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(Article basĂ© sur l’ouvrage collectif La StratĂ©gie Lean : crĂ©er un avantage compĂ©titif, libĂ©rer l’innovation, assurer une croissance durable en dĂ©veloppant les personnes)

[N.B. L’ouvrage de référence traité aujourd’hui approfondit des notions liées au management lean comme le Kaizen, les gembas etc. qui sont considérées acquises par les auteurs. Les définitions et contextes indispensables à la compréhension fluide de cet article peuvent être trouvés dans les précédents articles sur ce thème :

Kaizen et outils d’analyse

Principes du management lean

Le management actuel, qu’il s’agisse de vente de produits ou de prestation de services, se rĂ©duit de plus en plus Ă  de la gestion dĂ©sincarnĂ©e avec au cĹ“ur des prĂ©occupations les rĂ©sultats financiers, ce qui engendre une baisse gĂ©nĂ©rale tant de la qualitĂ© des produits et services fournis, que de l’engagement et de l’épanouissement des professionnels. Le management lean, avec ses outils d’analyse et la dynamique collaborative et humaine qui est la sienne, remet les personnes au centre des dĂ©cisions, qu’il s’agisse de clients, de patients ou des collaborateurs participant Ă  la crĂ©ation de ce qui est dĂ©livrĂ©. Il ne traite pas ses destinataires comme des cibles dĂ©shumanisĂ©es, ni ses employĂ©s et fournisseurs comme des machines Ă  programmer ou des consommables, interchangeables et dispensables. Il n’envisage pas la standardisation et la systĂ©matisation des procĂ©dures comme un carcan impermĂ©able au changement et dĂ©tachĂ© de la rĂ©alitĂ© des tâches. Il n’est pas non plus Ă  l’inverse d’un humanisme bĂ©at dĂ©connectĂ© des rĂ©alitĂ©s des marchĂ©s et des exigences de rĂ©sultats et de productivitĂ©. C’est en partant de ce constat que quatre auteurs dont Daniel Jones, co-fondateur du mouvement lean en Occident, proposent un ouvrage tout entier axĂ© sur la notion de compĂ©titivitĂ© spĂ©cifique que propose le management lean, en dix Ă©tapes articulĂ©es autour des dix grands principes du lean, dont la faisabilitĂ© et l’efficacitĂ© ont Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©es en entreprise.

1. Faire mieux

Le lean est une stratĂ©gie Ă  long terme visant Ă  accroĂ®tre sa compĂ©titivitĂ©. Dans un environnement volatil, le lean enseigne l’abandon de l’idĂ©e de « meilleure pratique Â» universelle et constante hors contexte au profit d’une plus grande adaptabilitĂ©, dans une dynamique collaborative permettant de valoriser le travail de chacun. Le système lean est une mĂ©thode d’apprentissage par l’action. Faire mieux, c’est crĂ©er davantage de valeur en offrant davantage de valeur.

La notion de « faire mieux » en termes de management lean se fonde en effet sur le principe que le prix d’un produit ou le tarif d’une prestation ne se fixe pas mais se découvre, s’autodétermine en fonction des coûts réels de production, de la demande et de la valeur que leur accorde le destinataire. La qualité est au cœur de la démarche, et l’augmentation des marges par la réduction des coûts passe par une optimisation pas à pas des méthodes de travail et une élimination des gaspillages, jamais par une réduction de la qualité, qu’il s’agisse du produit ou service lui-même ou des conditions de travail des personnes intervenant dans sa création.

Le pas-Ă -pas est fondamental dans la dĂ©marche lean, et est incarnĂ© par sa principale application concrète, le chantier Kaizen, que nous avons dĂ©fini dans un prĂ©cĂ©dent article : l’amĂ©lioration et la rĂ©solution des problèmes rĂ©els et concrets, en commun et de façon continue.

