cadres exemplaires ne se retrouvent pas perdants si l’entreprise se lance sur de nouveaux marchés et engrange des résultats plus modestes au cours de la phase de croissance. Et Bob Diamond d’ajouter : « Si vous ne donnez pas ce que vous avez promis à ceux qui ont rempli leur part du contrat, cela a des effets néfastes sur la culture d’entreprise… Vous devez vous assurer que votre action est cohérente et équitable, à moins que vous ne teniez à perdre vos collaborateurs les plus productifs. »
Les entreprises les plus fortes en matière d’exécution sont aussi celles qui mettent l’accent sur le développement. Peu de temps après avoir été nommé à la tête de 3M, Jim McNerney (qui en a été le P-DG jusqu’en 2005) et son comité de direction ont passé 18 mois à débattre d’un nouveau modèle de leadership pour l’entreprise. Des discussions animées entre les membres de la direction ont conduit à un accord sur six « attributs du leadership », à savoir la capacité à « définir la voie à suivre », à « mobiliser et inspirer les autres », à « être porteur de l’éthique, de l’intégrité et de la conformité », à « produire des résultats », à « placer la barre toujours plus haut » et à « innover avec ingéniosité ». Le top management de 3M a convenu que ces six attributs étaient essentiels pour que l’entreprise gagne en habileté d’exécution et soit vue comme une société responsable. Aujourd’hui, les dirigeants estiment que ce modèle a aidé 3M à maintenir et même à améliorer de façon cohérente ses bonnes performances.
Lorsque l’on réussit à combler le fossé entre la stratégie et la performance, la récompense est élevée : et cette récompense est, pour la plupart des entreprises, une hausse de la performance de 60 à 100 %. À côté de ce chiffre, les vrais avantages ont toujours tendance à être sous-estimés. Les entreprises qui établissent des liens étroits entre leurs stratégies, leurs plans et, en fin de compte, leurs performances observent souvent un effet bénéfique sur leur culture d’entreprise. Au fur et à mesure qu’ils transforment leurs stratégies en d’excellentes performances, les dirigeants de ces organisations deviennent beaucoup plus confiants en leurs propres capacités et beaucoup plus disposés à prendre des engagements à long terme qui inspirent et transforment ces grandes entreprises. À leur tour, les cadres qui tiennent leurs engagements sont récompensés (ascension professionnelle plus rapide et meilleure rémunération), ce qui affermit les comportements nécessaires pour faire avancer toute entreprise.Un jour, une culture de la surperformance finit par émerger. En peu de temps, la réputation de l’entreprise finit par croître, et naît un cercle vertueux dans lequel le talent engendre la performance, la performance engendre des récompenses et les récompenses engendrent l’épanouissement du talent. En bref, combler le fossé entre stratégie et performance est non seulement une source d’amélioration immédiate de la performance, mais aussi un important moteur de changement culturel, avec un impact significatif et durable sur les capacités, les stratégies et la compétitivité de l’organisation.