2. Penser différemment

La pensĂ©e lean est en effet une rĂ©volution de point de vue avant d’être une rĂ©volution organisationnelle. Il s’agit de se dĂ©tacher des concepts occidentaux habituels de gestion d’entreprise et de productivitĂ©, et notamment les distinctions artificielles entre stratĂ©gie et exĂ©cution, pensĂ©e et action, direction / management et application Ă  l’échelle des exĂ©cutants. Plus concrètement, vous ne pourrez pas « embaucher Â» un senseĂŻ (expert soutien Ă  l’introduction du lean dans une entreprise) pour faire le travail Ă  votre place ou rĂ©organiser la sociĂ©tĂ© ou son fonctionnement de façon thĂ©orique. Vous n’aurez pas « plan d’action Â» complet Ă  imposer arbitrairement Ă  vos Ă©quipes et censĂ© rĂ©soudre les problèmes ou insuffisances flagrants sans vous atteler d’abord et personnellement, sur le terrain, aux petits grains de sable qui sapent les rouages. Pour transformer une organisation, celui qui la dirige doit commencer par se transformer lui-mĂŞme, remettre en jeu sa responsabilitĂ© dans sa situation actuelle, et accepter de remettre sa vision globale dĂ©sincarnĂ©e (rĂ©sultats, chiffre d’affaire, taux de satisfaction client ou patient) en perspective avec les rĂ©alitĂ©s de l’environnement de travail qu’il a crĂ©Ă© (sĂ©curitĂ© et confort des employĂ©s, intĂ©rĂŞt des postes de travail, Ă©panouissement professionnel des collaborateurs…) et la valeur rĂ©elle de ses produits et services (qualitĂ© de l’expĂ©rience vĂ©cue par les patients au-delĂ  de la prestation de soins elle-mĂŞme…).

En rĂ©sumĂ©, on peut synthĂ©tiser les diffĂ©rences majeures entre le management traditionnel et la dĂ©marche lean en un simple tableau :

Management traditionnel : 4 DManagement lean : 4 C
DĂ©finir : le leader dĂ©finit ce qu’est la situation actuelle et ce qu’elle devrait ĂŞtre, parfois Ă  l’aide de consultants extĂ©rieurs « spĂ©cialisĂ©s Â», puis dĂ©finit la stratĂ©gie qui lui semble la plus appropriĂ©e et ses modalitĂ©s d’application.Chercher : le leader interroge les exĂ©cutants sur leur vision de la situation actuelle, les problèmes rĂ©els rencontrĂ©s ou amĂ©liorations envisagĂ©es, et consolide ses relations avec eux en Ă©tant prĂ©sent et attentif sur le terrain (gemba)
DĂ©cider : le leader acte les mĂ©thodes et stratĂ©gies dĂ©finies en fonction de sa perception de la situation et dĂ©cide de la voie et des procĂ©dures Ă  suivre par l’entreprise pour atteindre les objectifs qu’il a fixĂ©s.Confronter : le leader diffuse l’ensemble des constats Ă  l’ensemble des collaborateurs et crĂ©e les outils permettant Ă  chacun d’y rĂ©flĂ©chir et de proposer solutions et amĂ©liorations.
Diriger : le leader fait appliquer les mĂ©thodes et changements via un plan d’action thĂ©orique et son autoritĂ© hiĂ©rarchique, et supervise leur exĂ©cution concrète en surmontant les Ă©ventuelles rĂ©sistances et en gratifiant l’adhĂ©sion Ă  sa vision et les rĂ©sultats individuels des suiveurs. Il ne monitore que les rĂ©sultats concrets (chiffres) mais ni le moral de ses employĂ©s, ni les variations de perception de la valeur rĂ©elle (matĂ©rielle et affective) de ses produits ou services.Cadrer : le leader rĂ©flĂ©chit Ă  ce que la recherche et la confrontation ont rĂ©vĂ©lĂ© sur la situation rĂ©elle de la sociĂ©tĂ© et organise la logistique des chantiers Kaizen dĂ©finis en commun dont la responsabilitĂ© incombe aux exĂ©cutants des tâches concernĂ©es. Il monitore les rĂ©sultats obtenus au fur et Ă  mesure et valide les ajustements Ă©ventuellement nĂ©cessaires. Il Ă©tudie les rĂ©sultats en termes globaux : chiffres financiers mais aussi satisfaction clients, satisfaction employĂ©s, rĂ©putation, Ă©volution des coĂ»ts, financiers comme immatĂ©riels (stress, gestion du temps, confort…)
DĂ©mĂŞler : le leader doit gĂ©rer les consĂ©quences souvent imprĂ©vues de sa stratĂ©gie et de ses dĂ©cisions (non-rĂ©solution des problèmes malgrĂ© parfaite application des changements, nouveaux problèmes engendrĂ©s par les changements, turnover du personnel accru, Ă©chec d’un nouveau produit ou service). Les rĂ©sultats obtenus se maintiennent difficilement au-delĂ  du coup d’éclat initial. Il cherche des responsables.Construire : le leader constate qu’en dĂ©veloppant petit Ă  petit l’autonomie et les compĂ©tences des personnes impliquĂ©es dans le fonctionnement de la sociĂ©tĂ©, qu’en rĂ©solvant les problèmes un par un quelle que soit leur importance Ă  ses yeux, les rĂ©sultats s’amĂ©liorent. Ces amĂ©liorations, palpables et impalpables, sont durables et significatives cumulĂ©es entre elles et dans le temps. Le crĂ©dit en revient Ă  tous.

3. Diriger Ă  partir du terrain

Penser diffĂ©remment implique ainsi un changement de comportement : la connaissance et l’expĂ©rience concrète du terrain (le « gemba Â», vrai lieu peuplĂ© de vraies personnes avec de vrais problèmes) sont indispensables, tant pour montrer l’exemple, Ă©tablir sa prĂ©sence concrète auprès des employĂ©s et clients, que pour une rĂ©elle comprĂ©hension des enjeux et Ă©ventuels problèmes Ă  chaque poste.

La tendance managĂ©riale actuelle, fondĂ©e sur la hiĂ©rarchie et l’autoritĂ©, a tendance Ă  transformer les exĂ©cutants en simples rouages interchangeables, ce qui entraĂ®ne d’une part la dĂ©solidarisation de la stratĂ©gie (dĂ©cidĂ©e en « hauteur Â» et thĂ©oriquement) de l’exĂ©cution, et d’autre part des schĂ©mas organisationnels centrĂ©s sur des systèmes et processus censĂ©s pouvoir fonctionner quelle que soit la personne qui les applique, sa personnalitĂ©, son Ă©thique, ses compĂ©tences autres, ses motivations… Diriger Ă  partir du terrain signifie donc plier la stratĂ©gie thĂ©orique Ă  la rĂ©alitĂ© de la base en Ă©tudiant et en expĂ©rimentant les faits plutĂ´t que les impressions ou les donnĂ©es immatĂ©rielles, et en cherchant sans cesse la racine des problèmes, le « pourquoi Â» du « pourquoi Â» du « pourquoi Â» avec les exĂ©cutants confrontĂ©s directement au problème. C’est sur l’appropriation du terrain que repose le vrai leadership : cela exige une certitude de la communautĂ© des objectifs et une dĂ©monstration de confiance aux collaborateurs qui face Ă  son intĂ©rĂŞt soudain, doivent pouvoir exprimer le fond de leur pensĂ©e et dĂ©crire ou montrer leur expĂ©rience rĂ©elle sans crainte de reprĂ©sailles ou de consĂ©quences nĂ©gatives. Les solutions sont Ă©laborĂ©es avec les personnes et non malgrĂ© elles ou contre elles, et c’est aux problèmes que l’on s’attaque, non aux personnes. Le lean prĂ´ne un apprentissage par l’action, la rĂ©flexion ne se fait pas en amont et en totalitĂ© avant la mise en place d’une solution calibrĂ©e, mais au fur et Ă  mesure de la mise en place d’élĂ©ments de solution fragmentĂ©s et testĂ©s en continu. Des solutions « centrĂ©es sur les personnes Â» ne signifient pas l’inversion de la hiĂ©rarchie, mais que malgrĂ© leur pouvoir dĂ©cisionnel ultime, les dirigeants Ă©coutent, expliquent, encouragent et collaborent. L’amĂ©lioration des systèmes commence par l’amĂ©lioration des personnes qui les exĂ©cutent.

4. Cadrer pour apprendre

L’apprentissage doit ainsi ĂŞtre encadrĂ© par les nouvelles façons de penser et les objectifs du nouveau point de vue adoptĂ©. C’est donc au dirigeant de choisir ou de crĂ©er les outils permettant de monitorer les effets de chaque dĂ©cision et d’accroĂ®tre la comprĂ©hension, le travail en Ă©quipe et l’efficacitĂ© des amĂ©liorations. Le « jidoka Â», ou intĂ©grer la qualitĂ© Ă  l’ensemble des processus plutĂ´t que de contrĂ´ler les dĂ©fauts au cas par cas, et le « juste-Ă -temps Â», ou la maĂ®trise en flux continu de la production en fonction de la demande et des capacitĂ©s, en Ă©liminant le gaspillage, sont les deux cadres sur lesquels reposent les objectifs principaux que sont l’augmentation de la valeur accordĂ©e Ă  la production (aux soins) par les clients (les patients) tout en diminuant les coĂ»ts, et la satisfaction de l’ensemble des collaborateurs pour une plus grande implication et toujours plus d’autonomie.

Le jidoka consiste ainsi Ă  placer la qualitĂ© (d’un produit, d’un service) au-dessus de sa production : il est inutile de produire vite ou en grande quantitĂ© si le produit ou le service est insatisfaisant pour son destinataire final. Mieux vaut se concentrer sur la capacitĂ© de chaque produit ou service issu de l’entreprise Ă  satisfaire le client (le patient) qui le reçoit, plutĂ´t que sur le nombre de clients et patients servis au dĂ©triment de leur satisfaction (et donc de la valeur de la production). La variĂ©tĂ© de l’offre, l’innovation sont la charrue qu’il convient de ne pas mettre avant les bĹ“ufs de la promesse initiale tenue.

Du « juste-Ă -temps Â», concept lĂ©gèrement moins pertinent pour la prestation de service que pour la fabrication de produits puisqu’il tend Ă  Ă©liminer les stocks et excès de production invendus, on retient tout de mĂŞme la nĂ©cessitĂ© de la fluiditĂ© des procĂ©dures entre les diffĂ©rents postes et de la circulation de l’information pour dĂ©livrer « ce qu’il faut, quand il faut Â», ainsi que l’importance de la gestion du temps et de l’optimisation de l’organisation concrète des espaces de travail.

Le cadre et la logistique des chantiers Kaizen centrĂ©s d’abord sur l’amĂ©lioration des processus, produits et systèmes existants, s’assurer que « ce que l’on fait dĂ©jĂ  Â» est optimal avant de s’intĂ©resser Ă  « ce que l’on peut faire de plus Â», sont donc la responsabilitĂ© principale du dirigeant lean. Ce cadre, du jidoka au « juste-Ă -temps Â», fonde ainsi des objectifs très concrets, des idĂ©aux communs Ă  toutes les entreprises lean, de vente ou de service :

– SĂ©curitĂ© : 0 danger (physique, psychologique, financier)

– QualitĂ© : 0 dĂ©faut (faire bien du premier coup, Ă©liminer les dĂ©fauts dans le processus et non après dĂ©livrance du produit ou service)

– CoĂ»t : 0 gaspillage (d’argent, de temps, de matĂ©riel, d’espace, de compĂ©tences…)

– DĂ©lais : 0 retards

Le Kaizen, sous ses deux aspects de résolution des problèmes pour revenir à la situation standard d’une part, et d’examen d’un processus pour en améliorer le standard d’autre part, est en outre dans cette perspective un formidable cadre d’apprentissage par l’action, qui permet, outre ses effets immédiats sur le point étudié, de renforcer à long terme le capital humain (connaissances et compétences) et le capital social (confiance, relations, autonomie) de l’entreprise.

5. S’organiser pour apprendre

Le kaizen, ou changement continu, fait de petites modifications constantes et progressives Ă  l’initiative des exĂ©cutants concernĂ©s, est donc au cĹ“ur de la pratique lean. Il est ainsi important que les intermĂ©diaires, managers ou rĂ©fĂ©rents soient dĂ©signĂ©s sur leur capacitĂ© Ă  apprendre d’abord, puis sur leur pĂ©dagogie plutĂ´t que sur leur agressivitĂ©, leur autoritĂ© ou leur capacitĂ© de rĂ©action immĂ©diate plutĂ´t que leur constance. Le kaizen implique le respect des personnes et la valorisation de chaque collaborateur et de ses idĂ©es, ce qui nĂ©cessite de revoir la politique hiĂ©rarchique ou le management « mĂ©caniste Â» courant qui se fonde souvent sur des stratĂ©gies et systèmes hors contexte imposĂ©s aux Ă©quipes et qui est contraire Ă  l’esprit lean.

Il Ă©galement important de comprendre que chaque personne Ă©volue Ă  un rythme diffĂ©rent, et que la rĂ©ussite du management lean ne se prĂ©sente pas comme une rĂ©volution mais comme une progression lente et stable. Le leader doit ainsi principalement crĂ©er l’environnement et les conditions idĂ©ales Ă  ce changement progressif Ă  chaque Ă©tape et briller par sa patience, son soutien et sa fiabilitĂ© plutĂ´t que par son autoritĂ© ou sa force de proposition. S’organiser et se conditionner Ă  l’apprentissage permanent et au travail en Ă©quipe demande une humilitĂ© et une force de caractère significatives, ainsi qu’une perspective d’ensemble et Ă  long terme claire et cohĂ©rente. Le leader amène ses Ă©quipes Ă  surmonter quatre obstacles principaux dans l’introduction de la dimension lean en entreprise :

– La prise de responsabilitĂ©

– L’exploration des chemins non balisĂ©s

– L’acceptation et le dĂ©passement des Ă©checs

– L’anticipation de l’étape suivante.

Il va sans dire qu’il est impossible d’insuffler Ă  ses troupes l’énergie et la motivation nĂ©cessaire au franchissement de ces Ă©tapes si on ne les a pas soi-mĂŞme maĂ®trisĂ©es. S’organiser pour apprendre et penser autrement ne signifie ainsi pas supprimer la notion de hiĂ©rarchie ni la diffĂ©rentiation des postes et rĂ´les de chacun, mais bien nuancer les divisions et globaliser la prise d’initiative et la rĂ©flexion sur l’entreprise en tant qu’entitĂ© et pas seulement Ă  son propre poste – autrement dit, pour le leader, passer de « chef Â» Ă  « guide Â», de « supĂ©rieur Â» Ă  « dĂ©veloppeur Â» de ses employĂ©s et collaborateurs.

Un des outils concrets de cette organisation axĂ©e sur la pĂ©dagogie et la responsabilitĂ© individuelle est le management visuel, qui consiste Ă  crĂ©er des supports de rĂ©fĂ©rence accessibles Ă  tous en permanence afin de vĂ©rifier l’adĂ©quation de chaque action individuelle avec les objectifs et standards communs. Cela peut se dĂ©cliner en multiples supports, du marquage au sol aux graphiques ou rappels de consignes approuvĂ©es en commun affichĂ©s aux murs, et devra une fois encore, non pas ĂŞtre appliquĂ© en l’état mais adaptĂ© Ă  votre secteur, votre environnement, votre Ă©quipe, et toujours ĂŞtre Ă  visĂ©e pĂ©dagogique (possibilitĂ© d’auto-Ă©valuer ses actions) et non autoritaire ou « menaçante Â» (règlement intĂ©rieur ou procĂ©dure figĂ©e avec sanction en cas de non-application).

6. Une nouvelle formule de croissance

Une stratĂ©gie lean peut se rĂ©sumer Ă  :

– faire face Ă  de vrais dĂ©fis en se donnant pour but de doubler ce qui ajoute de la valeur et de rĂ©duire de moitiĂ© ce qui lui nuit

– dĂ©velopper une culture de la reconnaissance et de la rĂ©solution de problème au quotidien

– utiliser les amĂ©liorations pour augmenter la capacitĂ© et la rĂ©investir sur de nouveaux produits ou services.

La puissance de cette stratĂ©gie est son orientation tout entière vers la satisfaction des clients tout en tenant compte des coĂ»ts et budgets concrets. Elle se diffĂ©rencie des approches classiques par sa vision globale de la rĂ©duction des coĂ»ts et de l’investissement, sans « acheter Â» des clients ou des patients par des campagnes de dĂ©marchage agressives, promotions et autres coups de poker, ni rogner sur la qualitĂ© du produit ou service ou sur le personnel, mais en proposant d’atteindre une qualitĂ© structurelle et productive constante et une innovation et un dĂ©veloppement rĂ©flĂ©chis et maĂ®trisĂ©s.

La nouvelle formule de croissance ne repose ainsi plus sur des coups d’éclats entraĂ®nant souvent, Ă  très moyen termes, des difficultĂ©s quant Ă  l’impossibilitĂ© de maintenir les rythmes et efforts (humains comme financiers) que les changements ont nĂ©cessitĂ©, mais sur une dynamique d’accumulation de valeur dans la durĂ©e, par l’augmentation lĂ©gère mais constante du chiffre d’affaire et la rĂ©duction, Ă©galement progressive, des coĂ»ts par l’élimination du gaspillage. Elle tient Ă©galement compte de l’interdĂ©pendance qui existe entre tous les Ă©lĂ©ments d’une gestion d’entreprise, trop souvent oubliĂ©e au profit de plans d’actions ciblĂ©s et nĂ©gligeant de mesurer l’impact des dĂ©cisions sur les autres aspects de l’activitĂ© (par exemple, mesurer seulement l’économie rĂ©alisĂ©e par un changement de fournisseur sans tenir compte du taux d’insatisfaction des patients avec ce nouveau produit ou le temps perdu par les retards de livraison qui n’existaient pas avec l’ancien etc.). Elle peut, on l’a dit, se rĂ©sumer Ă  trois grands axes, qui pèsent sur l’ensemble des aspects (ressources humaines, capital, capacitĂ©s d’investissement, compĂ©titivitĂ©…) :

– Diviser par deux le nĂ©gatif, doubler le positif : la rĂ©duction du gaspillage et l’amĂ©lioration de la qualitĂ© doivent ĂŞtre au cĹ“ur des dĂ©cisions et orientations. Si ces deux points sont maĂ®trisĂ©s, le reste (augmentation du chiffre d’affaire, de la satisfaction des patients et du personnel, meilleure maĂ®trise du temps…) suivra.

– CrĂ©er une culture fondĂ©e sur la rĂ©solution des problèmes : les problèmes sont le matĂ©riau quotidien d’innovation et de dĂ©veloppement des managers lean. Ils reprĂ©sentent en effet toujours une chance de faire mieux, et d’identifier, par la recherche de leur racine via une succession de « pourquoi Â», des « mĂ©ta-problèmes Â» dont la rĂ©solution Ă©liminera une nuĂ©e d’autres difficultĂ©s dont on ne percevait pas qu’elles en dĂ©coulaient.

– LibĂ©rer des capacitĂ©s pour libĂ©rer l’innovation : car Ă©liminer les gaspillages (d’argent, de temps, de compĂ©tences), c’est libĂ©rer la flexibilitĂ© et des capacitĂ©s (d’investissement, de crĂ©ation, de rĂ©flexion) qui pourront ĂŞtre, sans danger puisqu’elles n’existaient pas et ne pourraient ainsi ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme « pertes Â» en cas d’échec, allouĂ©es au dĂ©veloppement de nouveaux produits, services, processus…

Cette nouvelle approche des notions de « gain Â» et de « perte Â», de « gaspillage Â», de « valeur Â» en somme, est parfois compliquĂ©e Ă  intĂ©grer dans la pratique comptable, c’est pourquoi il est indispensable que les responsables financiers soient inclus dans la dĂ©marche lean adoptĂ©e.

7. Apprendre à apprendre, moteur de l’accroissement continu de la valeur

Très marquĂ©es par le fordisme et le taylorisme, mĂŞme dans les secteurs de service, les entreprises modernes ont tendance Ă  cĂ©der Ă  la quĂŞte constante de « meilleures pratiques Â» et de systèmes tout-faits qui hors de leur contexte d’initiation ont peu de chance de pouvoir s’appliquer en l’état Ă  n’importe quelle structure. Les dirigeants et stratèges lean savent qu’il n’y a pas « d’application Â» d’une mĂ©thode mais uniquement ses « adaptations Â». Le lean rĂ©flĂ©chit en termes d’une meilleure comprĂ©hension des problèmes avant toute dĂ©finition de solution, d’un point de dĂ©part pragmatique et concret pour chaque problème ou point de rĂ©flexion, et d’un management axĂ© sur la pĂ©dagogie et la recherche commune de solutions ou d’idĂ©es nouvelles.

C’est dans cette perspective que la compréhension et la maîtrise du Kaizen et de ses outils d’analyse des problèmes ou facteurs à améliorer est indispensable à toute approche lean.

8. Accélérer les progrès

La pensĂ©e classique en innovation est qu’une idĂ©e innovante doit ĂŞtre nouvelle, et crĂ©er une chaĂ®ne de valeur spĂ©cifique inĂ©dite. Le lean remet en cause ces principes, en fondant ses dĂ©finitions de l’innovation sur :

– le besoin rĂ©el des destinataires existants (amĂ©liorer la satisfaction des patients et prospects existants, aujourd’hui, comprendre et fournir ce dont ils ont besoin aujourd’hui avant de tenter d’anticiper leurs besoins futurs ou l’acquisition de nouveaux patients)

– les produits, techniques et services existants (amĂ©liorer et perfectionner ses compĂ©tences dans un domaine avant d’en acquĂ©rir de nouvelles, entretenir et tirer pleinement parti du matĂ©riel existant avant d’en acquĂ©rir du nouveau…)

– les moyens de production actuels (amĂ©liorer les procĂ©dures en place plutĂ´t que de les changer entièrement sans arrĂŞt, former et motiver le personnel existant plutĂ´t que de cĂ©der au turn-over permanent, amĂ©liorer les relations et partenariats avec les fournisseurs externes habituels plutĂ´t que de changer de laboratoire Ă  chaque besoin…).

C’est un double cercle vertueux qui se nourrit de lui-mĂŞme :

Meilleure satisfaction patient = (impulsion) meilleurs services = (besoin) meilleurs processus

Meilleurs processus = meilleurs services = meilleure satisfaction patients

AccĂ©lĂ©rer les progrès ne signifie donc pas tomber dans le piège des « stratĂ©gies lean Â» qui n’ont de lean que le nom et qui commencent Ă  fleurir ici et lĂ , se contentant de reprendre les formes et non le fond, transformant (ou plutĂ´t retransformant) les standards en consignes brutes, la stimulation et la motivation en dynamiques classiques « rĂ©compense ou sanction Â» et les chantiers Kaizen en prĂ©textes ou manipulation pour faire accepter des plans d’actions venus « d’en haut Â» et pas rĂ©ellement dĂ©cidĂ©s en commun. Le « sensei Â» lean n’est pas un consultant classique, il ne dresse pas d’audit et ne propose pas de solution. Il guide et conseille pour amener le dirigeant comme les Ă©quipes Ă  dĂ©finir et dĂ©cider eux-mĂŞmes.

9. Du Kaizen à l’innovation

Plutôt que d’imposer des plans d’action abstraits qui ont tendance à masquer les vrais défis en les noyant sous la profusion de nouvelles tâches ou habitudes, le lean amène le manager à identifier clairement les points les plus difficiles de l’activité de son entreprise, dont la résolution est la clef de la différentiation avec la concurrence et de la satisfaction supérieure des clients. Le kaizen, par sa pratique pas à pas et collaborative, est en fait un réel moteur d’innovation et de dynamisme, par la constance de sa réactivité, sa rapidité de résolution définitive des problèmes et, plus généralement, l’intégration structurelle par tous dans la politique même du cabinet des notions de changement continu, d’amélioration et de responsabilité, commune dans la réussite de l’entité-entreprise comme individuelle dans son propre accomplissement professionnel.

En effet, l’ascension de l’Everest dĂ©bute au premier pas, et n’est rien d’autre que l’accumulation de chaque petit pas de chaque pied, l’un après l’autre, jusqu’à l’arrivĂ©e. Chacun de ces pas a contribuĂ© Ă  l’ascension, et l’ascension est incomplète si le moindre de ces pas est retranchĂ© du parcours. Le management lean vise l’Everest, il ne vise pas un tiers de l’ascension Ă  toute vitesse pour finalement, Ă©puisĂ© Ă  mi-parcours et ses chaussures neuves en lambeaux, s’arrĂŞter et regarder monter le plus patient qu’on croyait dĂ©passĂ© mais qui s’est mĂ©nagĂ©, a comptĂ© ses pas, a Ă©conomisĂ© sa nourriture et son eau sans toutefois se priver, s’est Ă©quipĂ© en chemin d’un bâton pour mieux marcher, d’une tente pour mieux dormir, d’une lampe pour avancer la nuit… L’innovation au sens lean est l’ensemble de ces accessoires dont la nĂ©cessitĂ© est dĂ©couverte en chemin et qui ont une utilitĂ© concrète et vĂ©rifiĂ©e, et qui permettent non pas d’être vu de loin et un dĂ©part Ă©clatant mais d’atteindre le sommet du zĂ©ro dĂ©faut, zĂ©ro danger, zĂ©ro retard, zĂ©ro gaspillage. Elle se fonde sur quatre principes en cohĂ©rence avec l’objectif premier du lean, c’est-Ă -dire l’objectif de valeur accordĂ©e par le destinataire (autrement dit la qualitĂ© au-dessus de toute autre prĂ©occupation) :

– en quoi cette innovation (nouvelle technique, nouvelle machine…) va-t-elle aider le patient Ă  mieux faire ou obtenir ce qu’il veut ?

– en quoi est-ce diffĂ©rent de ce qu’il peut trouver ailleurs ?

– en quoi est-ce plus efficace ou Ă©conomique pour le patient ?

– et seulement, Ă  la fin, en quoi cela bĂ©nĂ©ficie-t-il au cabinet ?

Elle doit Ă©galement prendre en compte le facteur « pĂ©rennisation Â». Des processus, produits ou technologies rapidement obsolètes ou en phase d’expĂ©rimentation ne servent pas la vision Ă  long terme du lean, qui tire le meilleur profit de ses ressources aussi longtemps que possible et bannit le gaspillage.

10. Changer d’attitude

Les conceptions classiques de l’organisation du travail ont tendance Ă  dĂ©sincarner, Ă  dĂ©shumaniser la rĂ©alitĂ© des tâches en les dĂ©coupant en processus, postes de travail, modes opĂ©ratoires ne tenant pas compte de la personne effectuant ces tâches, ni de la personne au bout de la chaĂ®ne Ă  savoir le client ou le patient, son humanitĂ©, sa personnalitĂ©, son vĂ©cu etc. A contrario, les conceptualisations « humanistes Â», surtout dans les secteurs mĂ©dicaux et paramĂ©dicaux, si elles partent d’un bon sentiment, tendent Ă  ne pas tenir compte des rĂ©alitĂ©s « qui fâchent Â», Ă  savoir la compĂ©titivitĂ©, la satisfaction des consommateurs (car les patients sont, en tant que souscripteurs de soins facturĂ©s, bien des consommateurs et mĂ©ritent la mĂŞme attention si ce n’est plus qu’un « client Â» de n’importe quelle sociĂ©tĂ© de service non-vital), ou encore l’exigence de productivitĂ© affĂ©rente Ă  toute activitĂ© professionnelle qui se doit d’obtenir des rĂ©sultats en vue ne serait-ce que de se maintenir et d’engendrer des revenus. La pensĂ©e lean est une vĂ©ritable rupture avec ces extrĂŞmes en se posant comme voie du milieu, non au sens de « compromis Â» entre ces visions, mais bien de synthèse en reprenant les meilleurs Ă©lĂ©ments. Elle est aussi en rupture avec cette aberration moderne qui consiste Ă  penser les stratĂ©gies d’une entreprise au bĂ©nĂ©fice de l’entreprise elle-mĂŞme et non du destinataire, aberration d’autant plus incohĂ©rente dans le secteur du service, et encore plus celui du service mĂ©dical, oĂą le « besoin Â» du patient n’est pas un concept arbitraire Ă  crĂ©er de toutes pièces mais bien une rĂ©alitĂ© physique.

Ainsi, par le biais du management lean ou en en tirant Ă  tout le moins un minimum de direction et d’enseignement, c’est seulement en ramenant les notions de valeur et de bĂ©nĂ©fice  aux besoins de nos patients, en axant l’ensemble de nos processus, dĂ©cisions et politiques sur ces besoins, en dĂ©veloppant d’abord la qualitĂ© de nos soins et de l’expĂ©rience patient globale au cabinet par un travail d’équipe rĂ©el et cohĂ©rent, en nous focalisant sur le bien-ĂŞtre, le confort et la sĂ©curitĂ© de chaque participant Ă  notre activitĂ©, collaborateurs comme patients, que nous pourrons atteindre et mesurer la rĂ©ussite, humaine et matĂ©rielle, de notre carrière.

En conclusion, une stratĂ©gie lean est Ă  la fois personnelle (apprendre Ă  apprendre, penser diffĂ©remment) et globale (apprendre Ă  cadrer, organiser, diriger autrement). Pour aller vite, il faut aller seul, mais pour aller loin, il faut aller ensemble. Le management lean semble aujourd’hui la seule piste viable d’une gestion d’entreprise minĂ©e par la crise, bousculĂ©e par de nouveaux dĂ©fis techniques et technologiques et cohĂ©rente avec la nĂ©cessitĂ© absolue d’un retour du lien social en entreprise te d’une « rĂ©humanisation Â» du travail et des relations professionnelles.